Intervention de François Braun

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

François Braun :

Je vais revenir sur ce transfert de malades de Reims vers Tours et, d'une façon plus générale, sur la problématique des transferts. Pour que vous puissiez vous faire une juste idée des choses, je précise que le transfert en TGV de vingt-quatre patients équivaut au nombre de lits de réanimation dont est habituellement dotée une ville de 200 000 habitants : ainsi, à chaque fois que nous faisions partir un TGV, cela revenait à libérer tous les lits de réanimation d'une ville de 200 000 habitants, ce qui est loin d'être négligeable.

Quand j'ai appris l'annulation au dernier moment de ce transfert entre Reims et Tours, ma première réaction a été de me dire que c'était absurde. Bien sûr, les directeurs d'hôpitaux communiquaient entre eux et certains de mes collègues, exerçant dans d'autres régions, me disaient au téléphone qu'ils pouvaient sans problème prendre en charge des patients supplémentaires si besoin. Cependant, il fallait prendre en compte la cinétique de la situation dans l'ensemble des régions. Comme me l'a expliqué l'ARS, les régions relativement préservées par l'épidémie étaient en fait gardées en réserve pour l'Île-de-France et la région parisienne, où l'on s'attendait à une explosion du nombre de cas. Quant au Grand Est, sa situation géographique le prédisposait plutôt à envoyer des malades vers les pays frontaliers, et c'est effectivement ce qui s'est passé : plus de la moitié des transferts du Grand Est ont été effectués vers l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg et l'Autriche. Tout cela s'est fait dans d'excellentes conditions, presque meilleures qu'en France, pourrait-on dire : les établissements de ces pays sont parfaitement équipés, des soignants français qui y étaient présents appelaient les familles tous les jours pour leur donner des nouvelles, et le rapatriement des patients s'est lui aussi très bien passé.

Je suis donc convaincu qu'il fallait avoir une vision stratégique globale, incompatible avec le fait que chacun prenne des décisions, seul dans son coin. Quant à savoir s'il était vraiment opportun d'arrêter un transfert en cours de réalisation – je précise qu'il ne s'agissait pas d'un transfert de patients en réanimation, mais de patients en soins intensifs –, c'est une autre question. J'ai moi-même vécu l'annulation d'un transfert Morphée et cela a été une expérience extrêmement pénible, d'autant que je n'ai jamais obtenu d'explication. Nous étions en train d'accompagner cinq patients de réanimation qui devaient être transférés en République tchèque – pour nous qui sommes dans l'Est, cette destination n'est pas plus éloignée que Brest – et nous nous trouvions sur le tarmac de l'aéroport de Luxembourg, prêts à monter dans l'avion Morphée qui venait de se poser, quand on nous a appelés pour nous dire que l'opération était annulée. Nous avons dû faire demi-tour avec des patients en réanimation, donc dans un état très sérieux, et qui se trouvaient en limite de leurs réserves d'oxygène : autant dire que nous leur avons fait prendre des risques en raison d'une décision inexplicable – tout ce que je sais, c'est qu'elle n'émanait pas de l'ARS, puisqu'elle m'a été signifiée par le centre de crise du ministère de la santé.

Après les attentats, le professeur Carli, le professeur de la Coussaye, moi-même et de nombreux autres collègues avons travaillé avec la DGS à une définition de la doctrine des tueries de masse par armes de guerre, qui a abouti à un ouvrage aujourd'hui diffusé dans tous les pays. Nous avons engagé une réflexion similaire sur les transferts de masse, afin de bien cadrer les éléments de décision pouvant constituer une doctrine en la matière.

Vous m'avez interrogé au sujet des patients ayant d'autres problèmes de santé durant la crise du covid. C'est un fait, les patients se sont autorégulés en n'allant ni vers les services d'urgence, ni vers leur médecin généraliste, en dépit des messages d'information précisant qu'il fallait continuer à se faire soigner. Dès le déconfinement, on a vu arriver des patients avec des infarctus datant d'une semaine et déjà en insuffisance cardiaque, et des diabétiques déjà décompensés. C'est vrai, les gens ont eu peur, et si l'on veut éviter que cela ne se reproduise, sans doute faut-il modifier les messages diffusés à leur intention.

Je pense par ailleurs qu'on a eu raison de faire appel au 15 pour effectuer la régulation médicale, pour dépister les cas graves évoqués tout à l'heure et, en définitive, pour tenir ce rôle de chef d'orchestre chargé de trier les cas situés sur toute la gamme, aussi bien ceux dénués de toute gravité que ceux relevant de la réanimation. Faire appel au 15, ce n'était pas faire appel aux urgentistes, c'était aussi faire appel aux généralistes, totalement intégrés au dispositif mis en œuvre.

Pour ce qui est des ambulanciers, ils sont reconnus comme des professionnels de santé par le code de santé publique, mais il est vrai qu'ils n'ont pas toutes les attributions qui devraient en découler. Je précise que, contrairement à ce qui a pu se passer à Paris et en petite couronne, la collaboration avec les ambulanciers de province s'est faite très simplement car ils avaient nécessairement moins de travail, n'ayant plus d'activité programmée.

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