Les admissions en réanimation ont été gérées conjointement par plusieurs groupes médicaux représentés ici, permettant au total l'admission de 15 000 patients pendant la crise. Cette augmentation massive des admissions a été possible grâce à une communication entre les différents intervenants et une plasticité du système de santé qui a permis de déprogrammer les activités de bloc opératoire pour libérer, grâce à la double compétence anesthésie et réanimation plus de 2 000 anesthésistes-réanimateurs, 5 228 lits de réanimation éphémères dans des structures de soins continus, des unités de surveillance continue et des salles de réveil appelées majoritairement salles de surveillance post-interventionnelle (SSPI).
Le personnel soignant en renfort a été de l'ordre de plus de 4 000 infirmières et plus de 2 000 infirmières anesthésistes diplômées d'État (IADE), dont la formation a été accélérée par les structures en place telles que les centres de simulation, ainsi que les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et les écoles d'IADE. Il faut d'ailleurs souligner la nécessité d'avoir des aides-soignants supplémentaires en réanimation. Le retour d'expérience suggère qu'un leadership médical, une organisation basée sur un modèle régional, une parfaite intégration des ressources tant du secteur public que du secteur privé, et la mise au service du médical des compétences administratives, ont été les clés du succès pour surmonter cette crise.
Une étude publiée en 2013 sur la population admise en réanimation, sur la base des analyses globales du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et une analyse récente encore sous embargo, ont montré que l'on a conservé le même profil démographique pendant la crise covid-19, avec une surreprésentation de la tranche d'âge 65-80 ans – environ 40 % – et des patients ayant des comorbidités multiples. Le profil est plutôt masculin. Le recours à la ventilation mécanique a été nécessaire chez environ 50 % des patients ; 3 112 respirateurs ont été fournis pendant la crise, en addition aux presque 6 000 respirateurs existants.
La mortalité hospitalière a été de 21 % pendant la crise covid, de 4 % chez les moins de cinquante-cinq ans, 10 % pour la tranche d'âge 56-64 ans, 22 % chez les 65-80 ans, et 39 % au-delà de quatre-vingts ans. Ces données sont conformes à la mortalité observée en réanimation avant cet épisode. La mortalité en réanimation augmente d'un facteur neuf pour la tranche d'âge 80-84 ans, d'un facteur treize pour la tranche 85-89 ans, et d'un facteur vingt après quatre-vingt-dix ans. Ces chiffres permettront d'alimenter le débat sur l'éthique autour de l'admission de certains sujets âgés en réanimation, cette dernière n'ayant pas pour vocation de gérer la fin de vie mais de diminuer le risque de mortalité afin de retrouver une qualité de vie acceptée par le patient.
Nous avons été confrontés pendant la crise à des difficultés d'approvisionnement en matériel de protection, ce qui nous a conduits à des exercices compliqués de gestion des stocks, de recommandations variables selon les moments, et de cohérence face aux équipes sur le terrain, qui ne comprenaient pas forcément ce qui se passait. Nous avons également été confrontés à des menaces de pénurie de médicaments et de matériel de surveillance qui posent de sérieuses questions de sécurité.
Au total, nous avons vécu une crise profonde qui a mis en tension le secteur des soins critiques en France. La prise en main du leadership par des médecins et une administration active et facilitatrice, la transversalité et la collégialité entre les différents intervenants, urgentistes, anesthésistes-réanimateurs, médecins intensivistes, et la plasticité du système, notamment grâce à la déprogrammation des blocs opératoires, ont permis d'absorber un afflux massif de patients, sans les conséquences désastreuses parfois rencontrées dans d'autres pays. La crise a tout de même souligné la nécessité d'un panel plus important de lits en soins critiques sur le territoire, et du renforcement des cursus permettant des compétences plurielles, comme celui des anesthésistes-réanimateurs.
Nous remercions encore une fois les personnels médicaux et soignants, les administratifs qui nous ont fait confiance, et les Français qui nous ont massivement soutenus.
Les mesures essentielles d'amélioration sont donc les suivantes : recenser le capacitaire en matière de soins critiques et décrire comment l'augmenter en tenant compte des structures publiques et privées ; avoir un espace de communication entre les sociétés savantes et les tutelles, direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS), Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ARS ; constituer un stock de médicaments, de dispositifs médicaux et d'EPI avec une gestion régionale ; assurer la formation des infirmières qui le souhaitent à la prise en charge de patients de soins critiques, maintenir cette formation dans le temps et ainsi disposer d'une réserve sanitaire, tout en augmentant le ratio de soignants par lit de soins critiques ; enfin, préserver la plasticité salvatrice de notre système de soins, qui ne peut reposer uniquement sur une logique économique ou une gouvernance administrative, ce qui implique de laisser la place à l'initiative médicale.