À la date de sa décision, nous n'avions pas d'autre choix que le confinement. Les services de réanimation faisaient face à l'urgence, – Lila Bouadma pourra en témoigner. Dans le Grand Est et le nord de l'Île-de-France, l'afflux inhabituel de patients avec des formes cliniques extrêmement sévères de pneumopathies inflammatoires montrait qu'une situation grave se développait. Nous constations l'évolution en Italie, en avance sur nous d'une dizaine de jours, où la situation prenait une tournure très grave. En outre, les éléments tirés des modèles mathématiques dessinaient le départ d'une courbe exponentielle. En projetant ces estimations à quelques jours ou semaines, les réanimations auraient été incapables de prendre certains patients en charge.
En Europe, l'Italie et l'Espagne étaient dans la même situation que nous. Ces deux pays ont choisi le confinement, pour sauver les réanimateurs et les patients en réanimation et ceux des services de maladies infectieuses, qui étaient condamnés à être submergés. Dans certaines régions de France, nous avons connu des situations critiques et nous sommes passés sur le fil. Des initiatives de qualité ont dû être prises pour augmenter le nombre de patients en réanimation ou pour les transférer.
Les autres pays européens, dans lesquels la situation était mieux maîtrisée à la mi-mars, ont tous choisi le confinement. Seule la Suède a opté pour une forme alternative de confinement, et elle s'interroge aujourd'hui sur cette décision. L'épidémiologiste qui a promu cette approche plus dosée exprime aujourd'hui ses regrets. Tous les États européens, quelle qu'ait été leur situation au 15 mars, ont finalement fait le choix du confinement. Ceux qui ont tardé l'ont payé cher. Ainsi, le Royaume-Uni connaîtra probablement la mortalité la plus élevée des États européens, et les États-Unis ou le Brésil, qui ont tergiversé, seront probablement les pays les plus touchés dans le monde.
Pour nous, le confinement était imposé par la crise qui se préparait dans les salles de réanimation. Les autres États européens qui n'étaient pas dans cette situation critique ont aussi pris cette décision, pour geler la situation et préparer la suite. Nous avons tous compris que la rapidité d'évolution de cette épidémie était telle que nous serions pris par surprise si nous tentions de la contrôler en la laissant se développer.
Seuls quelques pays d'Asie ont réussi à gérer la situation sans passer par un confinement : Taïwan, la Corée du Sud, Hong-Kong et Singapour. Ils ont pu traverser cette période malgré leur proximité avec la Chine grâce à une série de mesures. C'est un ensemble de mesures qui permet de contrôler l'épidémie, pas une mesure en particulier. Les tests seuls ne suffisent pas. Les tests massifs pratiqués en Corée du Sud ont permis de tracer les personnes dépistées positives, d'identifier leurs contacts, et de les isoler. Ces pays ont aussi la culture du port du masque. Et il y a beaucoup de comportements proscrits lorsque l'on porte un masque – dont j'ai d'ailleurs été témoin dans cette salle ! L'hygiène des mains est également très importante. D'autres moyens ont été mis en place, notamment informatiques, permettant le suivi très efficace des contacts. D'autres encore ont été utilisés à des degrés divers : télétravail, fermeture des transports et des écoles… Ces pays étaient bien préparés par la crise du SRAS de 2003. Ils vivent en outre avec la crainte de voir une grippe d'origine animale se transmettre aux humains et se répandre dans leur pays – les épidémies de grippe sont souvent parties d'Asie. C'est donc un ensemble de mesures qui leur a permis de passer la crise. La situation y reste néanmoins très tendue au quotidien : de nouveaux clusters ont été découverts à Pékin, au Japon, en Corée du Sud, à Singapour.
En Europe, tous les pays sont passés par une période de confinement pour leur permettre de s'organiser. Du 15 mars à la fin du mois d'avril, nous avons préparé les outils pour gérer la période qui s'ouvre.