Intervention de Karine Lacombe

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris :

Une inflation d'essais thérapeutiques s'est effectivement produite en France. En Angleterre, il n'existe qu'un seul grand essai thérapeutique : Solidarity. Cet essai comporte cinq bras de traitement, dont l'hydroxychloroquine, qui a été arrêtée, et inclut 11 000 patients. Il permettra de répondre notamment à la question de l'efficacité du traitement lopinavir-ritonavir, et a déjà répondu à celle de l'efficacité de la dexaméthasone – corticoïde efficace face à des signes importants de covid-19, en particulier pulmonaires. Il teste également d'autres médicaments, dont le plasma. Or, mes collègues anglais m'ont dit qu'on leur avait interdit de conduire d'autres essais thérapeutiques. Ce grand essai a permis de mettre tous les chercheurs en ordre de bataille, dans une seule direction, et de tester cinq hypothèses, ce qui est un grand avantage.

Le système anglais est très différent du nôtre. Ainsi, un médecin ne peut pas prescrire les médicaments qu'il veut. À titre d'exemple, un médecin qui se trouve face à un patient infecté par le VIH ne peut pas lui prescrire le traitement qu'il pense être le plus adapté à son cas, mais doit suivre obligatoirement les recommandations nationales. Or celles-ci ne sont pas toujours fondées uniquement sur le bien du patient mais aussi sur des questions de coût, ce qui peut parfois obérer le meilleur soin que l'on pourrait apporter au patient. A contrario, en France nous sommes relativement libres de nos prescriptions dans le cadre de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Si l'on sort de l'AMM, il faut le justifier. Cependant, il est rare que des actions soient entreprises contre des médecins ayant prescrit des médicaments hors AMM.

Le principe de la recherche est le même. Le chercheur est libre de mener l'essai thérapeutique qu'il souhaite à partir du moment où il a des arguments scientifiquement valides qui lui permettent d'obtenir le budget nécessaire pour mener son projet à bien.

Dans une crise telle que celle que nous avons connue, une articulation centrale précoce de la recherche clinique et du choix des traitements, et l'imposition sur l'ensemble du territoire d'un essai thérapeutique global auraient peut-être permis de répondre plus rapidement aux questions que l'on se posait.

Le temps de la recherche n'est pas le temps médiatique. Quand le temps médiatique prend le pas sur le temps de la recherche, une certaine confusion peut effectivement se produire.

Vous avez dit que j'avais été un « acteur médiatique ». Je peux dire également que j'ai été une victime médiatique. À la suite de mes prises de position sur les méthodes, j'ai été menacée de mort et j'ai porté plainte. Avoir à subir des feux médiatiques de ce type est extrêmement dommageable pour la science.

J'en viens à la question de l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans d'autres pays. Il est important de comprendre qu'un médicament est donné pour traiter une pathologie. Or donner l'hydroxychloroquine pour traiter le paludisme peut ne pas avoir les mêmes conséquences et ne pas provoquer les mêmes effets secondaires que le fait de la donner pour traiter le covid-19. Le covid-19 est une maladie virale mais aussi inflammatoire, qui attaque en particulier les vaisseaux. De nombreux patients ont développé des myocardites ou des péricardites, c'est-à-dire une inflammation des vaisseaux du cœur. Nous avons également été alertés de la survenue de maladies inflammatoires cardiaques chez les adolescents. Les vaisseaux sont donc malmenés par le virus. Dans ces conditions, administrer un médicament sans effet secondaire majeur mais dont le principal effet secondaire est cardiologique, sachant que cet effet se potentialise avec la physiopathologie du virus – la façon dont il peut attaquer les vaisseaux –, peut risquer d'augmenter les effets secondaires. C'est pour cela que nous menons des essais thérapeutiques normés sur le plan éthique : pour pouvoir observer les effets secondaires et agir rapidement.

Des alertes de pharmacovigilance ont été émises en mars en Aquitaine et en région PACA, lorsque nous avons vu augmenter de façon considérable l'utilisation de l'hydroxychloroquine. De plus, dans la plupart des pays où des essais thérapeutiques ont été menés avec l'hydroxychloroquine – États-Unis, Angleterre, Norvège, Brésil –, l'utilisation de celle-ci a été interrompue. Le corpus de connaissances accumulées ne joue pas en faveur de l'hydroxychloroquine entendue comme molécule innovante pour traiter le SARS-CoV-2. En tant que clinicienne, j'en suis la première contrite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.