Intervention de Karine Lacombe

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris :

Je reprends tout d'abord la question concernant les liens et conflits d'intérêts du conseil scientifique, de la HAS et de l'ANSM. Je suis quelqu'un de profondément humain. Nous avons été confrontés à une crise sanitaire majeure. Nous avons vu des personnes arriver à l'hôpital sur leurs deux jambes sans oxygène, avoir de l'oxygène à 4 litres à midi, être intubées et ventilées le soir, et pour certaines décéder le lendemain. Je crois que cela nous a appris beaucoup d'humilité.

Je ne peux pas croire que, dans une situation sanitaire aussi exceptionnelle, il y ait eu de la part du conseil scientifique, de la HAS, ou de l'ANSM, une volonté de ralentir l'arrivée sur le marché de certains médicaments – repositionnés ou innovants – simplement au motif qu'un laboratoire, aussi puissant soit-il, le souhaitait. Il faut faire attention d'ailleurs à l'image que nous pouvons en avoir, les géants aux pieds d'argile existent. Je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, ni de l'absence de conflits d'intérêts, de financements occultes, etc. C'est mon cœur qui parle. Je me prononce en tant que médecin qui a été en contact avec certains membres du conseil scientifique comme avec la HAS et l'ANSM – comme tout médecin doté de responsabilités en matière de recherche. Je n'ai jamais eu le sentiment qu'un médicament était plus favorisé qu'un autre. Au contraire, on nous a poussé à monter les essais nécessaires pour montrer l'efficacité de certains médicaments par rapport à la prise en charge standard. Il y avait d'ailleurs un bras hydroxychloroquine dans l'essai Discovery, comme il y avait un bras remdesivir, un bras lopinavir, etc.

Je vous remercie de m'avoir interrogée sur mon équipe. J'ai passé deux heures à faire un retour d'expérience le 24 juin avec mon équipe de Saint-Antoine, d'une centaine de personnes. Les retours d'expérience sont extrêmement importants. En effet, nous avons le sentiment qu'une fois la crise traversée nous reprenons nos activités normales. Or, lorsque l'on discute de ce que nous avons vécu, nous constatons que certaines failles se sont rouvertes à l'occasion de la crise et que d'autres sont apparues. Beaucoup de choses n'ont pas été assimilées – beaucoup d'angoisse, et de peur. Certains soignants, médecins ou personnel non médical, ont été infectés, et ont vécu de l'intérieur cette peur de mourir qu'ils voyaient chez les patients dont nous nous sommes occupés.

Les retours d'expérience montrent que les équipes hospitalières ont globalement eu le sentiment d'avoir fait du mieux qu'elles pouvaient. Toutes ont également le sentiment d'avoir été reconnues dans cette tâche et dans cet investissement, par les citoyens comme par vous. Tous, vous avez fait passer un message de bienveillance et de soutien aux soignants. J'espère qu'à l'occasion du Ségur de la santé nous pourrons avoir une loi reconnaissant le besoin de valorisation de la médecine en France, notamment de la médecine hospitalière.

C'est un vertige de se retrouver devant un virus inconnu. Nous-mêmes, les soignants, nous sommes comme n'importe quel citoyen de ce point de vue. Tout citoyen, quel qu'il soit et quelle que soit sa profession, est touché dans son intérieur par cette maladie inconnue.

Nous avions tous envie d'avoir un médicament rapidement disponible et à l'efficacité démontrée. Cependant, affirmer et répéter sur les réseaux sociaux que tel médicament – celui‑ci et pas un autre – fonctionne, et qu'il faut le prendre fait émerger un sentiment d'espoir. Or quand un espoir est douché, cela remet les choses à leur juste valeur. Cela se produit maintenant. Des personnes qui n'étaient peut-être pas très malades sont décédées d'avoir pris de la chloroquine. Il y en a !

Le rôle d'un médecin est de « primum non nocere ». Avant tout, il ne doit pas faire de tort. Donner un médicament efficace implique toujours de faire la balance entre les bénéfices et les risques. Nos collègues de Marseille avaient les moyens de conduire un essai plus massif, puisqu'ils ont dépisté 3 500 patients. Dans cette configuration, il aurait été possible de mener un essai permettant d'évaluer l'efficacité de l'hydroxychloroquine par rapport à la prise en charge standard. Or cela n'a pas été fait. Pourquoi ? Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. S'il devait y avoir une commission indépendante sur la façon dont les essais ont été menés, je pense que cette question devrait être posée.

Il a été dit que nous étions dans l'incapacité de bien tester les clusters. Je me permets de vous contredire. C'était le cas en février et en mars, lorsque nous n'avions pas de tests. Les tests de Polymerase Chain Reaction (PCR) sont désormais largement disponibles. Nous pouvons diagnostiquer le covid-19 chez une personne présentant des symptômes évoquant cette maladie. Il existe une nuance entre le diagnostic et le dépistage. Le diagnostic porte sur les personnes malades. Le but de tester les clusters est de dépister alentour les personnes asymptomatiques et de les isoler. Cette stratégie de diagnostic, dépistage et isolement des clusters doit être menée à grande échelle. J'espère que les structures mises en place avec les caisses d'assurance maladie – le dispositif Covisan, à Paris, par exemple, comme les systèmes analogues en régions – permettront d'y parvenir. Les chiffres de Santé publique France semblent le démontrer.

Il a été dit que j'avais été sévère avec le professeur Raoult lors de la conférence de presse du Premier ministre, et que j'avais parlé de l'essai Discovery. Je pense avoir été confondue avec ma collègue de Lyon Florence Ader. J'ai moi-même participé à la première conférence de presse, le 28 mars. On m'a appelée la veille pour me demander si j'acceptais d'y parler de virologie, d'épidémiologie et d'histoire naturelle – c'est-à-dire des manifestations cliniques du virus. Je n'avais eu aucun contact avec le ministère de la santé ou la présidence dans les jours précédents – en dehors d'un court appel d'Olivier Véran qui a appelé de nombreux médecins pour savoir comment cela se passait dans les hôpitaux.

Le professeur Ader a participé pour sa part à la deuxième conférence de presse, qui a eu lieu quelques semaines plus tard. Elle est l'investigatrice principale de l'essai Discovery. C'est elle qui a mentionné cet essai. Sans vouloir me prononcer à sa place, il ne me semble pas qu'elle ait attaqué le professeur Raoult.

Le plasma est une thérapeutique éprouvée utilisée dans de nombreuses maladies infectieuses, avec plus ou moins de succès. Par exemple, le plasma de patients convalescents d'Ebola n'a pas fonctionné. Un essai thérapeutique concernant le plasma de convalescents du SARS-CoV-2 a été lancé en France car des cohortes de patients ont été traités de cette façon en Chine, apparemment avec succès. Nous avons donc monté un essai thérapeutique multicentrique déclaré en CPP, incluant neuf centres. L'essai étant encore en cours, je ne peux vous en donner les résultats. Nous allons ouvrir un centre à Mayotte, et aussi un centre en Guyane où l'épidémie fait rage et n'atteindra probablement pas son pic avant la fin du mois de juillet. Il est donc indispensable d'apporter une solution thérapeutique à nos collègues de Guyane.

Grâce aux données relatives à la tolérance du plasma, l'ANSM a édité un protocole d'utilisation thérapeutique. Nous pouvons donc utiliser le plasma dans des conditions discutées entre professionnels dans le cadre d'une réunion de concertation pluridisciplinaire. Nous l'utilisons actuellement sur des patients immunodéprimés – qui n'ont pas de défenses immunitaires et ne peuvent donc pas avoir d'anticorps anti-SARS-CoV-2 – et qui présentent des symptômes chroniques récidivants. Nous avons chez ces patients des résultats plutôt positifs. Je peux vous en parler, car il ne s'agit pas d'un essai thérapeutique mais d'une utilisation du plasma encadrée par l'AMM.

J'aimerais que le vaccin soit prêt en septembre. Si l'on envisage que le covid-19 revienne à l'automne mélangé à tous les autres virus – rhinovirus, métapneumovirus, virus respiratoire syncytial, grippe, etc. – il sera difficile de faire la part des choses. Le test sera donc très important.

Nous savons qu'il existe malheureusement en France une hésitation vaccinale majeure. Au tout début de mes interventions télévisées, j'ai été en contact avec le public. Une auditrice m'a dit qu'elle avait très peur du virus et me demandait si elle pouvait prendre un traitement. Je lui ai demandé si elle était vaccinée contre la grippe. Elle m'a répondu par la négative et n'a pas compris pourquoi je lui posais cette question. Or la grippe fait mourir des milliers de personnes chaque année, et pourtant les gens ne se vaccinent pas contre elle. J'espère que l'alerte majeure du covid-19 constituera un argument en faveur de la vaccination si un vaccin est disponible un jour, et que la majorité de la population française se vaccinera contre le covid-19. Il me semble plus raisonnable sur ce point d'envisager une disponibilité du vaccin d'ici un an plutôt que dans trois mois.

Le remdesivir fait partie de l'essai Discovery. Un essai international est également mené comparant son utilisation à une prise en charge standard, la France étant l'un des pays incluant des patients. Pour l'instant, nous avons peu de données concernant l'efficacité de ce médicament sur la morbi-mortalité. Je peux le dire, car les données sont publiées. Le laboratoire a montré en revanche que l'on constatait un raccourcissement de la durée d'hospitalisation. Cependant, en tant que clinicienne, garder le patient à l'hôpital cinq jours de plus ne me gêne pas, s'il guérit. Je ne suis pas un financier. La question de la durée d'hospitalisation relève plutôt des finances publiques. Ce qui m'importe, c'est de savoir si la molécule a un effet sur la morbi‑mortalité. Or à ce jour les données publiées ne montrent pas d'effet du remdesivir sur la morbi‑mortalité. Nous verrons ce qu'il en sera dans le futur, à l'aune des résultats des essais en cours.

Concernant l'évolution de l'épidémie en Chine et en Italie, je peux vous apporter mon regard de soignant et d'épidémiologiste. Nous avons été beaucoup, y compris certains membres du conseil scientifique, à établir une analogie entre le SARS-CoV-2 et le SARS‑CoV. Nous avons tous eu extrêmement peur de ce dernier virus en 2002-2003. Les mesures prises en Chine à l'époque, ainsi que dans les pays touchés comme le Canada et les États-Unis, ont permis de contenir l'épidémie.

En janvier-février, nous manquions de connaissances précises sur le SARS-CoV-2. Or il est très différent du SARS‑CoV – responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) – qui ne se transmet qu'entre personnes symptomatiques. Le SARS-CoV-2 se transmet en effet par les personnes asymptomatiques, avant qu'elles ne présentent de symptômes. Il est beaucoup plus facile d'isoler des personnes symptomatiques pour éviter que le virus se propage que d'isoler des personnes asymptomatiques. Nous avons tous été piégés par cela. Nous avons vu que l'épidémie allait devenir hors de contrôle lorsque le nombre de cas a flambé en Italie. Quand j'ai ouvert le centre de dépistage à l'hôpital Saint-Antoine fin février, les premiers patients que j'ai vu arriver avec un syndrome pseudo-grippal étaient des personnes qui avaient assisté au rassemblement religieux dans le Grand Est. Je me suis dit alors qu'entre ces patients qui arrivaient et les nouvelles qui nous parvenaient d'Italie, ce virus n'était pas du tout ce que l'on pensait. Ce n'était pas du tout le SARS-CoV, et cela allait être difficile.

Un biais d'histoire s'applique. Nous relisons les mois passés à l'aune de ce que l'on sait aujourd'hui du virus. Les chaînes de décision n'étaient pas basées à l'époque sur des connaissances exactes.

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