Intervention de Xavier Bertrand

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 10h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé et des solidarités (2005-2007) et ancien ministre du travail, de l'emploi et de la santé (2010-2012) :

Le stock de masques est constitué en France à partir de 2006, alors que j'étais ministre, et lorsque survient la crise H1N1, on n'a manqué de rien, ce qui prouve que la France était préparée à faire face à une crise majeure et durable.

Dans l'instruction de novembre 2011 faisant suite à la création des ARS, dont a parlé Mme Gomez-Bassac et que je transmets à l'ensemble des commissaires, il n'est pas question de stocks tactiques. Ils font l'objet d'un autre document, en possession de la présidente et du rapporteur, et qu'ils pourront vous communiquer. Contrairement à ce que vous avez pu entendre, il n'y a aucun changement en la matière en 2011. Là encore, pourquoi aurais-je voulu défaire ce que j'avais fait ?

Concernant ensuite les considérations budgétaires auxquelles vous faites allusion, permettez-moi de vous donner lecture du compte rendu de la séance du 28 octobre 2011 à l'Assemblée nationale, au cours de laquelle est examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Isabelle Vasseur, rapporteure du budget de la sécurité sociale pour la commission des finances, défend un amendement qui a pour objet de baisser la dotation de l'EPRUS. Je lui réponds alors :

« Il ne s'agit pas seulement de dire qu'on fait des économies. En matière d'économies, je peux aussi faire des propositions […], mais êtes-vous sûrs et certains, messieurs les rapporteurs, au-delà de la logique budgétaire, que l'EPRUS sera en mesure de procéder aux renouvellements de stocks stratégiques ? À l'EPRUS, à qui a-t-on posé la question ? […] En cas d'urgence sanitaire exceptionnelle, est-on capable de mobiliser immédiatement tous les fonds ? Voilà les deux questions que je pose. […] Il ne s'agit pas d'avoir des dotations de confort. L'époque ne s'y prête pas, elle ne s'y prête plus. Aucun organisme ne peut se dire, aujourd'hui, qu'il va demander plus que ce dont il a besoin. Tout le monde sait bien que ce n'est plus dans l'air du temps. Mais de là à ne pas donner les crédits suffisants pour intervenir, il y a une différence. Moi, cela me pose un problème de fond, en cas d'urgence sanitaire. »

Je vais plus loin : « Ce n'est pas parce que l'EPRUS est mon bébé que j'ai le moindre droit de suite en la matière, là n'est pas le sujet. Je veux bien que l'on fasse des économies, mais sans se contenter d'aligner les chiffres sur une feuille, il faut voir ce dont nous avons réellement besoin. […] Nous savons être réactifs, mais il vaut mieux ne pas avoir à se poser la question, au moment de faire des commandes, des sommes que l'on peut engager immédiatement, et disposer, non pas de marges, mais simplement des moyens nécessaires. Lors d'une crise sanitaire, on a d'autres problèmes à régler. Avis défavorable. »

Voilà exactement mon état d'esprit en octobre 2011. Je n'ai absolument pas varié entre 2006 et 2011, et j'obtiendrai d'ailleurs le rejet de cet amendement.

Selon moi, même si l'épidémie de H1N1 était derrière nous, il n'était pas question de faire des économies sur le dos de l'EPRUS et de risquer de compromettre son fonctionnement et la préparation du pays, et ce malgré les attaques sévères portées à l'Assemblée comme au Sénat contre Roselyne Bachelot, accusée d'avoir dépensé sans compter. Je sais compter, madame la députée, mais la logique purement comptable et court-termiste n'a pas ma préférence, parce qu'elle conduit à faire des erreurs.

Quant à l'échéance présidentielle de 2012, je ne suis pas certain qu'elle ait interféré en quoi que ce soit, ni que le résultat s'en soit joué sur cette histoire.

En ce qui concerne le conseil scientifique, je connais bien son président, que j'ai nommé à différentes fonctions quand j'étais ministre de la santé, c'est quelqu'un d'éminemment respectable. La question que pose la mise en place de ce conseil est la suivante : qui décide en démocratie, les scientifiques ou les politiques ? Selon moi, la responsabilité politique ne se délègue pas et ne se partage pas, c'est aux politiques de prendre les décisions et de les assumer.

Vous m'interrogez par ailleurs sur le confinement. La question que je me pose pour ma part est celle de savoir si la date de début du confinement est liée à celle du premier tour des élections municipales…

Ensuite, il ne faut pas se mentir, beaucoup des décisions qui ont été prises et beaucoup de ce qui nous a été dit sont liés à la pénurie de masques ou de tests. Cela étant, pour ce qui regarde l'attitude des pouvoirs publics, beaucoup de pays s'en sont franchement plus mal sortis que nous ; d'autres s'en sont mieux sortis, mais il est inutile de noircir le tableau ; je constate surtout que des dizaines de familles ont été endeuillées, tandis que nombre de nos compatriotes se sont épuisés au travail ou ont été mis à terre par ce satané virus.

Le plus important me paraît concerner l'attitude que nous devons avoir avec nos concitoyens. Il ne faut jamais les infantiliser, c'est un manque de respect. Je pense sincèrement qu'il aurait fallu leur expliquer simplement que nous manquions de masques et que ceux-ci seraient donc réservés en priorité aux personnels hospitaliers. Le Président de la République a parlé de guerre contre le virus : soit, mais « à la guerre comme à la guerre » alors, ce qui veut dire faire fi de toutes les procédures administratives et réquisitionner des industries pour produire des masques ! Beaucoup de masques ont été fabriqués, mais surtout grâce au système D, et grâce aux Français. Ces Français que l'on dit querelleurs, chamailleurs, indisciplinés, ont été remarquables, formidables. Ce sont eux qui, dans la peur et la sidération, ont fait le succès du confinement. Si nous nous étions lancés dans la fabrication industrielle de masques, tout le monde aurait pu en être doté, au lieu de quoi, on a entendu que les masques n'étaient pas utiles et que nous ne saurions pas les mettre… Dans des circonstances exceptionnelles, les Français peuvent tout entendre, si on leur dit la vérité. Nous avions un problème de disponibilité, et c'est la pénurie qui a fixé la doctrine.

Lorsque l'on fait des erreurs, il faut les reconnaître. Par exemple, dans l'opération « Un masque pour tous », notre région a connu des retards, et les maires ont dû subir les récriminations de la population. Je me suis exprimé pour dire qu'en tant que président du conseil régional, j'étais le seul responsable et qu'il ne fallait pas s'en prendre aux maires.

Il faut assumer, même si c'est terriblement compliqué ; on ne sait pas de quelles informations disposaient le Président de la République et le Premier ministre, et ces informations pouvaient d'ailleurs être contradictoires. C'est ainsi qu'au moment de la crise du chikungunya, je me souviens avoir déclaré : « Les scientifiques me disent que le chikungunya n'est pas mortel, mais je voudrais en être sûr. » Le lendemain, on apprenait les premiers décès.

En matière de pilotage, le ministère de la santé peut s'occuper des choses jusqu'à un certain point, au-delà duquel la gestion de la situation ne peut plus relever du seul DGS ; un délégué interministériel doit prendre le relais. Lorsqu'il a pris ses fonctions, Olivier Véran a fait preuve d'une extrême réactivité et a d'emblée assumé la totalité de ses responsabilités, mais je suis intimement convaincu qu'un délégué interministériel, directement rattaché au Premier ministre, est indispensable.

En ce qui concerne les relations avec les collectivités territoriales, l'État a surtout travaillé avec les mairies, pensant peut-être que les régions ne s'occupaient que du transport, des lycées et des questions économiques. Disons-le clairement, nous n'avons pas été des partenaires privilégiés. Dans les Hauts-de-France, j'ai la chance d'avoir un écosystème un peu particulier dans lequel le représentant de l'État tient toute sa place et avec lequel nous coopérons pleinement. C'est d'ailleurs grâce à cela, puisque Boris Vallaud m'interrogeait sur le premier cluster, que la coopération entre le public et le privé a été parfaitement fluide.

Lorsque des risques de pénurie se sont fait sentir, j'ai pu faire passer des messages, de manière à organiser une véritable coordination entre Lille et Amiens, qui était en première ligne en raison de ce premier cluster dans l'Oise. Entendons-nous bien, si je suis un peu sorti de mon rôle, j'ai toujours considéré qu'il n'y avait en France qu'un seul ministre de la santé, Olivier Véran. Le rôle des anciens ministres de la santé était plutôt de se serrer les coudes pour défendre l'intérêt général, que de jouer des coudes. Peut-être m'exprimerai-je davantage sur la façon dont les choses se sont passées lorsque tout cela sera terminé mais, dans la crise, il est inutile de s'encombrer de polémiques.

Quoi qu'il en soit, notre écosystème a permis à notre système de santé de ne pas craquer, alors que nous avons été confrontés au premier cluster, au premier décès d'un médecin, et que les services de réanimation de l'hôpital d'Amiens sont passés à deux doigts de la rupture. Sans le confinement, nous aurions vu les mêmes situations que pendant la canicule de 2003, où l'on n'allait pas à l'hôpital pour se faire soigner mais le plus souvent pour y mourir.

Alors, on peut dire ce qu'on veut du système de santé français, se montrer critique à juste titre sur la gestion des équipements ou des traitements, mais la vraie différence, ce sont les soignants et les personnels hospitaliers qui l'ont faite.

Les directeurs ont su, intelligemment, donner les moyens aux soignants de s'organiser au sein de l'hôpital, mais aussi entre secteur public et secteur privé : à Saint-Quentin, tout le monde a collaboré, chacun était d'abord un soignant avant de savoir de quelle structure ou de quel régime il relevait. C'est l'une des leçons à retenir de cette crise : il faut faire confiance aux soignants ; quand l'administration de l'hôpital se met au service du soin, les résultats sont là.

Il m'est très difficile de dire ce que j'aurais fait. La seule fois où j'ai fait entendre ma différence, c'est sur le premier tour des élections municipales, car je ne voyais pas comment il pouvait être maintenu après avoir pris la décision, la veille, de fermer les restaurants, les bars et les hôtels.

Le principal risque ne concernait pas le déroulement du scrutin proprement dit mais les soirées électorales : je voyais mal comment il serait possible d'exiger des gens qu'ils respectent les gestes barrières. D'ailleurs, j'ignore si ces rassemblements ont pu être des foyers de contamination, mais il serait important qu'on le sache.

Pour le reste, quand vous n'avez pas accès aux informations dont disposent nos gouvernants, il est compliqué de porter un jugement, y compris après la crise.

En ce qui concerne la doctrine du port du masque, elle figure dans le plan gouvernemental de prévention et de lutte « Pandémie grippale » – qui n'a jamais été remis en cause –, plus précisément à la page 43 de la fiche technique du 18 janvier 2006, laquelle détaille les différents cas : personnes vivant dans l'entourage immédiat d'un cas suspect ou avéré et contribuant à ses soins : masques anti-projections ; personnes vivant dans l'entourage immédiat d'un cas suspect : masques anti-projections ; personnes se rendant dans les lieux publics : masques anti-projections ou masques grand public – en 2006, nous n'avions pas encore de masques en tissu lavables ; personnes se déplaçant en transports en commun : masques anti-projections ou masques grand public ; intervenants exposés régulièrement au public : masques FFP2 ; intervenants exposés régulièrement à des cas suspects ou avérés : masques FFP2 et gants de protection ; intervenants potentiellement en contact étroit avec des cas suspects ou avérés ou des prélèvements issus de tels cas : masques FFP2, gants de protection, lunettes de protection et vêtements de protection.

Quant aux professionnels de santé, je considère que c'est à l'État d'assurer leur protection. C'est la raison pour laquelle, en janvier 2007, j'ai adressé à 400 000 d'entre eux, partout en France, un kit de protection, afin qu'ils ne soient pas tributaires des problèmes de logistique et d'acheminement par les ARS ou les autres prestataires. Certains de ces kits ont été ressortis à l'occasion du covid-19, mais leurs dates de péremption étaient dépassées depuis longtemps.

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