Je crois que nous avons beaucoup appris. Le diagnostic, le traçage des contacts, l'isolement et les gestes barrière sont organisés, compris par la population et mis en œuvre. C'est toute la différence !
Cette épidémie est hétérogène, mais à chaque fois, elle est partie depuis des lieux clos concentrant de nombreuses personnes. Je pense à Mulhouse, à la base de Creil, à l'Assemblée nationale, au porte avion Charles De Gaulle ou aux lieux d'exercice des soignants qui ont été contaminés et ont aussi contaminé. Maintenant, nous savons cela ; ce n'était pas le cas en janvier. Il ne faut pas l'oublier.
Nous connaissons désormais la cartographie des situations à surveiller très attentivement. Il faut pouvoir mobiliser les forces de terrain. J'ignore cependant si à l'automne les 4 000 agents de la Sécurité sociale seront encore mobilisables. Qui fera le traçage des contacts ? C'est un point fondamental car sans cela nous ne pouvons pas maîtriser l'épidémie. Si on surveille, si on diagnostique, si on isole dans des conditions correctes et que l'on fait un traçage, cette épidémie est maîtrisable.
J'en viens à la question du commandement. À ce sujet, vous pouvez regarder la vidéo de Bill Gates qui tirait les leçons de l'épidémie d'Ebola. Il a aussi écrit un remarquable éditorial dans The New England Journal of Medicine.
Le commandement unifié est une condition du succès pour que l'ensemble des forces soit coordonné et non mis au pas. La difficulté est d'organiser à la fois la verticalité et l'horizontalité.
Quand j'ai été interrogé par la mission d'information du Sénat, j'ai demandé à vos collègues qui étaient, selon eux, responsable dans notre pays de la lutte contre l'épidémie ? J'ai eu autant de réponses qu'il y avait de sénateurs. Lorsque même la représentation nationale n'a pas une vision claire de qui porte la responsabilité de quoi, c'est un problème.
La multiplicité des intervenants n'est pas une difficulté si chacun est clair sur ses missions et si la circulation de l'information est organisée. Évidemment, tout émane du chef de l'État, mais face à un événement où les conséquences sanitaires, sociales et économiques sont si préoccupantes, il faut un pilotage unifié. Il faut distinguer la situation froide, habituelle de la situation d'urgence et notamment d'urgence de sécurité sanitaire. Mon expérience est modeste, mais à Mayotte j'ai vu pendant douze jours comment les choses se passaient.
Je pense qu'il y a des clarifications à faire entre l'Agence régionale de santé (ARS) et le préfet. En situation d'urgence, cette dualité régionale ne me semble pas être une bonne chose. On peut toujours compter sur l'intelligence des hommes et des femmes, mais construire une politique là-dessus, c'est prendre un risque.
Je pense qu'il faut se mettre dans un état d'esprit ou il sera impossible de reconfiner notre pays. Comme les Chinois et les Allemands sont en train de le faire, il faut admettre que des confinements ciblés et localisés seront nécessaires et il faut les organiser le mieux possible.
Nous devons être absolument certains que nous aurons les capacités pour tester les contacts symptomatiques, mais aussi les asymptomatiques. Pendant longtemps nous n'avons pas pu le faire en France. C'est une des causes de la dynamique de l'épidémie dans notre pays.
Il faut pouvoir accompagner le confinement dans toutes ses dimensions : nutrition, éducation des enfants, isolement ce qui demande une grande capacité logistique.
Je n'aime pas l'expression « deuxième vague » car ce n'est pas le bon modèle. Le modèle sera des dizaines de clusters à gérer en même temps et non une vague. C'est pour cette raison que j'ai utilisé le mot « guérilla » : il faut se préparer à des points d'attaque qui peuvent survenir de façon hétérogène sur le territoire.
Il sera impossible de renforcer nos capacités de santé publique de terrain avant l'automne. Je pense cependant urgent de lancer un très grand plan de formation des professionnels de santé publique. L'École des hautes études de santé publique (EHESP), créée par la loi 2004, est, comme d'autres établissements, en mesure d'y participer. Ce plan n'est pas compliqué à faire, mais il est urgent. En prenant des personnes qui disposent déjà d'une formation dans le domaine de la santé, nous pouvons les amener à devenir intervenants en santé publique en dix-huit mois ou deux ans. Il faut le faire dès maintenant. Nous ne pouvons pas rester aussi démunis sur le terrain. Regardez l'évolution du nombre de médecins inspecteurs de santé publique que nous avons dans les ARS : ce n'est pas possible !
Rien ne coûte moins cher que la prévention ! La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) a chiffré le coût global du confinement à 350 milliards d'euros par mois. Les moyens pour disposer d'un système de prévention solide sont sans commune mesure avec ce que vont coûter à notre pays ces deux mois de confinement.