Intervention de Karine Lacombe

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris :

Tout le monde a vu les données publiées de façon hebdomadaire par Santé publique France. Nous pouvons dire, au vu de l'ampleur qu'elle a eue en mars et en avril, que l'épidémie est contrôlée, ce qui ne veut pas dire que le virus a disparu et qu'il n'y a plus de malades. Le virus est toujours là. De nombreux clusters sont dépistés et diagnostiqués presque tous les jours en France – ce qui signifie aussi que les outils de dépistage sont effectifs. Le fait que l'on puisse dépister les personnes malades, surtout les personnes asymptomatiques qui ont été à leur contact, et les isoler, permet de contenir la diffusion de l'épidémie.

Qu'en est-il du futur ? Vous savez comme moi que les connaissances sur le coronavirus – Severe Acute Respiratory Syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) – se sont accumulées depuis cinq mois. C'est une période extrêmement courte pour savoir exactement comment ce virus se comportera dans les mois à venir.

Le SARS-CoV-2 fait partie d'une famille de plusieurs coronavirus. Nous en connaissions quatre qui étaient des virus banals provoquant des rhumes – virus saisonniers mais circulant entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud. Il en existait un cinquième, le SARS‑CoV, qui a disparu après une épidémie survenue en 2002-2003 qui a fait 700 à 800 morts. Un sixième, le Middle East Respiratory Syndrome-related coronavirus (MERS-CoV) touche le Moyen-Orient et évolue par épidémies sporadiques. Or chacun de ces virus connaît une évolution différente. Il est donc très difficile dans l'état actuel des connaissances de savoir si ce virus est saisonnier, s'il disparaîtra, ou s'il risque de se produire une deuxième vague, une troisième, une quatrième, etc. J'espère que d'ici là nous aurons trouvé des thérapeutiques et surtout des traitements préventifs, comme les vaccins.

De nombreux paramètres sont à prendre en compte pour évaluer la possibilité d'une deuxième vague, en particulier l'immunité de la population – immunité acquise au contact du virus tel qu'il existe actuellement, ou immunité croisée conférée par l'exposition aux autres coronavirus, ceux responsables des rhumes. De nombreuses données montrent en effet qu'une immunité croisée pourrait exister. Il y aurait peut-être aussi un impact de la température et de l'humidité, mais probablement dans une proportion assez faible.

En tout état de cause, si nous devions avoir une deuxième vague, je pense qu'avec les outils mis en place – dépistage, isolement des personnes contacts – elle ne devrait pas connaître l'ampleur de la première.

En ce qui concerne les essais sur la chloroquine, je tiens à dire devant vous que je ne me suis pas opposée à quelque scientifique que ce soit – je pense que mes paroles ont été assez claires, et je me suis exprimée à plusieurs reprises à ce sujet dans les médias –, ni à une molécule. J'ai simplement essayé d'apporter un regard critique, qui fait partie de toute démarche scientifique, sur la façon dont une étude observationnelle ou un essai interventionnel pouvaient être menés. Il est très important, quand on porte une conclusion susceptible d'avoir un impact majeur en matière de santé publique, d'avoir des données solides. Avec de nombreux confrères, à partir du mois de mars, nous avons émis des remarques sur la façon dont les essais prônant l'utilisation massive de la chloroquine avaient été menés.

Des données in vitro montrent que l'hydroxychloroquine est efficace contre un très grand nombre de virus. Cela a été montré pour la dengue, le chikungunya, le SARS‑CoV, mais également le SARS-CoV-2. Ces données sont solides. Personne n'a remis en question l'efficacité de l'hydroxychloroquine sur le SARS-CoV-2 comme sur beaucoup d'autres virus.

Il était très important au moment où l'épidémie a émergé, en février-mars, de voir quels médicaments pouvaient être utilisés pour traiter le SARS-CoV-2, étant donné que l'on ne pouvait que repositionner des molécules existantes, la recherche n'ayant pas eu le temps de développer des molécules spécifiques au SARS-CoV-2. Parmi toutes ces molécules à l'essai figurait l'hydroxychloroquine. Le problème est qu'après les essais menés par les personnes qui ont prôné très rapidement l'utilisation de l'hydroxychloroquine – essais conduits avec un très petit effectif, méthodologiquement contestables – il y a eu un espoir prématuré. De nombreuses personnes ont cru que le remède miracle était là.

Pour remettre en perspective ce qu'il s'est passé en mars, une première étude de vingt patients suivie d'une deuxième étude de quatre-vingt-sept patients ont été publiées. Leurs résultats ont donc été mis à la disposition du public et nous pouvons en discuter. Puis une étude portant sur 3 700 patients dépistés et 1 000 patients rapportés a été conduite, mais n'a pas fait l'objet d'une publication. Nous n'avons pas pu savoir qui étaient ces 1 000 patients, comment le traitement leur avait été donné, et s'ils étaient arrivés à l'issue de celui-ci.

Dès que les deux premiers essais ont été publiés, le débat public a été capté par un discours médiatique qui a empêché que toute discussion scientifique soit menée à son terme. Beaucoup d'éléments ayant circulé à ce sujet sur les réseaux sociaux, je me permets de rapporter les propos tenus par Alain Fischer, professeur au Collège de France, dans sa leçon de clôture concernant l'immunologie du SARS-CoV-2. Alain Fischer a rappelé à cette occasion ce qu'était la démarche scientifique : nous avons une hypothèse, nous menons une expérience puis nous soumettons cette expérience à la validation critique. Or, alors qu'il aurait fallu un débat scientifique pour que nous discutions ensemble des limites méthodologiques des démarches engagées et pour que nous construisions ensemble les essais susceptibles de répondre à la question posée, ce débat a été clos. À partir de ce jour-là, nous n'avons plus jamais pu débattre sereinement. La science a été extrêmement malmenée dans ce contexte.

Nous pouvons revenir sur les chiffres. L'Île-de-France s'est vu reprocher – et nous avons été, nous médecins, très sensibles à ces critiques – une mortalité très élevée, alors qu'elle aurait beaucoup plus faible dans d'autres régions où l'hydroxychloroquine avait pu être utilisée à plus large échelle. C'est évidemment faux. Par exemple, certaines régions de France qui ne l'ont pas utilisée n'ont recensé aucun décès.

De plus, une grande confusion s'est opérée entre les notions de létalité et de mortalité. La létalité désigne le nombre de morts parmi les personnes malades, quand la mortalité renvoie au nombre de morts en population générale. À Crépy-en-Valois, la prévalence, c'est-à-dire le nombre de cas positifs au SARS-CoV-2, a été évaluée par sérologie dans la population qui a été en contact avec ce professeur décédé – l'un des premiers cas à avoir alerté l'opinion publique. Ces données solides et méthodologiquement bien construites montrent que le taux d'attaque, c'est-à-dire le nombre de personnes ayant contracté le SARS-CoV-2 était de 25 %, ce qui n'est pas négligeable, mais que la létalité comme la mortalité étaient de 0 %. Dans une population naïve de virus et de traitement, la mortalité et la létalité sont extrêmement faibles. Ce sont les données qui ont été retrouvées en population générale dans les régions où l'on a été tenté de prescrire davantage d'hydroxychloroquine.

La question de l'efficacité de l'hydroxychloroquine chez les personnes présentant des symptômes nécessitant une hospitalisation est close. Plusieurs essais thérapeutiques notamment l'essai Recovery en Angleterre, et l'essai Discovery – essai fille du grand essai Solidarity de l'OMS, qui inclut un grand nombre de patients – ont montré que, par comparaison avec un groupe de patients recevant une prise en charge standard, il n'existait pas d'efficacité démontrée de l'hydroxychloroquine – de même qu'il n'existe aucune efficacité démontrée de n'importe quel autre traitement.

Malheureusement, nous n'avons pas encore de traitement ayant fait ses preuves chez les patients montrant des signes de gravité, c'est-à-dire nécessitant une hospitalisation.

L'autre question intéressante était de savoir si l'hydroxychloroquine pouvait être un traitement prophylactique, c'est-à-dire un traitement préventif de l'infection par le SARS‑CoV‑2. Une grande étude menée aux États-Unis et publiée il y a une dizaine de jours souligne l'absence d'effet prophylactique de l'hydroxychloroquine chez les personnes exposées au SARS-CoV-2.

Tout le monde – et moi la première, en tant que soignante et cheffe de service, qui a travaillé avec ses équipes dans un hôpital submergé de patients atteints du covid-19 – aurait aimé avoir une molécule qui marche, qui soigne et guérisse les patients. Ce n'est pas le cas. J'espère que, dans les semaines à venir, à l'aune des résultats de nouveaux essais thérapeutiques, certaines molécules repositionnées pourront fonctionner. Toutefois, je fais surtout le pari de molécules à venir, dirigées contre le SARS-CoV-2 et qui interféreront pleinement avec le cycle de réplication virale. Il pourra s'agir de plasma, d'immunoglobulines spécifiques du virus, voire anticorps monoclonaux spécifiques du virus, qui émergeront dans les mois à venir – je l'espère, avant une éventuelle deuxième vague.

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