Aurions-nous pu réagir plutôt ? Oui. Je l'ai déjà dit
Nous devons tirer les leçons de cette crise. Nous le constatons régulièrement, comme avec l'incendie de Lubrizol par exemple : le premier réflexe est de rassurer la population. C'est humain mais nous n'attendons pas de nos responsables qu'ils soient paternalistes ou « maternalistes ». En France, nous avons du mal avec la pédagogie de l'incertitude. Est-ce à cause de Descartes, de Pasteur ou de Claude Bernard ? On a du mal à dire : « je ne sais pas ».
J'ai décidé de le faire au sujet de la transmission transfusionnelle du prion. Cette affaire a hanté mes nuits pendant presque six mois. Les huitième et neuvième cas de maladie de Creutzfeld-Jacob français avaient été des donneurs du sang réguliers et nous savions qu'il existait une transmission démontrée par les globules rouges. Ce que nous ignorions c'était si les médicaments dérivés du sang, comme les traitements anti-hémophiliques, pouvaient être contaminants. Lors de la première conférence de presse que j'ai donnée, et contre l'avis de beaucoup de communicants, j'ai dit : « je ne sais pas et voilà ce que je vais mettre en place pour savoir ». L'affaire s'est terminée début 2005 avec une conférence de presse ou j'ai dit : « par application du principe de précaution, nous ne ferons rien ». Dire : « je ne sais pas » est un moment difficile pour le décideur et pour la population, mais il faut avoir le courage de le faire pour établir une relation de confiance.
Dans la crise liée au covid-19, malheureusement, il y a eu ce réflexe habituel de tomber dans un discours péremptoire. Au lieu de dire : « nous n'avons pas la preuve de l'efficacité des masques », ce qui est vrai, nous avons dit péremptoirement : « les masques ne sont pas efficaces, voire dangereux ». Pour des spécialistes des maladies infectieuses, dire que le masque est dangereux, c'est curieux quand même !
Au moment de l'impact sanitaire de la marée noire de l'Érika, j'ai été confronté au même problème : j'ai commencé par tenir des propos rassurants alors que le fuel de l'Érika était cancérigène. Cette posture n'est pas la bonne. Dans l'affaire Lubrizol, il y avait un énorme nuage au-dessus de la ville et on disait : « non il n'y a pas de pollution atmosphérique ». La population ne peut pas croire ça ! Les situations d'incertitude doivent être expliquées et il faut dire ce que l'on met en place. Un politique ou un directeur d'administration centrale ne peut affirmer des choses que la science méconnaît.
Nous avons des institutions de sécurité sanitaire, mais nous n'avons pas de véritable politique de sécurité sanitaire qui permettrait une cartographie des risques, une répartition des responsabilités, l'affectation de moyens, la définition des objectifs à atteindre, des indicateurs et des mécanismes de pilotage.
La problématique est identique pour la recherche. Nous n'avons pas de programme de recherche en sécurité sanitaire. Tout le monde sait que les chauves-souris représentent un grand réservoir de porteurs sains de virus. Il faut les cartographier ! Voilà, par exemple, un programme qui aurait dû être fait et aurait permis de trouver le Coronavirus !
Toutes les grandes entreprises, EDF par exemple, ont des procédures de cartographie des risques. Sans cela elles feraient faillite. Gérer une entreprise, c'est gérer du risque. Tous les six mois, le patron d'EDF reçoit une actualisation de sa cartographie des risques puis elle est discutée en Codir. Malheureusement, l'État n'a pas ça. Ça mérite réflexion.
Le plan pandémie ne prévoit pas d'effectuer de test en phase 3. Cela résulte d'une analyse qui considère que le nombre de malades, qui se compte en millions, ne le permet pas. Or, dans le cas du covid-19, avec ce nouveau virus inconnu qui représente 4 000 à 5 000 malades par jour, une adaptation du plan aurait été souhaitable. À Mayotte, le traçage des contacts a été maintenu, même lorsque nous sommes passés au stade 3. Cela a permis de maîtriser l'épidémie sur ce territoire.
Le SRAS a permis de tirer des enseignements. On les retrouve dans la loi de 2004, dans la loi de 2007 ou dans la proposition du sénateur Giraud de créer l'EPRUS.
On a donné au préfet des pouvoirs de police sanitaire. Ils lui permettent de contraindre ceux qui refusent le confinement. En 2003, nous avions été confrontés à des patients qui avaient ramené le SRAS du Vietnam sans que nous ayons d'instrument juridique pour les contraindre au confinement. Ce point a été ajouté dans la loi de 2004.
Concernant la canicule, je vous renvoie à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Le rôle que j'ai joué et le fait que j'ai été le premier à donner l'alerte est souligné dans son rapport. En tant qu'épidémiologiste, je savais que la chaleur était un risque de mortalité important mais je n'imaginais pas que nous aurions 19 000 morts. Cela ne m'avait jamais traversé l'esprit.
Nommé directeur général de la Santé en août 2003, ma lettre de mission me demandait de préparer des plans de gestion de situations d'urgence. Beaucoup de mes excellents collaborateurs m'ont dit : « Monsieur le directeur, vous vous fourvoyez. Le rôle d'une administration centrale n'est pas de gérer les urgences. Nous ne sommes pas le Samu ».
Le premier plan que j'ai développé était le plan canicule. Il a été utilisé à plusieurs reprises, évalué et amélioré. Il a sauvé énormément de vies. Au moment de la canicule – comme lors du covid-19 – il y a eu une erreur de diagnostic. L'hôpital n'était pas assez fort, mais lors de la canicule 70 % de la mortalité a eu lieu à domicile.
La difficulté du plan canicule était de trouver un moyen de protection des personnes fragiles au domicile. La solution a été de s'appuyer sur les mairies et les Centres communaux d'action sociale (CCAS) et d'ouvrir un fichier permettant aux personnes fragiles de se faire connaître. Cela permet aux mairies de les appeler deux fois par jour, lorsque le plan canicule est déclenché. Cela a nécessité une loi qui n'existait pas en 2003. C'est le travail de terrain qui permet de sauver des vies. En matière de canicule, lorsque les personnes arrivent en coup de chaleur aux urgences, c'est trop tard.
Le modèle entre la température et la mortalité est d'une fiabilité incomparable en épidémiologie. Le risque se mesure par demi-degré. Maintenant, nous connaissons ces risques et des milliers de vies ont été sauvées avec ce dispositif.
Nous avons entendu des cliniques privées nous dire qu'elles n'avaient pas été suffisamment sollicitées. Je pense que la distinction entre la ville et l'hôpital n'a, plus de sens. Tous les médecins devraient être affiliés à un centre hospitalier. Avec les progrès de l'ambulatoire et de la télémédecine, la distinction entre la médecine ville et celle pratiquée à hôpital n'est plus d'actualité. Cependant, les mécanismes de financement sont totalement différents. Il faudrait parvenir à unifier les financements du secteur hospitalier et ceux de la médecine de ville. C'est un chantier à ouvrir.
Concernant, l'hydroxychloroquine, vous avez noté qu'il s'agissait d'un débat franco-français. C'est la première fois que je vois des médecins demander par médias interposés et par l'intermédiaire de pétitions des autorisations de prescriptions. Je le regrette amèrement. Le battage médiatique, avant d'avoir la preuve de l'efficacité de la molécule, a conduit tout le monde à se ruer sur l'hydroxychloroquine et tous les essais thérapeutiques susceptibles de nous apporter la vérité ont été sabotés. À la lecture de ce dossier, on se rend compte que l'hydroxychloroquine n'est clairement pas le traitement miracle que l'on nous a vendu. En revanche, la déxaméthasone est une piste sérieuse pour réduire le taux de mortalité lié au covid-19.