Vous avez évoqué des difficultés concernant le matériel. Pour ce qui est du CHR de Metz-Thionville, je n'ai pas de chiffres précis à vous apporter pour le moment – je n'avais pas imaginé devoir répondre à cette question –, mais je vous les ferai parvenir ultérieurement.
En tout état de cause, je suis désolé d'être un peu dissonant avec ce que vous avez dit, mais les SAMU et les services d'urgence n'ont pas manqué de matériel. Certes, nous avons connu des périodes difficiles, quand nous ne disposions plus que d'un stock de vingt-quatre heures d'avance sur nos consommations, mais nous nous sommes toujours débrouillés, notamment en recevant, par l'intermédiaire des directions hospitalières, de nombreux dons de matériels, qu'il s'agisse de masques FFP2 ou de tenues imperméables provenant d'entreprises de peinture. J'ai refait le tour ce matin avec tous les SAMU d'Île-de-France, et je peux vous assurer que personne, au sein des SAMU et des services d'urgence, n'a manqué de matériel.
Il ne faut pas perdre de vue la cinétique de cette crise : je rappelle qu'au départ, il ne s'agissait que d'une grippette, et que les mesures de protection n'ont pas été conseillées immédiatement : cela peut paraître aberrant aujourd'hui mais, même dans les services d'urgence, le masque n'a pas été porté par tout le monde dès le départ. Je me rappelle moi-même qu'en début d'année, quand un premier patient suspect s'est présenté à Metz – il m'a expliqué être inquiet, parce qu'il revenait de Wuhan, qu'il avait de la fièvre et qu'il toussait –, je l'ai examiné avec un simple masque chirurgical et des gants… Je précise qu'il était négatif, même s'il a fallu attendre trois jours pour le savoir, puisque l'institut Pasteur n'avait pas encore de tests. J'insiste sur ce point : en début de crise, nous n'avions pas les connaissances que nous avons acquises par la suite.
Certains établissements, notamment le CHR de Metz-Thionville, possédaient encore des masques FFP2 datant de la grippe H1N1 et conservés dans de bonnes conditions. Ces masques ont pu être testés très rapidement sur la base d'un protocole mis en place par les pharmaciens du CHU de Lille, ce qui nous a permis de les utiliser, et ledit protocole a rapidement été diffusé afin que tous les établissements puissent vérifier la validité des stocks dont ils disposaient éventuellement.
Là encore, c'était de la débrouille. En revanche, très honnêtement, on ne peut pas dire que les doctrines de 2011 et de 2013 aient joué un grand rôle dans la gestion des stocks. Ceux-ci étaient renouvelés régulièrement, mais ce qui comptait pour nous, c'était que nos établissements soient à tout moment en mesure de répondre à une situation sanitaire exceptionnelle. Cette idée a prévalu à compter des attentats du 11 septembre 2001, à la suite desquels tous les SAMU ont bénéficié d'une grande campagne de formation et se sont vus dotés de tenues NRBC et de masques filtrants. Fort heureusement, nous n'avons jamais eu l'occasion d'utiliser ces matériels et, petit à petit, nous avons un peu perdu de vue les formations relatives à leurs conditions d'usage. Il devrait être imposé aux professionnels que nous sommes de suivre des formations régulières avec du matériel adapté, afin d'être en mesure de faire face à divers risques. Je le répète, la prochaine crise sanitaire ne sera pas le covid et, si nous ne l'avons pas anticipée, nous aurons beaucoup de problèmes.
Nous avons, nous aussi, eu l'expérience d'une bonne collaboration avec les médecins libéraux, et Thierry Lardenois, ne m'a pas signalé de problème particulier. Le fait que certains aient eu une perception différente de la crise peut provenir d'une part de la cinétique de la crise, déjà évoquée, d'autre part d'une analyse en silo des problèmes, alors qu'il faudrait plutôt une réflexion globale.
Au départ, nos collègues généralistes faisaient de la régulation à nos côtés, et c'est là qu'ils ont été le plus efficaces durant la première phase, quand ils ne disposaient pas à leur cabinet du matériel qui leur aurait été nécessaire à la prise en charge des patients suspects dans de bonnes conditions de sécurité. À mon avis, il n'y a pas eu d'hospitalo-centrisme, et l'un des objectifs du SAS va justement être de casser cette idée, y compris en matière de régulation médicale, puisque l'accès aux soins sera cogéré équitablement par l'hôpital et la ville. Certes, l'hôpital public a tenu un rôle central dans cette crise, mais c'est bien à lui qu'il revient de prendre en main la gestion des crises sanitaires.
Sur le terrain, quand nous avons eu besoin de nos collègues généralistes, ils ont toujours été disponibles. D'une part, s'il y a eu une diminution de 50 % de la fréquentation des urgences, chez eux la chute des consultations a plutôt été de l'ordre de 80 % ; d'autre part, nous avons pu les mobiliser grâce à ces structures en devenir que sont les fameuses communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui ont extrêmement bien fonctionné grâce à des outils comme Entr'Actes ou Doctolib, qui permettaient d'attribuer des consultations aux médecins. Pour que les choses fonctionnent bien, il fallait que nous ayons des médecins généralistes gérant la régulation à nos côtés, parce qu'ils connaissent mieux le terrain et les différentes possibilités offertes : cette symbiose avec les généralistes est essentielle.
Aucun de mes confrères ne m'a dit avoir dû refuser de prendre en charge des patients ou avoir le sentiment qu'il aurait pu faire mieux – bien sûr, a posteriori, on aurait toujours pu faire mieux, et il faut y réfléchir. Effectuer de grandes campagnes de prélèvement dans des gymnases, pourquoi pas, mais je rappelle qu'en début de crise, cela ne correspondait absolument pas à la doctrine en vigueur. Quant aux prescriptions et aux traitements administrés par certains de mes confrères, je n'ai pas d'avis sur la question. Au sein des services hospitaliers, nous discutions régulièrement avec nos collègues réanimateurs, avec les pharmaciens et avec les infectiologues pour savoir quelles stratégies thérapeutiques mettre en place en fonction des différents cas. En effet, pour la première fois, nous avions affaire à une maladie duale, qui affecte à peine certaines personnes et en tue d'autres en une semaine, ce qui la rend difficile à aborder car elle nécessite des traitements différenciés, contrairement à la grippe qui, elle, ne tue que les personnes fragiles ou immunodéprimées.
Il est possible que certains traitements aient été efficaces, mais encore faut-il comparer correctement les cas. En étant de mauvaise foi, on pourrait soutenir, considérant que la mortalité des patients en réanimation transférés dans une autre région ou un autre pays a été de 20 %, tandis que la mortalité des patients en réanimation non transférés a été d'environ 40 %, que le transport en TGV ou en hélicoptère a constitué un traitement efficace, qui a permis de sauver des patients, ce qui est évidemment absurde.
En réalité, il faut comparer ce qui est comparable, comme nous le faisons dans une étude en cours, c'est-à-dire comparer les patients transférés avec exactement le même type de patients hospitalisés. Le cas de chaque patient transféré doit ainsi être comparé à ceux de deux autres patients hospitalisés ayant le même âge, présentant les mêmes facteurs de risques et les mêmes modalités ventilatoires. Il y a eu jusqu'à présent 600 patients transférés et il nous faudra probablement disposer d'au moins 2 000 dossiers de patients pour pouvoir effectuer une comparaison pertinente et être en mesure de comprendre ce qui s'est passé. Comme vous le voyez, il est impossible en l'état actuel de se prononcer sur l'efficacité de tel ou tel traitement.
Vous avez évoqué la maltraitance institutionnelle, qu'on voudrait ne pas voir revenir, mais qui a malheureusement tendance à revenir très vite dans nos services d'urgence, ce qui est insupportable. Il y a quelques années, SAMU-Urgences de France a lancé le No Bed Challenge, une action de communication qui a fait couler beaucoup d'encre : il s'agissait pour les services d'urgence de déclarer chaque matin le nombre de patients restés durant la nuit sur des brancards, faute de lits d'hospitalisation – non pas faute d'un nombre suffisant de lits d'hospitalisation, mais en raison d'un trop grand nombre de lits indisponibles parce qu'ils étaient pris pour autre chose.
Une étude, faite à Nîmes et constituant une revue de morbi-mortalité (RMM) de ces patients qui restaient dans les services d'urgence plutôt que de prendre un lit d'hospitalisation, a mis en évidence – en conformité avec toutes les autres études internationales – que le simple fait pour des patients d'arriver dans un service d'urgences surchargé, qui n'a pas de places en aval, tue ces patients. Les résultats de l'analyse peuvent être discutés, mais il a été démontré qu'une telle situation, à savoir le fait que le manque de lits d'hospitalisation destinés aux urgences – les interventions programmées ayant pris tous les lits en début de semaine – tue chaque année plus de patients que les accidents de la route en France. Il y a donc besoin d'une réaction rapide et efficace en la matière pour y mettre fin.
J'évoquais tout à l'heure le côté virtuel de cette crise pour beaucoup : en fait, j'ai la faiblesse de croire que la diffusion du mail du 15 mars de mes collègues de Colmar et de Mulhouse a eu un effet immédiat dans notre petit monde des SAMU et des services d'urgence. Peu de temps après, nous avons organisé des visioconférences avec tous les responsables de SAMU pour leur dire que la situation décrite dans ce mail correspondait à la réalité. Cela nous a permis d'anticiper et je pense que cela a également eu un effet sur le ministère, puisque j'ai été en contact avec des collègues de la Direction générale de la santé (DGS) tout de suite après son envoi. Au début, nos collègues avaient un peu l'impression de crier dans le désert, tout le monde semblant penser que le covid n'était pas une maladie grave. S'il faut chercher des responsables, je dirai que nous sommes tous un peu responsables de nous être laissé convaincre que les informations provenant de Chine reflétaient la réalité – ce qui, nous le savons maintenant, n'était pas le cas.