Le Grand Est a probablement été le territoire le plus touché. Cela n'est lié, évidemment, ni aux médecins ni aux patients. Le virus affecte les populations de manière très hétérogène. Nous ne comprenons pas pourquoi et c'est une des particularités de cette épidémie par comparaison avec une pandémie grippale. Les différences entre départements, sur le territoire métropolitain, vont de un à dix. Pourquoi ce drame dans le Grand Est ? Je parle de drame car je l'ai vécu personnellement : j'y ai des proches, des contacts dans le milieu hospitalier, mais aussi parmi les médecins généralistes, qui m'appelaient. J'ai donc suivi les choses de très près. Les professionnels de santé du Grand Est ont été remarquables. Les alertes ont été lancées, et nous avons mis en place un dispositif de renfort proprement exceptionnel, en faisant intervenir des dizaines de réservistes, notamment des aides-soignantes, infirmières et réanimateurs. Nous avons installé un hôpital militaire à Mulhouse, envoyé des respirateurs, évacué plus de 300 patients des hôpitaux à l'intérieur de la région et dans d'autres régions. La solidarité nationale envers le Grand Est a donc été considérable.
Il n'y a pas de guerre entre les médecins libéraux et les médecins hospitaliers, surtout dans le Grand Est, où tous ont été au front. Des médecins généralistes ont fermé leur cabinet et ont été prendre des gardes aux urgences, des médecins hospitaliers se sont occupés d'EHPAD qui n'avaient plus de médecin traitant. Il y a eu, comme souvent d'ailleurs dans le Grand Est, une merveilleuse solidarité entre les soignants.
S'agissant des traitements, j'en ai parlé tout à l'heure à propos de l'hydroxychloroquine, nous avons tout fait, à travers les comités de protection des personnes et l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, pour que toutes les hypothèses de traitement soient immédiatement prises en compte et, comme le précise le cadre fixé par le décret, pour que les patients puissent être inscrits dans des protocoles de suivi. Nous avons fait en sorte, avec le ministre, que des protocoles de prise en charge prophylactique soient créés en ville, justement pour que les médecins généralistes puissent inclure leurs patients. Nous avons également saisi le Haut Conseil de la santé publique. Le conseil scientifique et l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé se sont eux aussi mobilisés. Le ministre a écrit au Lancet. Il a donc été très attentif à la polémique autour de l'hydroxychloroquine. Malheureusement, dans un domaine où subsistent tant d'incertitudes scientifiques, certains débats – parfois même des querelles – ont lieu, qui peuvent être très difficiles à entendre pour nos concitoyens.
En ce qui concerne mon rôle dans la communication, il avait été décidé par la ministre que nous devions faire preuve de transparence et d'humilité : assurer tous les jours la transparence sur ce qu'on savait et sur la situation, et faire preuve de beaucoup d'humilité en disant qu'on ne savait pas beaucoup de choses.
Vous avez fait le constat selon lequel la France figurait parmi les pays les plus touchés. C'est vrai, mais personne ne sait comment l'expliquer. Du reste, la crise est loin d'être terminée. L'Inde est massivement touchée, de même que l'Afrique du Sud, et Pékin ferme de nouveau ses écoles. Nous devons être tous très modestes au regard de ce qui se passe et des raisons pour lesquelles certaines personnes, certains pays sont plus touchés que d'autres. Je suis frappé de voir que le grand Ouest – la Bretagne, la Normandie et la Nouvelle-Aquitaine – est beaucoup moins touché que la région Grand Est, les Hauts-de-France et l'Île-de-France. En Allemagne, c'est exactement pareil : la Bavière est beaucoup plus touchée que la plupart des autres Länder. Le sud de l'Italie, pourtant plutôt plus pauvre que le nord, est beaucoup moins affecté. Nous devrons faire le point lorsque nous disposerons de toutes les données. En tout cas, si nous avons, malheureusement, cette mortalité effroyable et cette létalité importante, ce n'est certainement pas en raison d'une quelconque carence médicale ou d'un déficit de prise en charge : les médecins du Grand Est, en particulier, dont certains que je connais bien, ont été remarquables.