Intervention de Patrick Bouet

Réunion du jeudi 16 juillet 2020 à 11h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Patrick Bouet, président du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) :

Je ne suis pas seul ici devant vous ; je suis accompagné par les 307 000 médecins que compte notre pays, par ces centaines de médecins qui, comme moi, ont été touchés dans leur intégrité physique par le covid-19 et par les soignants qui ont donné leur vie dans la lutte contre cette maladie auxquels je veux rendre à nouveau hommage.

Précisons au préalable que l'ordre des médecins est l'ordre de tous les médecins. Il a un regard sur l'exercice de l'ensemble des confrères, et pas seulement sur l'exercice de la médecine libérale.

Le premier des trois enjeux que j'aimerais soulever est la fracture de confiance entre le monde des soignants et sa gouvernance.

Les professionnels de santé, mobilisés pour remplir une mission de santé publique, se sont retrouvés au mois de février à devoir compter sur les stocks usuels qu'ils avaient constitués pour gérer les phénomènes infectieux. En ville comme à l'hôpital, ils n'ont pas vu arriver les moyens de protection promis. Or nous savons que la majorité de ceux qui ont été gravement contaminés l'ont été dans les premières semaines de la crise sanitaire, à un moment où le manque de protections les rendait particulièrement vulnérables. Cela impose de refonder le pacte de confiance.

Quand on affirme que nous sommes en guerre – nous avons préféré pour notre part dire qu'il s'agissait de prendre part à une lutte pour la vie –, il faut donner à ceux qui vont se battre les moyens nécessaires. Pour les professionnels de santé, il s'est agi non pas de « pleurnicher », comme cela a été dit, mais d'attendre résolument de voir se concrétiser les engagements pris par l'État. Cela pose des questions sur la manière dont sera géré ce qui va arriver dans les semaines ou les mois qui viennent et sur ce qui devra ne plus arriver. Les discours erratiques de certains responsables politiques sur l'intérêt de doter de protections physiques directes ou indirectes les professionnels de santé et la population contre la diffusion virale n'ont plus lieu d'être.

Deuxièmement, je ne voudrais pas que s'installe l'idée que le système de santé a merveilleusement bien répondu aux défis. Non, il s'est merveilleusement bien mobilisé, grâce à tous les acteurs qui le composent, soignants ou non mais au prix d'une double amputation : de sa capacité à agir pour assurer le suivi des pathologies usuelles et chroniques – nous commençons à en mesurer les conséquences – et de sa capacité à mettre en place une coopération effective de l'ensemble des acteurs du système de santé, seule à même de nous permettre de gérer une épidémie au niveau national. Nous avons reproduit les mêmes erreurs que pendant l'épidémie de grippe H1N1 : concentrer sur un numéro unique l'ensemble des appels et mettre l'hôpital au premier plan en éloignant les patients des cabinets libéraux et des établissements de proximité. Le choix aurait alors dû être fait de vacciner la population en ville mais vous savez qu'une certaine personne a dit que cette option n'avait pas été retenue car on doutait que les praticiens aient des frigidaires dans leur cabinet. Il faut regarder avec réalisme ce qu'est l'organisation du système de santé en France et se garder de tout triomphalisme : ce succès de mi‑période s'est accompagné d'un bouleversement profond de nos capacités à agir sur l'ensemble du territoire.

Troisièmement, nous avons été confrontés à un affaiblissement de la parole politique mais aussi de la parole médicale. La parole a été technocratique et non politique – je reprends ici à mon compte les propos du Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Comme lors de l'épidémie de grippe H1N1, nous avons connu une prise en main de nature fortement technostructurelle. S'il est vrai que les ministres n'ont été informés que progressivement des carences en matière d'équipements de protection – raison pour laquelle je ne leur jette pas entièrement la pierre –, je ne peux pas admettre l'argument selon lequel tout ne doit pas remonter au ministre. C'est grâce à l'ensemble des informations qui remontent jusqu'à lui qu'un ministre peut mener une action véritablement politique. Ne pas lui donner toutes les informations rend sa parole difficile. Et je sais combien M. Véran a eu du mal à tenir un discours cohérent : les informations qui lui parvenaient ne lui permettaient pas d'appréhender l'ampleur du déficit logistique.

La parole médicale a elle aussi été affaiblie. Entre débats médicaux et autopromotions d'experts, nous avons contribué, nous médecins, à créer le flou dans la compréhension que pouvaient avoir les Français de cette épidémie, des moyens de traiter ou de diagnostiquer la maladie. L'institution ordinale en tirera les conséquences.

Si nous n'avons pas tiré des enseignements de la grippe H1N1, du SARS et d'Ebola, il va bien falloir que nous en tirions du covid-19. Dans les semaines qui viennent, notre système de santé aura à affronter une double épidémie : celle du covid, qui risque de repartir, celle de la grippe qui redémarrera. Je veux que les professionnels disposent d'ores et déjà des moyens nécessaires pour se préparer à cette situation.

Depuis le début de l'épidémie, combien de fois ai-je rencontré le directeur général de la santé ? Zéro. Combien de fois ai-je rencontré la directrice générale de l'offre de soins ? Zéro. Combien de fois ai-je rencontré la direction de la sécurité sociale ? Zéro. Combien de fois ai-je rencontré Mme Buzyn ? Zéro. Fort heureusement, M. Véran est beaucoup plus disponible grâce aux nouveaux moyens technologiques. Si nous ne sommes pas capables de travailler ensemble pour nous préparer à ce qui arrive, nous risquons de nous retrouver dans la même situation, ce qui n'est pas envisageable.

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