Cette crise, qui était au départ uniquement sanitaire, a constitué un événement exceptionnel ; on peut dire que le personnel soignant a sauvé notre pays. Cette mobilisation a permis, entre autres, d'augmenter notre capacité de réanimation, en faisant plus que le doubler. Alors qu'il s'établit normalement autour de 5 000 lits, au plus fort de la crise, le 9 ou 10 avril, il y avait un peu plus de 7 000 patients covid en réanimation, auxquels il ne faut pas oublier d'ajouter les patients non covid qui nécessitaient aussi de la réanimation.
Cette augmentation a été réalisée par l'armement de lits qui ne sont pas habituellement dédiés à la réanimation : lits de surveillance continue, lits de soins intensifs, mais aussi de SSPI et de bloc opératoire. Je remercie les collègues anesthésistes-réanimateurs, qui ont largement permis ce résultat et ont participé de manière efficace à son fonctionnement. Je remercie également les collègues réanimateurs du secteur privé.
Il faut bien comprendre que pour pouvoir faire de la réanimation correctement, il faut tout d'abord un espace minimal, de vingt à vingt-cinq mètres carrés autour du lit. Il faut des accès aux fluides et gaz médicaux, à l'oxygène, à l'air, au vide. Il faut en outre beaucoup de prises d'électricité car les dispositifs de surveillance sont nombreux. La contrainte logistique est donc importante.
On ne peut pas non plus faire de la réanimation sur n'importe quel lit. Un lit de réanimation permet normalement de mettre en toute sécurité les patients en décubitus ventral. C'est, vous l'avez vu, une stratégie souvent utilisée pour les patients infectés par le covid. Si on le fait de façon standard sur un patient intubé, ventilé, sédaté, curarisé, le patient sera sérieusement abîmé. On a beaucoup parlé du problème des respirateurs, et nous y reviendrons sans doute. Il faut également un dispositif de surveillance cardiaque et de monitorage de la pression artérielle invasive. Ces lits éphémères ne permettaient pas non plus, dans la majeure partie des cas, de prendre en charge d'autres défaillances, à savoir que l'on ne pouvait pas dialyser les malades en cas de défaillance rénale ni les mettre sous assistance extracorporelle si leur état le nécessitait.
Enfin, tous ces équipements ne serviraient à rien sans le personnel pour les faire fonctionner. Le personnel soignant n'a pas été créé ex nihilo ; 2 000 IADE sont venues aider en réanimation du fait de la déprogrammation, comme l'a souligné mon collègue, mais de nombreuses infirmières se sont aussi proposées spontanément. Dans mon cas, j'ai recruté des puéricultrices ou des infirmières libérales, par exemple, qui n'avaient de la réanimation qu'une très vague idée ; elles étaient très motivées et ont rendu un grand service, car nous avons pu les former assez rapidement, mais le métier de réanimation n'est pas quelque chose qui s'improvise, c'est une compétence spécifique, des machines à surveiller, un contact très particulier avec le patient, et cela doit être reconnu.
Malgré ces imperfections, les unités de réanimation éphémères, appelées unités hors les murs, ont permis de prendre en charge de nombreux patients. Néanmoins, le système est arrivé à saturation et nous avons dû recourir aux transferts. Il y a eu un plus de 660 transferts interrégionaux et transfrontaliers, à partir essentiellement du Grand Est et de l'Île-de-France, vers des régions moins touchées. En outre, une multitude de transferts intrarégionaux ont eu lieu, afin de désengorger des services de réanimation particulièrement saturés. Par chance, au début de l'épidémie, des régions n'ont pas été touchées par le covid, le Grand Ouest, le Centre, le Val‑de‑Loire, ce qui a permis d'absorber l'excédent de patients. Si nous nous retrouvions avec une deuxième vague présentant une épidémiologie différente, avec des clusters sur tout le territoire, la possibilité de transferts serait bien plus problématique.
En conclusion, je dirai que la crise a permis de constater que la réanimation est une spécialité indispensable, qu'il faut soutenir. Nous devons absolument inverser le mouvement actuel de diminution du nombre de lits de réanimation – au cours des dix dernières années, nous avons perdu près de 900 lits de réanimation sur l'ensemble du territoire – et augmenter nos capacités. Sans doute ne faut-il pas se fixer un objectif aussi élevé que celui de certains de nos voisins européens, notamment l'Allemagne, mais il est très difficile de savoir où il faut placer le curseur. C'est pourquoi nous avons engagé avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) une réflexion sur cette question très importante.
Disposer de structures de réanimation est une chose, mais encore faut-il les faire fonctionner. Lors de la première vague, nous avons largement fait appel aux bonnes volontés, notamment en faisant venir des infirmières de zones non impactées par le covid, mais en cas de deuxième vague, ces infirmières seront mobilisées dans leurs régions respectives. Nous avons fait fonctionner les nouvelles unités de réanimation grâce au renfort de différents personnels, par exemple des internes qui avaient fait un peu de réanimation et qui avaient mis fin à leur activité médicale ou à leur activité de recherche mais cela s'est fait à titre exceptionnel. Il est donc essentiel de renforcer le personnel médical des structures de réanimation et d'accroître la formation de médecins qui seront amenés à faire de la réanimation exclusive. En effet, ce n'est pas une activité que l'on peut faire de temps en temps, mais un métier exclusif. Dans ce domaine la compétence s'acquiert et est attestée par l'exercice quotidien.
Enfin, la spécificité et l'importance du métier d'infirmière en réanimation ont été mises en évidence par cette crise. Ce métier doit être reconnu et valorisé, car on ne parvient pas à fidéliser les personnes qui l'exercent et on assiste à une véritable fuite des compétences.