Intervention de William Dab

Réunion du mardi 23 juin 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

William Dab, directeur général de la Santé de 2003 à 2005 :

Nous devons réfléchir à ce qu'il s'est passé et à ce qu'il peut encore se passer. Pourquoi n'étions-nous pas mieux préparés alors que la pandémie était inévitable ?

Il y a bien sûr des aspects conjoncturels. Pourquoi n'étions-nous pas mieux équipés en masques, en tests, en gel ? Je ne vais pas pouvoir vous aider beaucoup sur ces questions. Il faudrait faire une reconstitution des décisions publiques, mais il existe surtout des raisons structurelles qui s'additionnent : la faiblesse du domaine de la santé publique dans notre pays et la vision comptable des missions de l'État.

Sur la faiblesse de la santé publique, une analyse historique serait impérative mais très longue à faire. Je peux en revanche, vous adresser des documents, des articles et des travaux.

Je vous rappelle néanmoins qu'en matière de dépenses nationales de santé, chaque fois que nous dépensons 100 euros, 96 euros vont aux soins individuels et 4 euros seulement à la prévention organisée. Le déséquilibre est très fort alors que les pays à forte politique de santé publique ont plutôt sur un ratio de 90/10. En France, la santé publique a toujours été considérée comme un secteur purement administratif et sans valeur ajoutée.

Quelques mots-clés pour illustrer ce propos : Chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies des Antilles françaises, Mediator, Levothyrox, Lactalis, glyphosate, incendie de Lubrizol, bébés sans bras. Il existe des points communs entre ces éléments : si nous disposons d'une bonne expertise de santé publique qui correspond au rang de notre pays en matière scientifique, nous avons en revanche une grande faiblesse des forces de santé publique sur le terrain. À chaque fois, c'est là que nous rencontrons des difficultés de gestion.

Vous avez rappelé mon travail comme conseiller de Jean-François Mattei. J'avais rejoint son cabinet pour préparer une loi de santé publique. Il y en avait déjà eu une en 1902, avant celle de 2004. Je voudrais rappeler à la représentation nationale que, par le vote d'un amendement d'origine parlementaire, cette loi a prévu que la politique de santé publique du pays soit discutée devant le Parlement tous les cinq ans. Le ministre n'y croyait pas beaucoup mais l'espérait. Avec l'accord du Gouvernement, cet amendement a donc été voté, mais, il n'a jamais été appliqué. Cela signifie que l'on s'intéresse à la santé publique uniquement en période de crise, et qu'en temps de paix, on l'oublie.

J'en viens à la vision comptable des missions de l'État. Vous avez entendu le docteur François Bourdillon qui a expliqué que Santé publique France avait perdu 20 % de ses postes.

Il y a deux ans, j'ai été chargé d'une mission auprès de Santé publique France pour organiser la fusion des départements santé travail avec les départements santé environnement. Je m'étais donc penché sur les ressources de l'agence : elles ont diminué alors que ses missions sont restées identiques. Il s'agit donc d'un pilotage par les moyens et non d'un pilotage par les objectifs.

Dans l'appareil d'État, peu de réflexions sont engagées sur l'adéquation entre les missions et les moyens. J'ai ressenti un grand espoir lors de la promulgation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et, alors directeur général de la santé, je m'étais porté volontaire pour l'expérimenter. Cet exercice était très intéressant et nous avait amenés à proposer des objectifs de santé publique et des objectifs de sécurité sanitaire. J'ai l'impression que cette logique a été perdue et que nous avons un pilotage qui s'effectue essentiellement par les moyens.

Collectivement, nous avons du mal à apprendre. Il y a eu beaucoup d'alertes : le symptôme respiratoire aigu sévère (SRAS) – j'étais alors au cabinet du ministre – la menace de la grippe H1N1, le virus Ebola pour lequel la France a joué un rôle important dans la maîtrise de l'épidémie, la vache folle. J'ai l'impression que n'apprenons pas et que nous avons eu, jusqu'à présent, beaucoup de chance. À chaque fois, après une forte inquiétude, la menace s'est révélée être, soit moins sévère que prévu, soit bien gérée comme dans le cas d'Ebola. Puis on est passé à autre chose. Cette difficulté de notre système à faire des retours d'expérience, explique la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés.

Je n'oublie cependant pas que les responsables ont fait, et font toujours, face à de très nombreuses incertitudes. Quelle est l'efficacité réelle des masques ? Quel est le potentiel de mutation du virus ? La saison a-t-elle un effet sur sa virulence ? Existe-t-il une transmission par aérosol, et pas seulement par les gouttelettes ? Est-ce qu'il y a une immunité individuelle durable ? Qu'en est-il de l'immunité collective ? Quel est le rôle exact des enfants dans la dynamique de l'épidémie ? Il n'existe pas de réponse assurée à ces interrogations. En revanche, les épidémiologistes ont compris rapidement, sur la base de l'expérience chinoise, que cette épidémie était très hétérogène et qu'elle n'avait rien à voir avec une épidémie de grippe. C'est ce qui m'a conduit à forcer ma nature pour intervenir dans les médias.

Présenter le covid-19 comme apparenté à une épidémie de grippe était une erreur de diagnostic. Dès que l'on a su qu'il existait une transmission par des cas présymptomatiques ou asymptomatiques, dans le contexte d'un virus fortement contagieux et à transmission aérienne, la pandémie était inévitable. Dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut empêcher un virus de sortir de Chine, même si l'épicentre de l'épidémie est confiné.

Dans ces situations de crise, on se trouve face à une double menace : en faire trop ou pas assez. Nous avons fait les deux.

Nous n'en avons pas fait assez car nous manquions de capacités d'action sur le terrain. Six semaines après le début du confinement, nous avions encore plusieurs milliers de patients hospitalisés chaque jour. Six semaines après le confinement, on se demandait encore où ces patients avaient été contaminés. J'en ai parlé à la directrice générale de Santé publique France. Elle m'a dit : « nous n'avons pas les moyens. Il y a trop de malades. Nous ne pouvons pas investiguer les sources de contagion ». Par ailleurs, le stade 3 du plan pandémie prévoit l'arrêt de ce travail d'investigation. Or, il ne s'agissait pas d'une pandémie grippale. Il fallait s'appuyer sur le plan de pandémie grippale mais aussi l'adapter aux spécificités du Coronavirus, cette maladie qui n'est pas la grippe.

Par ailleurs, je crois que nous en avons trop fait en confinant l'ensemble du territoire. Si l'objectif du confinement était de soulager les tensions hospitalières, le confinement des trois régions les plus atteintes était suffisant.

Prendre des décisions, en situation réelle, est vraiment difficile. Il faut une grande réactivité. Mon constat est que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclenché l'urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier et que, jusqu'au 16 mars, il ne s'est pas passé grand-chose dans notre pays.

Cela signifie que nous avons été remarquables dans le domaine des soins : nous avons été l'un des pays où il y a eu le moins de pertes de chance. En revanche, en ce qui concerne la prévention, il y beaucoup de choses à rebâtir.

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