Je tiens à exprimer toute l'importance que j'accorde à cette audition devant la représentation nationale et tout le respect que j'y porte. Tout au long de la crise sanitaire, le dialogue avec les parlementaires a été constant. Le soutien appuyé que vous avez manifesté aux établissements comme aux professionnels de santé lorsqu'ils étaient dans la tourmente a été extrêmement apprécié.
Depuis que je suis président de la fédération, j'ai eu bien des motifs d'être fier de notre profession. Au cours de cette crise hors du commun, la force de l'engagement des 1 030 hôpitaux et cliniques privés « médecine, chirurgie, obstétrique » (MCO), soins de suite et de réadaptation (SSR), psychiatrie, les ressources de dévouement et de créativité déployés par les professionnels dans la diversité ont été absolument exemplaires. Qu'il me soit aujourd'hui permis de leur exprimer publiquement ma reconnaissance. Les professionnels ont aussi payé un lourd tribut, je veux leur rendre hommage.
Les Français attribuaient déjà aux établissements de santé, de tous statuts, comme aux soignants une côte de satisfaction très élevée, de 88 %. Cette crise sanitaire est venue conforter le pacte de confiance entre notre pays et ses acteurs de santé. Dès le 13 mars, répondant à la demande du Gouvernement, nos établissements ont procédé à la déprogrammation massive des interventions médicales et chirurgicales non urgentes, à hauteur de 100 000 patients par semaine, afin de libérer les capacités d'accueil nécessaires pour les patients touchés par le covid.
Les établissements et leurs équipes ont revu dans l'urgence leur organisation pour augmenter, partout où cela était nécessaire, les capacités en réanimation et en soins intensifs. Nous sommes passés de 500 lits de réanimation autorisés à plus de 4 000. Ainsi, en Île-de-France, aux côtés du privé associatif, 26 % des malades en réanimation ont été soignés dans nos établissements. De multiples enseignements sont à tirer de cette séquence inouïe que nous avons vécue ensemble et qu'il serait bien hasardeux de conjuguer au passé. Au-delà des divergences, une dimension majeure a fait consensus, à savoir la réussite de la coopération entre le secteur public et le secteur privé, que de nombreux intervenants ont déjà soulignée devant vous. Là où cette coopération s'est exprimée sans entraves, favorisant une réponse coordonnée des acteurs, elle s'est faite au bénéfice des patients et de la santé publique même s'il y a pu avoir, ici ou là, des frilosités, des replis statutaires, des pesanteurs. Nous avons aussi partagé avec les autres fédérations hospitalières des alarmes, notamment au début de la crise quand les équipements de protection venaient à manquer.
Les règlements de compte sont aussi stériles que les retours d'expérience sont utiles. De ces quelques mois je retiens la mise en partage permanente des ressources humaines comme matériel transcendant les statuts. Elle révèle en miroir ce que notre système de soins pourrait être s'il était fondé sur une vraie convergence des forces et un dialogue renforcé entre ses différentes composantes.
Enfin, je tiens à dire que, même au plus fort de l'épidémie, la fédération que je représente s'est sentie soutenue dans son action au service de la santé des Français. Bien sûr, des leçons seront à tirer en matière de gouvernance, nationale et régionale, d'une crise sanitaire et des leviers d'amélioration seront à envisager dans le pilotage et la fluidité. Mais nos interlocuteurs de la sphère politique comme de la sphère administrative ont manifesté tout au long de ces semaines, à Paris comme en région, une attention appuyée à nos problématiques. Alors que nous étions souvent confrontés à l'indicible sur le terrain, cette attention, alliée au souci de l'équité dans le traitement des acteurs de santé, a été plus que bienvenue. Puisse-t-elle à présent trouver toute sa concrétisation dans les arbitrages du Ségur de la santé.
En attendant, l'exercice aussi exigeant que nécessaire auquel se livre cette commission d'enquête, contribue, lui aussi, à nous améliorer collectivement face au risque pandémique et le secteur privé est honoré d'y prendre part.
Monsieur le président, dès le début de la pandémie, j'ai senti que les compétences de nos plateaux techniques, de nos médecins et de nos salariés étaient laissées de côté. L'erreur originelle de la pandémie, au mois de janvier et février, est d'avoir conservé les 138 hôpitaux publics en première ligne comme établissements de référence. Des habitudes sont prises, le public affirmant qu'il était en charge du covid. Lorsque le privé a été officiellement sollicité à la mi‑mars par son ministre pour prendre en charge la pandémie, nous avons eu des difficultés à être acceptés, ce qui est logique.
Au début de la pandémie, je me suis exprimé pour demander que l'on nous réquisitionne. La réquisition est un terme juridique qui laisse penser que la force publique se saisit des matériels, mobilise les personnels et les médecins d'un établissement pour les faire travailler à l'hôpital public. Tel n'était pas mon propos, je disais seulement que nous voulions participer. Je retiens cette volonté admirable du directeur général de l'ARS d'Île-de-France, qui a déclaré que, quel que soit notre statut, public ou associatif, il avait besoin de mille lits de réanimation, que nous les trouverions ou bien qu'il les réquisitionnerait. En quarante-huit heures, le privé solidaire, le privé, l'APHP les ont trouvés, chacun à hauteur de 300 lits, en apportant des renforts de salariés issus de tout le territoire national ainsi que des matériels. Nous avons assisté à une magnifique coopération.
Dans le Grand-Est, il faut replacer les faits dans leur contexte car il est facile, une fois le match terminé, d'affirmer que l'on aurait gagné si l'on avait fait une passe en avant ou une passe en arrière. Si connaître les raisons des dysfonctionnements m'intéresse, et je les connais, porter un jugement sur une région qui a été meurtrie et endeuillée dans sa chair et qui, dans cette assemblée, apparaît aujourd'hui comme tout ce qu'il ne faut pas faire, n'est pas une bonne chose.
Le dimanche 15 mars, j'ai reçu un appel d'un représentant de la direction générale de l'offre de soins qui m'a informé que cela chauffait dans le Grand Est et qui m'a interrogé sur ce que l'on pouvait faire. J'ai alors appelé un collègue du privé du Grand Est pour lui demander pourquoi il n'était pas mobilisé pour accueillir les patients. La réponse fut simple : il n'avait pas de masques, pas de casaques, pas de surblouses et ne pouvait armer les 170 lits de réanimation dont il disposait. J'ai rappelé la DGOS qui m'a demandé d'envoyer dès le lendemain un camion dans le Grand Est pour équiper les établissements. Ce fut fait, mais le temps que le camion arrive à l'hôpital de Strasbourg et que le matériel soit distribué, trois jours se sont écoulés. Entre le pic de la maladie et le lancement de la lutte, le retard a été de sept à dix jours. Mais nous étions là. Nous sommes passés de 70 lits autorisés à 140. Il serait faux de dire qu'il nous restait de la place pendant le pic de l'épidémie ; nous étions saturés ! Je dis simplement que si nous avions dialogué en amont, nous aurions pu éviter des dysfonctionnements.
En Île-de-France, le pic est arrivé une semaine après. Cette semaine de décalage nous a permis d'échanger dans toutes les régions, tous les deux jours, voire tous les jours. Les ARS ont mis en place des échanges quotidiens entre le public, le privé et l'associatif. C'est la seule leçon que je retiens : dès lors que l'on communique sur un territoire, on avance. Finies « les histoires de chasse » : tu m'as refusé un patient, tu ne m'as pas pris un patient. Au cours de cette période, notre mission a été de rassurer les populations. Si j'avais, à l'occasion des interviews auxquelles j'ai participé dénoncé des problèmes dans tel secteur et tel établissement, nous en serions sortis fortement diminués, obérant les chances de travailler encore mieux demain ensemble.
En pleine crise, les professionnels du soin étaient en première ligne et nous y étions. Certes, dans mon département, l'Hérault, la situation était plus calme, mais les temps d'échanges avec nos collègues furent de grands moments de solitude, de détresse – et de peur lorsque le directeur général de l'ARS appelait pour dire que plus aucun lit n'était disponible alors que les patients arrivaient encore et encore, et que l'on ignorait quand s'arrêterait la vague. Nous ne savions pas quand cela cesserait et quand nous pourrions rejoindre le bord sains et saufs.