Pour ce qui est des masques utilisés par la population générale, il existe depuis longtemps en France une recommandation partagée par tous les professionnels, consistant à préconiser le port du masque antiprojections à toutes les personnes malades. Il est d'ailleurs à noter que toutes les campagnes officielles de Santé publique France et de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) ont promu cette recommandation pour la grippe saisonnière de cet hiver.
Les malades atteints de pathologies respiratoires contagieuses doivent porter des masques antiprojections. Or ils ne le font que très rarement. Tous les pneumologues et les infectiologues vous diront que, même à l'hôpital, il est très difficile de faire porter un masque à une personne atteinte de tuberculose et devant rester isolée. Le port du masque est également recommandé pour les personnes à très haut risque, notamment celles qui se trouvent en aplasie parce qu'elles sortent de chimiothérapie. En revanche, il n'y a jamais eu à ma connaissance – je n'en ai retrouvé aucune trace – de recommandation nationale de port généralisé du masque pour le grand public en France.
La France ne disposait pas non plus avant cette année d'une expérience de port du masque grand public : lors des pandémies grippales de 1918, 1957 et 1968, il n'avait été donné aucune instruction en ce sens, pas plus que lors des émergences plus récentes de H5N1, H1N1, SRAS ou MERS-COV. Il y a sur ce point une différence culturelle importante entre les pays européens et les pays asiatiques : dans ces derniers, la population porte un masque beaucoup plus facilement, que ce soit lors des alertes à la pollution ou lors de la survenance d'épidémies. Nous ne disposons donc pas de connaissances objectives sur le port du masque par la population française, ses indications et sa tolérance.
Même s'il existe des débats scientifiques sur l'efficacité du port du masque au quotidien par la population, nous avons réagi très rapidement en créant une nouvelle catégorie de masque. Cet équipement dit « grand public », normé, en tissu, lavable plusieurs fois, n'a d'intérêt que dans les situations où la promiscuité est inévitable. Il constitue alors une protection contre les gouttelettes, en complément des gestes barrières qui devront être maintenus durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et des stratégies de distanciation physique et sociale.
La diffusion des bonnes pratiques représente un enjeu collectif, car le masque doit être adapté au visage, couvrir à la fois le nez et la bouche – ce qui ne semble pas être encore connu de tous – et être porté selon certaines indications. Sur ce dernier point, je suis frappé de voir que de nombreuses personnes portent un masque alors qu'elles sont seules dans leur véhicule, ce qui n'est pas indiqué, et qu'à l'inverse elles enlèvent leur masque quand elles doivent parler, ce qu'elles ne devraient pas faire.
Il n'est pas si simple de savoir quand porter le masque, comment le manipuler sans se contaminer – le virus peut être collé sur la surface extérieure comme intérieure du masque – et quand l'enlever. Il s'agit plus d'une protection pour les autres que pour soi-même. Certaines expériences ont montré que cela pouvait provoquer un sentiment de fausse sécurité : « Je porte un masque, donc je ne me lave plus les mains et je me rapproche des personnes. » Si l'on décide de généraliser le port du masque très grand public, ce qui n'a jamais été fait en France dans l'histoire récente, il faudra expliquer à nos concitoyens à quoi servent réellement les masques et les meilleures façons de les porter.
La France, alertée par les épidémies de H5N1 puis de H1N1, a créé l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et constitué un stock stratégique d'État. La doctrine a évolué juste après 2009 : à la suite des avis du Haut Conseil de la santé publique et surtout d'une instruction ministérielle de novembre 2011, le stock stratégique d'État de masques chirurgicaux, confié à l'EPRUS, est dissocié des stocks tactiques de masques FFP2, confiés aux établissements de santé. Il n'y a pas eu de volonté de mettre fin à ce stock mais bien de répondre à ces deux enjeux du stock stratégique et du stock tactique. Des stocks de masques pour les professionnels existent toujours, comme pour les masques P2, réservés à des situations professionnelles à haut risque – laboratoires de microbiologie, de biosécurité et de recherche. Par ailleurs, les masques chirurgicaux sont parfaitement adaptés pour prévenir la transmission par gouttelettes ; ce n'est pas moi qui le dis, mais l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, la Société française d'hygiène hospitalière, le Haut Conseil de la santé publique et le Journal of the american medical association (JAMA).
À mon arrivée, en 2018, j'ai demandé que les stocks soient analysés et qu'une commande de 100 millions de masques soit passée. Cette commande a été passée par Santé publique France, qui a repris l'EPRUS. Il y a encore plus de 350 millions de masques, certes non conformes, dans les stocks de Santé publique France, qui datent des années 2000. Il y a également un stock de masques périmés en 2019, qui nous paraissent tout à fait utilisables puisque la péremption tient aux élastiques ; 72 millions de masques ont ainsi pu être repris par Santé publique France. Ces stocks étaient disponibles immédiatement, et nous avons fait des commandes complémentaires de masques P2 dès le mois de janvier, alors même que la pandémie n'était pas déclarée.