Je vous remercie d'avoir associé Mme Katia Julienne à cette audition car une synergie immédiate s'est installée entre la DGS et la DGOS. Nous gérons cette crise en symbiose, ce qui se révèle fondamental pour répondre aux enjeux.
Cette crise est exceptionnelle par sa brutalité et sa rapidité : il y a exactement trois mois, le 23 janvier, il n'y avait aucun cas de Covid-19 en France. Le centre opérationnel de réponse aux urgences sanitaires a été activé le 22 janvier, le centre de crise sanitaire cinq jours plus tard. Cette rapidité frappe tous les experts mondiaux : alors que les pandémies de peste, en 1347, ou de grippe espagnole, en 1917, avaient produit leurs effets sur plusieurs années, c'est la première fois dans l'histoire du monde que l'ensemble des pays sont touchés. Les plus grands, la Chine, les pays européens et les États-Unis, sont frappés dans le même temps, avec une gravité certaine.
Selon l'Institut Pasteur, 3,5 millions de personnes ont été contaminées en France, 85 000 ont été hospitalisées, dont 15 000 ont nécessité des soins de réanimation. Nous déplorons plus de 21 000 décès.
Quelques mots plus personnels pour me présenter : je suis médecin par passion, spécialiste de santé publique et de maladies infectieuses. J'ai été interne, chef de clinique, praticien hospitalier, professeur de médecine à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; mes travaux de recherche, thèse de science et habilitation à diriger les recherches ont tous porté sur l'épidémiologie des maladies infectieuses. J'ai enseigné la sécurité sanitaire au Conservatoire national des arts et métiers. À l'hôpital, mes fonctions étaient la lutte contre les épidémies, la lutte contre les infections nosocomiales, la gestion des risques et la gestion de crise. Dans l'exercice de ces fonctions, j'ai eu à vivre plusieurs alertes et émergences en milieu hospitalier.
Au niveau national, j'ai participé à la coordination du risque épidémique et biologique, une expertise virologique, épidémiologique infectieuse et réanimatoire qui nous a permis de tirer les leçons des alertes récentes. Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), en 2003, a pris par surprise l'ensemble du monde et a été marqué, selon les experts, par une sous-réaction ; le H5N1 a montré l'importance d'une approche globale « One Health », intégrant l'environnement et les épizooties ; le H1N1 a été caractérisé par une surréaction ayant conduit à une alerte pandémique. Depuis, nous avons connu des alertes avec le MERS-CoV, Ebola et les arboviroses – chikungunya, zika et dengue.
En tant que personnalité qualifiée siégeant au conseil d'administration de Santé publique France, j'ai vu combien il était difficile de faire cohabiter les différentes cultures provenant des institutions fusionnées : la culture de la prévention, de l'information et de la communication grand public de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPS), la culture de la surveillance épidémiologique de l'Institut de veille sanitaire (INVS) et la culture de la gestion de crise de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).
Je suis directeur général de la santé depuis janvier 2018 et j'ai effectué mon premier déplacement à Santé publique France, car je suis persuadé de l'importance d'une approche globale et de la nécessité de disposer d'une cartographie objective des risques sanitaires.
Selon l'OMS, les dix menaces majeures sont : les effets de la pollution, les effets du changement climatique, l'émergence massive des maladies chroniques, la difficulté d'accès aux soins, les fièvres hémorragiques virales, l'antibio-résistance, le VIH, la défiance vaccinale, les arboviroses et les pandémies grippales, avec l'accès problématique aux antiviraux et aux vaccins.
J'ai mis en place des exercices ministériels et interministériels et organisé des retours d'expérience. Nous avons rédigé les RETEX d'Irma, de l'épisode d'infection Lactalis, des épidémies de chikungunya, de zika et de dengue, des épisodes de canicule intense de 2018 et de 2019 et de l'incendie de Lubrizol. Nous avons élaboré, avec les ministères de l'intérieur et des armées, des guides pour les professionnels de santé et les établissements de santé ainsi que des exercices de crise. Nous avons soutenu la prévention, avec la vaccination obligatoire, le circuit des vigilances simplifié et le signalement par le grand public. Vous nous avez aidés dans ce travail puisque l'article 20 de la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé permet de mobiliser les professionnels de santé lors des crises. Enfin, nous avons renforcé la gestion des risques épidémiques d'arboviroses, notamment la lutte antivectorielle.
Cette gestion se fait de façon très transversale, en collaboration étroite avec la DGOS, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le service de santé des armées, l'Agence de biomédecine, l'Agence de sécurité du médicament, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), Santé publique France, l'Établissement français du sang (EFS) et, bien sûr, les agences régionales de santé (ARS). Les réunions de sécurité sanitaire hebdomadaires rassemblent leurs représentants, mais aussi ceux du ministère de l'économie, avec la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), ou du ministère de l'agriculture, avec la DGAL (direction générale de l'alimentation). Par ailleurs, un site grand public permet de renforcer la sécurité sanitaire.
Je serai bref sur l'historique de la réponse à la crise – j'imagine que vous me demanderez de fournir des éléments supplémentaires. Nous avons envoyé des messages d'alerte de façon très précoce, le 10 janvier à l'intention des ARS, le 14 janvier aux établissements de santé. J'ai tenu le premier point presse le 21 janvier – 60 ont suivi depuis. Dès le 22 janvier, le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) a été placé en niveau renforcé. Le 24 janvier, le premier cas de Covid-19 a été diagnostiqué. Le 25 janvier, la réserve sanitaire a été mobilisée. Le centre de crise sanitaire est en place depuis le 27 janvier. Nous avons commandé les premiers équipements de protection individuelle le 30 janvier. Le jour même, l'OMS qualifiait l'épidémie d'urgence de santé publique de portée internationale, alors qu'aurparavant l'OMS et le centre de crise européen considéraient comme très faible le risque d'importation en Europe.
La réponse s'est structurée avec une commande massive de masques en février, le passage aux stades 2, puis 3, en mars. Nous avons effectué de très belles opérations, que nous détaillerons ultérieurement, avec l'accueil des ressortissants de Wuhan et les tests systématiques pratiqués sur les personnes placées en quatorzaine.