Intervention de Karine Lacombe

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris :

Les enquêtes de pharmacovigilance ont débuté en mars, dès le début de l'utilisation de l'hydroxychloroquine. L'imputabilité est effectivement difficile à mettre en évidence. Cependant, lorsqu'un médicament est utilisé de façon massive et que l'on voit augmenter un signal sur certains effets secondaires, en particulier cardiovasculaires, il se présente non un lien de causalité mais de temporalité. C'est pourquoi des alertes sont émises, comme elles l'ont été à cette époque.

L'essai qui a montré combien l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le contexte du covid-19 devait être réfléchie est celui qui a été mené au Brésil, où l'hydroxychloroquine a entraîné un taux de mortalité par cause cardiaque supérieur chez les patients, par comparaison avec le groupe standard de traitement. Cet essai était cependant critiquable en ce que la posologie de l'hydroxychloroquine utilisée était élevée. Vous voyez que je n'élude aucun des problèmes que peuvent poser les études.

Mais pour que l'hydroxychloroquine soit efficace, elle ne peut être utilisée à une posologie standard faible. Nous l'avons bien vu in vitro, il faut l'administrer à une posologie assez élevée. Ainsi, dans l'essai Recovery, la posologie initiale était le double de celle des jours suivants. Une concentration de médicament importante dans le sang est nécessaire, et rapidement, pour qu'il y ait une efficacité antivirale. C'est probablement parce que l'on doit utiliser l'hydroxychloroquine à une posologie assez élevée que le risque cardiovasculaire augmente.

Nous avons utilisé l'hydroxychloroquine dans mon service au début du mois de mars, comme dans toutes les régions touchées par le SARS-CoV-2. Une enquête de densité de l'utilisation de cette molécule menée en France montre qu'elle a surtout été utilisée dans le Grand Est et en région parisienne.

Nous avons très vite arrêté d'utiliser l'hydroxychloroquine, comme nous avons arrêté d'utiliser le lopinavir-ritonavir, avant la fin du mois de mars, car ces molécules ne montraient pas d'efficacité chez les quelques centaines patients que nous avions en face de nous. Dans tous les cas, pour montrer une différence d'efficacité entre plusieurs bras de traitement, ce sont plusieurs centaines de patients qui doivent être inclus dans chaque essai. C'est pourquoi nous avons décidé de réserver l'hydroxychloroquine ou le lopinavir au seul cadre des essais thérapeutiques. »

Le taux de mortalité dans mon service était peu élevé, car j'ai un service de médecine et les patients étaient transférés en réanimation lorsqu'ils allaient mal. Ce taux ne représente donc pas le taux de mortalité hospitalière, qui avoisine les 10 %. Dans les services de réanimation, il atteint 25 %.

S'il est quasi-impossible de montrer l'efficacité de la dexaméthasone en France, c'est parce que nous n'avons jamais eu dans nos services une mortalité aussi élevée que celle du bras standard de traitement de l'essai Discovery, qui était de 40 %. Dans le bras standard de traitement nous traitions déjà nos patients avec la meilleure prise en charge disponible, dont les corticoïdes.

J'ai expliqué le principe des liens d'intérêts et montré combien il était encadré par la loi. Je n'ai pas regardé les médias ce matin. L'encadrement de mes liens d'intérêts est extrêmement strict. Il n'y a pas d'enrichissement personnel – contrairement à ce que l'on pouvait soupçonner avec les conflits d'intérêts – ni de financement occulte – la base de transparence est là pour le prouver. Tout le travail qui a fait l'objet de rémunération a été effectivement réalisé. La préparation d'une conférence d'une demi-heure demande sept heures de travail, le soir et le week-end. De même, pour participer une réunion d'experts, je dois relire des documents et y porter un regard scientifique, ce qui prend quatre à cinq heures de travail, là aussi le soir et le week-end. Il est normal qu'un travail fourni fasse l'objet d'une rémunération correspondant à sa valeur, cette rémunération étant encadrée et déclarée en toute transparence.

La question relative aux médecins généralistes au cœur du dispositif est extrêmement intéressante. S'il y a une grande leçon à tirer de cette crise, c'est que la médecine générale n'a pas été assez mise au cœur du dispositif. Une erreur, probablement liée à l'angoisse, a été commise. Nous avons dit aux personnes malades de ne pas se rendre chez leur généraliste et d'appeler le 15. Le 15 s'est retrouvé débordé.

Il ne faut pas non plus reconstruire l'histoire. Au moment où ces décisions ont été prises, nous étions dans une phase de débordement où nous ne savions pas comment le virus se transmettait. Nous nous sommes dit que, si tout le monde se précipitait chez son médecin alors qu'il n'y avait pas de masques en dehors de l'hôpital, nous risquions une transmission massive du virus.

C'est une leçon à tirer de la crise. Le généraliste doit être au cœur de la prise en charge des patients dans un phénomène épidémique, en particulier quand la grande majorité des patients ont peu de symptômes et ne doivent donc pas être hospitalisés. 85 % des personnes infectées ont peu de symptômes. Toutefois, je ne minimise pas les symptômes. Vous savez qu'il existe des covid chroniques et des syndromes post-covid. Cela ne signifie pas que les gens ne sont pas malades, mais ils n'ont pas de symptômes assez graves pour être hospitalisés.

La France n'a pas été mauvaise sur le plan de la mortalité, mais sur le plan du dépistage. Moins on dépiste, plus le taux de létalité est élevé – ce dernier correspondant au nombre de décès par rapport au nombre de dépistages réalisés. Le taux de mortalité, c'est‑à‑dire le nombre de décès par million d'habitants, n'est pas si élevé en France par rapport à d'autres pays. Par exemple, la Belgique présente un taux bien supérieur au nôtre, tout comme la Suède qui n'a pas confiné sa population. La France se trouve en la matière au huitième rang des pays européens.

L'essai plasma inclut 120 patients, 60 bénéficiant du plasma et 60 du standard de traitement. Lorsqu'il a été ouvert début avril, l'épidémie était déjà en phase de décélération. Nous avons eu très rapidement une décélération du nombre de personnes qui sont arrivées à l'hôpital – ce qui était une bonne chose pour les équipes de soins. Dans un essai thérapeutique, des critères d'inclusion sont à respecter pour faire en sorte que la population chez laquelle on teste un médicament soit la plus homogène possible et pour éviter les biais. Or de nombreux patients arrivés en avril, lors du lancement de l'essai plasma, n'avaient pas les critères d'inclusion pour en bénéficier.

Nous n'avons pas eu de résultats préliminaires comme nous l'espérions pour fin avril ou début mai. En revanche, nous mettrons le plasma à disposition de Mayotte et de la Guyane, et j'espère que nous pourrons répondre à la question de son efficacité. Aux États‑Unis, où l'épidémie fait encore rage, la tolérance au plasma a été évaluée chez plus de 20 000 patients. De nombreux patients ont bénéficié du plasma indépendamment des essais thérapeutiques, et la tolérance semblait excellence.

Le mot de « fiasco » employé pour qualifier l'essai Discovery me semble injuste. Discovery n'est pas un fiasco. Cet essai a inclus en France le nombre de patients prévu, près de 800. Dans une tribune assez remarquée publiée dans Le Monde, mon collègue le professeur Yazdan Yazdanpanah a pointé le manque de coopération européenne en matière de recherche. Il est extrêmement difficile d'avoir une coordination européenne de la recherche en Europe, et c'est peut-être l'un des enseignements de cette crise. Il faudrait une institution européenne beaucoup plus forte pour le management de la recherche. Ainsi, Discovery n'a pas inclus à ce jour 1 700 patients car les pays européens participants à l'essai ont mis beaucoup de temps à se mettre en ordre de marche. Les centres sont ouverts. Si une deuxième vague survient, Discovery sera présent. Il s'agit d'un essai fille de l'essai international Solidarity, qui inclut de très nombreux patients en Amérique du Sud. J'espère que nous aurons des résultats avant une éventuelle deuxième vague.

Concernant les doutes relatifs aux liens d'intérêts avec Gilead et AppVie, je pense avoir déjà répondu à cette question lorsque j'ai expliqué ce qu'était un lien d'intérêts et lorsque je suis revenue sur la question de l'absence d'enrichissement.

Pour avoir beaucoup discuté avec mes collègues à l'international – en Australie, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne –, j'ai pu constater que tout le monde avait été sidéré par l'intensité du débat qu'il y a eu en France sur l'hydroxychloroquine. Il est vrai néanmoins que ce débat a été porté par des personnalités extrêmement médiatiques. Vous avez pu le constater lors de vos auditions précédentes.

J'ai pris la remarque portant sur la présence des médecins dans les médias comme un reproche, mais vous me direz si ce n'est pas le cas. Je me suis personnellement exprimée dans les médias. Je ne suis pas allée chercher la parole, mais je l'ai prise quand on me l'a donnée. Au début de l'épidémie, nous entendions des propos soit très alarmants, soit très rassurants. Nous avions besoin d'une ligne médiane susceptible de faire la part des choses. J'enseigne, c'est une grande partie de mon activité. On m'a dit à plusieurs reprises que j'arrivais à faire passer de façon pédagogique des messages de vulgarisation pour le grand public, sans minimiser et sans modifier le message scientifique. Il m'a paru important, vu l'intensité de la crise, d'essayer de faire passer de bonnes informations. Si j'ai fait passer des informations erronées, je m'en excuse. Je suis bien sûr ouverte à la discussion à ce sujet, mais je ne crois pas avoir diffusé beaucoup de mensonges.

Concernant la proximité des centres de recherche du quotidien des malades, les centres hospitalo-universitaires (CHU) français ont une réelle capacité à faire travailler ensemble médecins et chercheurs, hospitaliers et universitaires. Une réforme des CHU a eu lieu récemment pour rapprocher l'université de l'hôpital. Tous les médecins comme moi qui ont une valence universitaire travaillent main dans la main avec les médecins hospitaliers, les patients et la recherche. Cette imbrication est extrêmement importante pour faire avancer la science.

S'agissant enfin de mon opinion portant sur le discours relatif aux masques, elle n'est guère différente de tout ce qui a été exprimé jusqu'à présent. Je ne suis pas en situation d'autorité sur la gestion des masques. Je ne peux donc pas m'exprimer sur ce plan. Dans mon expérience de clinicienne à l'hôpital, nous n'avons pas manqué de masques. En revanche, fin février et début mars, ils ont manqué en pharmacie quand nous avons voulu en prescrire aux patients que l'on renvoyait chez eux avec un diagnostic de SARS‑CoV‑2. Cela a été l'un des éléments les plus représentatifs du discours qui a pu décrédibiliser nos institutions à l'occasion de cette crise.

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