Intervention de Patrick Bouet

Réunion du jeudi 16 juillet 2020 à 11h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Patrick Bouet, président du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) :

L'ordre des médecins a une responsabilité qui lui a été confiée par le Parlement : il est le garant de la déontologie et doit agir dès lors qu'il suspecte une contravention à la déontologie mais il n'est pas juge déontologique. Le Conseil d'État nomme des magistrats qui président des chambres disciplinaires composées de professionnels, dont certains sont issus de l'ordre et d'autres, non. Ce sont ces juridictions qui jugent et qui condamnent, et non l'ordre des médecins, au sens de l'organe administratif que je préside : c'est le principe de la séparation des pouvoirs. J'ignore donc totalement les conclusions que rendront les chambres disciplinaires, si l'ordre administratif décide de déférer certains professionnels devant elles.

Parmi les professionnels incriminés, il y a un peu de tout, monsieur le député – et ne voyez dans cette formule aucun manque de respect de ma part. Je tiens, avant toute chose, à rappeler que ce n'est pas la notoriété qui fait l'impunité ou qui oblige à s'expliquer devant une juridiction : c'est le fait d'être inscrit à l'ordre. Parmi les collègues concernés, certains jouissent d'une certaine notoriété et d'autres sont des médecins de terrain. Tous sont susceptibles d'avoir contrevenu à la déontologie par leurs actes, leurs paroles ou leurs écrits. Il eût été simple de porter plainte contre tous ces confrères et de laisser la juridiction disciplinaire se débrouiller. Ce n'est pas la stratégie que j'ai adoptée depuis que je suis président du conseil national de l'ordre des médecins. Je considère qu'il faut d'abord que les confrères soient entendus, et qu'ils le soient en premier lieu par leurs conseils départementaux, qui sont les mieux à même de juger des réalités du terrain et des conditions d'exercice locales.

Aujourd'hui, aucune procédure n'a encore dépassé le stade de l'entretien au niveau du conseil départemental. Dès que les conditions sanitaires le permettront, nous reprendrons les réunions statutaires, qui sont les seules à pouvoir décider. Les conseils départementaux y présenteront les conclusions des entretiens qu'ils auront eus avec les professionnels et, s'ils l'estiment nécessaire, les procédures qu'ils envisagent de lancer.

J'appelle votre attention sur le fait que nous gérons aussi des plaintes directes de la part de patients, de professionnels ou d'acteurs institutionnels. Dans ce cas, c'est le conseil national ou le conseil départemental qui, en session plénière, transférera les plaintes, quand il s'agira du secteur privé, ou qui décidera de porter plainte, quand il s'agira du secteur public. Nous avons reçu plusieurs dizaines de plaintes directes.

Il faut bien distinguer ces deux cortèges parallèles, qui ont une origine différente. Mais, dans tous les cas de figure, ma stratégie consiste à dire qu'il faut rencontrer les professionnels, et qu'il faut le faire sur leur territoire, car c'est là qu'on est le mieux à même de comprendre ce qui s'est passé.

Madame Wonner, notre prétendue inaction au cours de la première période est démentie par les faits. Le président du conseil départemental du Haut-Rhin, M. Jean-François Cerfon, s'est exprimé au nom de l'ordre des médecins dès le début de la crise et nous avons d'emblée alerté l'ensemble des acteurs de la gravité de la situation. L'hôpital de Colmar, dès le mois de mars, connaissait d'ailleurs une tension extrême. Nous avons anticipé, dès cette époque, et avons tenté de nouer des contacts avec l'État. J'ai envie de vous retourner votre question : l'État avait-il vraiment besoin que nous lui demandions de le rencontrer pour réunir tous les acteurs concernés par la gestion de la crise ?

Je veux bien assumer ma part de responsabilité, en disant que j'ai choisi la méthode que j'utilise depuis neuf ans dans mes rapports avec les gouvernants de ce pays, à savoir l'interpellation directe, les échanges par mail, par SMS, par téléphone, qui permettent de faire avancer les choses. C'est de cette façon que l'ordre des médecins assume, avec l'ensemble des acteurs publics, une parole institutionnelle. Dès sa création, j'ai demandé au ministre pourquoi le conseil scientifique ne comptait aucun candide. Je comprenais que l'État ait besoin d'un éclairage scientifique, mais il était clair que les problèmes qui allaient se poser déborderaient le cadre scientifique : il faudrait aussi mettre en œuvre des décisions. Dans une conférence de consensus, il y a des candides, et nous pensions qu'il devait y en avoir aussi au sein du conseil scientifique : à la fois des usagers de santé et des professionnels. Lorsque j'ai proposé que l'ordre des médecins y soit représenté, on m'a répondu qu'il n'y avait pas sa place et qu'il s'agissait d'un cénacle de scientifiques.

Je réfute l'affirmation selon laquelle nous ne serions pas intervenus dès le départ. Je conteste qu'il eût fallu que je demande à l'État d'être présent dans les structures que l'État devait naturellement organiser avec les acteurs professionnels. Chacun d'entre nous doit assumer ses responsabilités : j'assume les miennes. J'ai peut-être été plus péremptoire à partir d'un certain moment, parce que nous sentions que des questions de fond étaient en train d'être noyées dans l'agitation liée à la gestion de crise.

Monsieur Habib, nous avons pris position sur les données médicales et la décision médicale. Vous vous souvenez sûrement de ce communiqué dans lequel j'ai dit que nulle force administrative ne pourrait contraindre un médecin à faire quelque chose que sa déontologie lui interdit. De même, nous avons appelé à prêter attention aux données médicales. En effet, si les situations de crise favorisent les innovations et les expériences – c'est leur aspect positif –, elles peuvent aussi laisser une trace indélébile sur certains principes fondamentaux de notre société. Du reste, l'ordre des médecins n'est pas le seul à s'être exprimé de cette façon : un certain nombre d'entre vous l'ont fait dans le cadre du débat parlementaire. Nous ne pouvions pas accepter qu'un dispositif qui répondait à la nécessité de gérer la situation épidémique dans le cadre de l'état d'urgence – avec toutes les garanties que certains groupes parlementaires avaient fait adopter à notre demande – se prolonge au-delà de l'état d'urgence sans un débat de fond. Les données médicales touchent aux libertés fondamentales de notre société. C'est la raison pour laquelle nous avons pris position aussi fortement. Elles devront faire l'objet d'un débat de fond dans les années qui viennent.

S'agissant des liens d'intérêts, j'ai toujours fait une distinction entre liens et conflits d'intérêts. Dans tous les débats que j'ai pu avoir avec les ministres successifs, depuis Roselyne Bachelot, j'ai toujours œuvré pour la transparence des relations avec le milieu pharmaceutique. Nous attendons toujours certains textes sur ce sujet, même si le Conseil d'État a sommé le Gouvernement de les prendre.

L'ordre des médecins, à partir du début de l'année prochaine, donnera, non plus un avis, mais une autorisation. Cela fait quatorze ans que nous le demandons et cela va tout changer. Par ailleurs, la base de données relative à la transparence, qui devrait théoriquement permettre à tout citoyen d'avoir une vision d'ensemble des liens existant entre un professionnel et les industriels au sens large, est inutilisable. Nous ne cessons de le dire au Gouvernement. Il eût mieux valu conserver le système que nous avions nous-mêmes créé et qui nous a été retiré il y a maintenant sept ans. Les liens d'intérêts entre un professionnel et un industriel, dès lors qu'ils répondent aux exigences de contractualisation, de transparence et d'opposabilité des avantages qui en sont retirés, ne sont pas la même chose que les conflits d'intérêts, qui consistent à défendre un industriel ou ses produits et à en retirer un avantage.

La situation sera désormais différente puisque les textes instaurant un régime d'autorisation dépendant de l'ordre existent enfin. Cela étant, tous nos signalements à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont restés sans suite.

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