Il y a un an, monsieur Pancher, nous constations qu'il fallait réformer l'assurance chômage, notamment pour lutter contre la précarité qui s'était installée quasiment comme la norme d'embauche. Nous voulions à la fois protéger les salariés et inciter au retour à l'emploi, dans un contexte marqué par la baisse du chômage – il y a deux mois et demi, le taux était au plus bas depuis onze ans : 8,1 % pour la France entière et 7,9 % en métropole. Par ailleurs, notre système d'assurance chômage avait accumulé un déficit très important – 33 milliards d'euros, soit l'équivalent d'une année de cotisations –, garanti par l'État et entrant dans la définition de la dette, laquelle augmente très fortement. Il est évident que, lorsque le chômage augmente, il y a moins de ressources, en raison de la diminution des cotisations, et plus de dépenses. C'est la raison pour laquelle il est sain de faire des réformes permettant à la fois d'améliorer la fluidité du marché du travail et de faire quelques économies pour parer ultérieurement les coups durs.
Force est de reconnaître que la crise actuelle a pris tout le monde par surprise. Par définition, personne ne peut prévoir des crises comme celle-ci. Le régime d'assurance chômage n'avait pas eu le temps ces dernières années de résorber sa dette extrêmement élevée. Pourquoi mettons-nous un tiers de la dépense engagée à la charge de l'UNEDIC ? Parce que le chômage partiel fonctionnait déjà ainsi : l'État en assumait les deux tiers et l'UNEDIC un tiers – tout en sachant, encore une fois, que la dette de cette dernière est garantie par l'État. Désormais, l'enjeu dépasse la question financière, même si celle-ci existe aussi, bien entendu. Après la crise, lorsque nous connaîtrons exactement le niveau de la reprise de l'activité, celui des embauches et le taux de chômage – bien expert celui qui saurait le dire à l'avance –, nous étudierons la situation du régime d'assurance chômage. Pour l'instant, nous travaillons quinze à dix-huit heures par jour à sauver les emplois, protéger les salariés et éviter les défaillances d'entreprises. La réflexion à moyen terme est nécessaire et je salue votre capacité d'anticipation. Mais, je vous le dis très honnêtement, je n'ai pas le temps d'y travailler avec mes services. Ma priorité est de sauver des emplois tout de suite et de faire en sorte que le travail puisse reprendre tout en assurant un excellent niveau de santé et de sécurité pour les travailleurs.
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, a été chargée par le Premier ministre de coordonner l'action concernant la production et l'approvisionnement en masques – en dehors des professionnels de santé, dont l'approvisionnement est organisé par ailleurs. Outre les masques chirurgicaux et FFP2, une troisième catégorie de masques dits grand public a été homologuée. Ils garantissent un niveau de protection tout à fait comparable. Nous sommes en train à la fois d'en importer massivement et d'en produire – ce qui est nouveau, car la France ne fabriquait pas de masques. Nous avons agi de manière extrêmement rapide. D'ici au 11 mai, une centaine de producteurs fabriqueront au moins 17 millions de masques par semaine. Ces masques en tissu, à destination du grand public et des professionnels, peuvent être lavés et réutilisés vingt à trente fois, ce qui change tout – les masques chirurgicaux sont quant à eux à usage unique. Quatre pays en Europe, dont la France, sont en mesure d'en produire. Grâce à cela, la population sera très largement équipée, ce qui lui permettra de travailler et d'emprunter les transports. En ce qui concerne la distribution, un travail est en cours avec les fédérations professionnelles et les organismes consulaires pour déterminer le rôle des uns et des autres. Il faut éviter, effectivement, que les masques arrivent dans les grandes entreprises mais pas jusque chez l'artisan ou le commerçant parce que ces derniers ne sauraient pas comment s'en procurer.
Nous avions le même problème s'agissant des gels hydroalcooliques. Avant la crise, notre production était de l'ordre de 48 000 litres par jour en France ; nous en produisons désormais 500 000 litres, ce qui est suffisant. La réactivité des professionnels mérite d'être saluée.
En ce qui concerne les coûts supplémentaires induits par l'instauration de règles de sécurité, pour l'instant seul le BTP nous a fait remonter des informations. Nous avons demandé aux professionnels des cas concrets pour mesurer l'ampleur du phénomène et décider si nous pouvons – et devons – participer à la prise en charge. Ces coûts ne sont pas liés à l'équipement en lui-même : c'est plutôt l'organisation du travail qui est en cause.
Les heures supplémentaires sont déjà défiscalisées dans la limite de 5 000 euros, et une fraction des charges salariales est exonérée. Je suis donc réservée à l'égard d'une défiscalisation accrue des heures supplémentaires dans le bâtiment, d'autant que 1,25 million de salariés de ce secteur sont au chômage partiel. La priorité est de faire en sorte qu'ils puissent retravailler. Ce ne sera d'ailleurs pas le cas de tous, car certains chantiers auront du mal à reprendre. Dans le secteur, 88 % de l'activité est à l'arrêt, alors même qu'aucune interdiction n'avait été prononcée. Nous sommes le seul pays d'Europe dans cette situation. Les heures supplémentaires ne sont donc pas le premier sujet de préoccupation : il faut commencer par remettre les gens en situation de travailler. Pour ce faire, il y a les guides pratiques. Nous travaillons aussi activement avec le ministre de l'économie et des finances et les fédérations professionnelles à lever tous les autres freins.
Le revenu universel est aussi une question de long terme. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans les mois qui viennent. En pleine tempête, on s'efforce de garder le cap, on ne pense pas à la traversée suivante.
Il a été prouvé mille fois que l'interdiction des licenciements n'est pas la bonne méthode pour protéger l'emploi, monsieur Coquerel. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas attentifs à la question des licenciements, mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cadre du plan de relance.
Tout le monde craint une nouvelle vague de l'épidémie, mais nous ne pouvons pas vivre confinés pendant six ou douze mois, si tel est le temps nécessaire pour élaborer un vaccin ou trouver un traitement. La situation est inédite. Le risque zéro n'existe nulle part dans le monde. La maladie se transmet très facilement mais on constate que, partout où sont instaurés et respectés avec sérieux les gestes barrières et les bonnes méthodes de protection, le risque de propagation se trouve très fortement limité. Par ailleurs, les Français sont d'ores et déjà obligés d'aller faire des courses pour se nourrir. On ne peut pas vivre 100 % du temps à la maison. Du reste, nous devons aussi protéger l'emploi des personnes les plus vulnérables ; or, plus la crise dure, plus ses effets seront profonds et durables. S'il ne faut en rien baisser la garde s'agissant de la santé des travailleurs, nous devons aussi faire redémarrer l'activité économique sous peine de jeter dans la pauvreté et la vulnérabilité un nombre très important de nos concitoyens.
Que se passe-t-il là où il n'y a pas de syndicats ? Vous le savez, dans les ordonnances, nous avons prévu d'autres modes de représentation dans les entreprises de petite taille. Le syndicat reste l'option privilégiée, mais là où il n'y en a pas, un représentant du personnel élu par ses collègues peut être choisi. Si cela n'est pas possible non plus, notamment dans les toutes petites entreprises, il reste la solution d'organiser une consultation de l'ensemble du personnel, le cas échéant orale et à distance. Sur le terrain, nous mobilisons les observatoires départementaux d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation, ainsi que les services de médecine du travail, qui aideront les petites entreprises à mettre en place les gestes barrières.
Si le salarié exerce son droit de retrait, que l'employeur considère que ce n'était pas justifié et qu'il le sanctionne, il est possible de contester la sanction devant le conseil des prud'hommes. Cela dit, cette possibilité montre justement, en creux, l'importance du dialogue social : il vaut mieux éviter que le salarié se sente contraint, du fait d'un défaut de sécurité, de faire valoir son droit de retrait et, le cas échéant, d'aller aux prud'hommes. La véritable solution consiste à créer de bonnes conditions sanitaires en instaurant les gestes barrières, en se dotant des équipements nécessaires et en respectant les guides pratiques dans l'entreprise. Le droit de retrait existe, il est plein et entier, mais la meilleure solution, c'est la prévention.
Monsieur Peu, je vous remercie d'avoir précisé la question de votre collègue, que je n'avais pas entièrement comprise et à laquelle, par conséquent, j'avais mal répondu. En ce qui concerne les dividendes, la position du Gouvernement est très claire : une entreprise ne peut pas à la fois en verser et demander, sur la base de difficultés de trésorerie, la garantie de prêts par l'État ou le report du paiement de ses charges sociales ; ce serait incohérent.
Le chômage partiel a pour objectif de protéger les salariés. Mon souci est d'éviter des vagues de licenciements massifs et, pour l'instant, nous tenons bon. Cela dit, nous avons appelé à une certaine modération. Les chiffres seront bientôt publiés. Je puis d'ores et déjà vous dire que l'immense majorité des entreprises du CAC 40, et même du SBF 120, a entendu cet appel et se montre extrêmement raisonnable. Pour les quelques cas où nous avons des doutes, nous avons engagé une action directe et bilatérale. J'ai appelé un certain nombre de dirigeants. S'agissant de SFR, nous avons étudié le cas de près. La demande de l'entreprise ne correspond pas à ce qui a été rapporté dans la presse : le chômage partiel ne concerne que les salariés des boutiques, lesquelles ne peuvent pas, objectivement, fonctionner sur la base du télétravail.
Vous m'avez aussi alertée sur le fait que l'application du système de primes varie beaucoup en fonction des entreprises, et même au sein d'une entreprise, par exemple selon que les salariés font plus ou moins de 28 heures. Cela relève du domaine contractuel et de la responsabilité des entreprises. Sur le plan juridique, nous ne pouvons pas intervenir. Toutefois, j'en appelle aux entreprises concernées : si nous avons instauré ce système s'adressant plus particulièrement aux salariés de deuxième ligne, qui, depuis plusieurs semaines, permettent à tous les Français d'être nourris, mais aussi d'avoir du chauffage et de l'eau, c'est parce que nous sommes conscients des efforts consentis par ces salariés. Il est important de les reconnaître et de souligner l'importance de leur métier. Si une entreprise commence à pinailler, à considérer que certains ont fait plus d'efforts que d'autres, ce n'est pas du très bon management – c'est une ancienne responsable de ressources humaines qui vous le dit. Il faut, au contraire, recréer de la cohésion sociale dans les entreprises après le traumatisme vécu par tous. Certains sont en deuxième ligne quand d'autres télétravaillent, parfois en gardant leurs enfants : tout le monde vit des choses compliquées, il faut le reconnaître. Toutes les entreprises doivent jouer le jeu. Il serait dommage de pas utiliser le cadre que nous avons prévu, car il facilite beaucoup les choses. Les entreprises qui l'auront fait constateront des effets positifs, car le climat social sera tout à fait différent par rapport à celles qui ne l'auront pas fait.
Madame Pompili, vous avez raison : les modalités d'accès aux transports en commun seront une question clé pour la reprise, dont on constate d'ailleurs la complexité : le travail, les transports, l'école, l'ouverture de certains services publics, tout est lié. Nous menons à cette fin un travail interministériel intense, sous l'autorité du Premier ministre. Les régions où les transports en commun constituent un moyen d'accès au travail important sont particulièrement concernées ; c'est vrai dans les grandes métropoles, bien sûr, mais pas exclusivement. Parmi les recommandations que je formulerai, il y en aura effectivement une concernant les horaires décalés. Il faudra résolument les favoriser dans un premier temps : il est beaucoup plus facile de respecter les gestes barrières si tout le monde ne se rassemble pas en même temps dans le même lieu. Il va donc falloir travailler à l'organisation des horaires de travail. De la même façon, les 5 millions de salariés en télétravail ne devront pas tous renouer immédiatement avec le travail physique à temps plein : on peut tout à fait envisager de commencer par un ou deux jours dans la semaine, par rotation. Nous devrons suivre en permanence ces deux impératifs : l'activité économique et le respect absolu de la santé. Certains territoires auront effectivement besoin d'un accompagnement plus poussé. Cela fait partie de nos discussions avec les régions, qui exercent la compétence en matière de développement économique.
Enfin, les différences de traitement par les DIRECCTE ont été observées pendant les quinze premiers jours. La gestion du travail partiel était pour elles une activité nouvelle ; en plus, elle a été massive. J'ai envoyé de nombreux renforts, car très peu de personnes y travaillaient. Qui plus est, les systèmes informatiques étaient obsolètes et il fallait procéder au cas par cas. Les choses sont rentrées dans l'ordre. Trois fois par semaine, dont une avec moi, des conférences téléphoniques ont lieu avec toutes les DIRECCTE. Nous avons aplani toutes les difficultés. Celles-ci étaient inévitables : nous avons voulu que le dispositif soit massif et d'application immédiate. On ne peut que se réjouir que la France ait décidé de protéger l'emploi immédiatement, massivement et sans compter. Nous ne le regretterons pas.