Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mercredi 22 avril 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Mesdames et messieurs les députés, avant toute chose, j'espère que vous vous portez bien, de même que vos collaborateurs et vos proches. J'exprime également ma solidarité profonde avec toutes les personnes endeuillées, dans votre entourage comme dans toute la France, ainsi que ma gratitude envers toutes celles et tous ceux qui luttent au quotidien contre le virus, que ce soit en première ligne – les soignants –, en deuxième ligne, pour permettre que la vie continue, ou en respectant strictement les mesures de confinement.

Je tiens aussi à remercier les députés pour leurs nombreuses remontées du terrain, qui sont très utiles. Dans cette situation inédite, elles permettent de corriger le tir et de compléter le dispositif au fur et à mesure que nous prenons connaissance des difficultés sociales, économiques, administratives rencontrées par nos concitoyens ainsi que des nombreuses initiatives, qui peuvent être des sources d'inspiration. Elles sont complémentaires des échanges téléphoniques approfondis que je conduis avec les partenaires sociaux, deux ou trois fois par semaine, précieux pour partager notre analyse de la situation, annoncer les différents dispositifs ou prendre un avis avant de telles annonces, et recueillir toutes les remontées du terrain : ce qui fonctionne ou pas, ce qu'il faut accélérer ou corriger, ainsi que les éventuels angles morts. Dans une telle période, il faut être à la fois très solidaire, résolu et pragmatique pour adapter les mesures aux réalités du terrain. Nous conduisons également des réunions très fréquentes avec le ministre de l'économie et des finances, et, plusieurs fois par semaine, avec les fédérations professionnelles. Cet esprit de dialogue, qui construit l'union nationale, est indispensable pour essayer, ensemble, de réagir à la situation et de la traiter au mieux.

Le ministère et les opérateurs sont très mobilisés depuis le début de la crise. Les agents du ministère du travail traitent en particulier de la création et du déploiement du dispositif d'activité partielle, avec le soutien de l'Agence de services et de paiement (ASP), ainsi que de la santé et de la sécurité des travailleurs. Pôle emploi n'a pas connu de dysfonctionnement dans l'indemnisation des demandeurs d'emploi : l'actualisation de fin de mois s'est déroulée sans problème, à distance, et le travail de continuité est effectué avec les demandeurs d'emploi, également à distance.

Sur le plan juridique, grâce à l'habilitation que vous avez donnée au Gouvernement, nous avons déjà publié dix ordonnances dans le champ du travail, dont les neuf premières dans un délai de dix jours après l'adoption de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Un dernier texte, dit « ordonnance balai », présenté ce matin devant le Conseil des ministres, tend à régler certaines situations particulières. Huit décrets ont été publiés sur la base de ces ordonnances : deux relatifs à l'activité partielle ; deux, à l'assurance chômage ; un, aux missions des services de santé au travail ; un, aux modalités de réunion à distance des comités sociaux et économiques (CSE) ; un, au complément employeur des indemnités journalières ; un, aux modalités d'extension des accords collectifs. Trois décrets sont à venir : un portant sur l'activité partielle, en application de l'ordonnance présentée ce matin ; un, sur les possibilités pour les médecins du travail de prescrire des arrêts de travail ; un, sur les délais de consultation des comités sociaux et économiques pour la reprise de l'activité économique. Des décrets sectoriels viendront, le cas échéant, compléter le paysage juridique en ce qui concerne la dérogation à la réglementation relative au temps de travail. La publication de ces textes est un gage de sécurisation juridique des engagements que nous avons pris devant vous et devant les Français pour éviter les défaillances d'entreprises, protéger l'emploi et les salariés, et éviter des vagues de licenciements massifs qui, sinon, n'auraient pas manqué d'arriver.

Mon administration produit par ailleurs de nombreux documents explicatifs, notamment des questions-réponses, actualisées plusieurs fois par jour, qui sont très consultées par les salariés comme par les employeurs, ainsi que des guides et fiches techniques. Compte tenu de toutes les modifications à apporter dans cette période de crise, il importe que l'ensemble des acteurs puissent s'en saisir très rapidement.

L'action du ministère s'inscrit dans le cadre des moyens sans précédent que le Gouvernement a décidés, après validation du Parlement, grâce au plan de 110 milliards d'euros visant à gérer la situation de crise. Vous l'avez vu, nous nous adaptons constamment à l'évolution de l'épidémie et de ses conséquences économiques et sociales, de sorte que personne ne soit laissé au bord du chemin.

Mon ministère applique trois ensembles de mesures : des mesures de protection, pour éviter les licenciements, préserver l'emploi et conserver les compétences, principalement le dispositif d'activité partielle ; des mesures de protection des plus vulnérables d'entre nous contre la menace de la précarité, qu'ils soient demandeurs d'emploi ou confrontés à d'autres difficultés ; des mesures visant à concilier l'impératif de santé et de sécurité des travailleurs, avec la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique de la nation – car tout l'art de la reprise consistera à concilier l'activité économique, avec l'absolue nécessité de protéger les salariés sur les plans de la santé et de la sécurité.

S'agissant des mesures visant à éviter les défaillances d'entreprises et à conserver les compétences et l'emploi, le Gouvernement a opéré une refonte complète du système d'indemnisation du chômage partiel, qui est devenu le plus protecteur d'Europe. À titre de comparaison, lors de la crise de 2008 et 2009, le dispositif d'activité partielle a pris en charge 300 000 salariés.

L'expression « chômage partiel », trop installée pour n'être pas employée, ne doit pas créer d'ambiguïté. Il ne s'agit absolument pas d'une situation de chômage, puisque la personne concernée conserve son contrat de travail, qui est seulement suspendu. L'État et l'UNEDIC se substituent à l'employeur pour le paiement des salaires. Le contrat de travail est immédiatement réactivé à la fin du chômage partiel.

J'ai annoncé ce matin les chiffres, qui sont considérables : 10,2 millions de salariés du secteur privé sont concernés par une demande d'activité partielle, ce qui représente plus d'un salarié sur deux du secteur privé, et 821 000 entreprises, soit six entreprises sur dix ; 95 % des demandes d'activité partielle ont déjà été validées. Les trois secteurs les plus concernés sont : les établissements de commerce non alimentaire, au sens large, incluant la réparation automobile ; la construction, dont 93 % des salariés sont concernés, dans un secteur presque à l'arrêt ; l'hébergement et la restauration, au même niveau que la construction, les bars, les restaurants et les cafés étant de plus frappés par une mesure de fermeture administrative, tandis que l'hôtellerie subit le ralentissement général.

La refonte de l'activité partielle a été conçue selon trois axes majeurs : le basculement vers un système de prise en charge proportionnel ; un élargissement considérable des publics éligibles ; des démarches simplifiées, grâce à une transformation sans précédent du système d'information.

L'allocation d'activité partielle, qui s'élève à 100 % du salaire net pour un salarié touchant une rémunération égale ou inférieure au SMIC et de 84 % au-delà, est payée pour les deux tiers par l'État et pour un tiers par l'UNEDIC, par le biais d'une convention avec l'État. L'État garantissant par ailleurs la dette de l'UNEDIC, sa responsabilité sur l'ensemble du dispositif est très élevée. Les entreprises sont remboursées intégralement, jusqu'à un salaire de 4,5 fois le SMIC.

La mesure s'explique par notre volonté de sauver l'emploi dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Dans le passé, ces structures ne recouraient pas au chômage partiel en raison d'un reste à charge élevé, et, en situation de crise, elles se trouvaient obligées de licencier. Pour éviter ces licenciements, nous couvrons l'ensemble des salaires, jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Nous avons atteint notre objectif de couvrir très majoritairement le tissu de TPE et PME, si essentiel à la vie économique du pays, puisque 60 % des travailleurs en activité partielle travaillent pour des entreprises de moins de cinquante salariés.

Nous avons également étendu ce dispositif à des publics qui n'étaient pas éligibles : assistantes maternelles, employés à domicile, salariés au forfait jour. Nous avons augmenté la prise en charge des apprentis et des bénéficiaires de contrats de professionnalisation. Les saisonniers sont également mieux protégés. Le dispositif a de plus été ouvert aux VRP, aux pigistes, aux marins pêcheurs, aux intermittents du spectacle, aux personnes payées au cachet, au personnel navigant – je ne dresserai pas la liste exhaustive, mais tous les statuts particuliers ont été pris en compte.

Avec le ministre des solidarités et de la santé, j'ai annoncé vendredi qu'à partir du 1er mai, les salariés en arrêt de travail pour garde d'enfants ou pour aide à une personne vulnérable passeront en activité partielle – les règles du complément employeur en matière d'indemnités journalières prévoyaient que leur rémunération tombe de 90 à 66 % de leur rémunération précédente.

Vous avez fait remonter de nombreuses questions sur l'éligibilité au dispositif et les démarches à effectuer. Je le dis clairement : un dispositif qui fonctionnait manuellement, pour quelques centaines de demandes par an, n'était absolument pas adapté à l'ampleur de la crise. Je salue encore une fois l'action de la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de mon ministère et de l'ASP, qui, en dix jours, ont entièrement modifié le système d'information pour accueillir une demande très élevée, passée d'une centaine à 821 000 cas. Des milliers de cas à la minute sont désormais traités automatiquement. Cette organisation explique les remarques formulées les premiers jours sur la difficulté à obtenir des codes d'accès : dans le système précédent, ces éléments étaient générés manuellement, au cas par cas, alors qu'une réponse automatique est dorénavant apportée en quarante-huit heures, à défaut de quoi la demande est considérée comme acquise. Afin de rattraper les premiers jours difficiles, j'ai autorisé les entreprises à demander la compensation jusqu'au 30 avril.

Le deuxième grand axe est la protection des personnes vulnérables. Nous avons pris six mesures pour protéger les chômeurs. Les droits de ceux arrivés en fin de droits en mars ont été prolongés en avril et en mai, sur la base de l'indemnisation de mars. Ceux des intermittents du spectacle ont également été reportés jusqu'à la fin du confinement, et celui-ci sera neutralisé dans le calcul de leurs 507 heures de travail. Les salariés en contrat à durée déterminée comme les intérimaires bénéficient automatiquement du chômage partiel. Nous avons allongé virtuellement les contrats des saisonniers pour qu'ils puissent également en bénéficier. Les salariés qui ont démissionné pour répondre à une promesse d'embauche qui n'a pu se concrétiser à cause du confinement sont pris en charge par l'assurance chômage, ce qui n'est habituellement pas le cas. Enfin, la période de confinement sera neutralisée dans le calcul des droits pour tous les demandeurs d'emploi.

Comment concilier l'impératif de santé et la sécurité des travailleurs avec la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ? Tous ceux qui travaillent doivent être protégés, nous ne transigerons pas sur ce point, car il ne s'agit pas de choisir entre activité économique et protection sanitaire. Le dialogue social est essentiel, et nourri, avec les partenaires sociaux. Depuis trois semaines, en les consultant, nous élaborons des guides de bonnes pratiques sanitaires avec les experts de chaque secteur, métier par métier. En effet, les gestes barrières ne sont pas les mêmes pour une hôtesse de caisse, un chauffeur-livreur, une auxiliaire de vie, un éboueur, un opérateur en télémaintenance, etc.

Trente-six guides validés par les ministères du travail et de la santé sont déjà en ligne sur notre site, et une trentaine d'autres sont en préparation et seront publiés dans les prochains jours. Ainsi, les employeurs seront sécurisés s'ils respectent ces préconisations et les salariés pourront aller travailler en sécurité. À l'initiative du secteur, nous avons traité en priorité la filière agroalimentaire, de l'agriculteur à l'industrie agroalimentaire en passant par la distribution. Un guide plus général sera édité pour les secteurs non couverts au moment du déconfinement. C'est un sujet crucial pour la reprise de l'activité.

Nous sommes, vous le voyez, déterminés à protéger les salariés contre le risque de licenciement, à protéger leur santé et à assurer leur sécurité, mais aussi à protéger les entreprises, petites et grandes. Dans le contexte actuel, la solidarité nationale ne doit laisser personne au bord du chemin.

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