Intervention de Patrick Pelloux

Réunion du mardi 28 juillet 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) :

Il est important que les élus de la Nation procèdent à une analyse de la crise qui a frappé le pays. Je m'associe à mes confrères pour remercier nos concitoyens de nous avoir fait confiance, et je remercie aussi la France et son histoire : la sécurité sociale a en effet joué une fois de plus le rôle d'amortisseur face à la crise.

Si le service public a, à juste titre, été mis en avant, rien n'aurait été possible sans l'énorme mobilisation du système de santé. Le Président de la République a dit qu'il fallait « faire Nation » : nous avons le sentiment de l'avoir fait, et d'avoir servi – c'est bien ce qui comptait le plus durant cette période.

Les informations que nous avons reçues de la Chine au tout début de la crise étaient fausses, ce qui fait que lorsqu'il s'est ébranlé, le système de santé est parti dans le brouillard, et que la montée en puissance n'a été que très progressive. Je veux citer deux de mes amis qui ont vaillamment combattu le coronavirus et y ont malheureusement laissé leur vie, à savoir le docteur Éric Loupiac, de Lons-le-Saunier, et le docteur Jacques Fribourg, de Trappes. Le docteur Loupiac, qui avait une formation militaire à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, avait dès le départ insisté auprès de son directeur sur la nécessité de se protéger en portant un masque.

Je n'ai sans doute pas de leçons à vous donner à ce sujet, puisque je vois que tout le monde dans cette salle respecte les recommandations officielles, mais la nécessité du port du masque – et des EPI pour les soignants – est à mon sens l'un des enseignements les plus importants de la crise. Notre pays doit retrouver sa souveraineté en la matière. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous sommes peut-être au début d'un nouveau pic, et nous savons maintenant que le port généralisé du masque, associé au lavage de mains et au respect de la distanciation physique, peut nous permettre de freiner, voire endiguer l'épidémie.

Je veux rendre hommage aux personnels qui ont travaillé dans des conditions très difficiles, qui n'ont pas compté leurs heures de travail ni pensé aux risques qu'ils couraient. Nous avons perdu des directeurs, des infirmières, des infirmiers et des aides-soignants. Tout le monde s'est donné à fond, parfois pour aller renforcer – ce qui, je le dis très humblement, a été mon cas – des services plus surchargés que d'autres. Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, le but n'était pas d'éviter l'engorgement des urgences : il ne faut pas considérer les urgences comme un problème, mais comme une solution adaptée aux problèmes de la population. Je pense à un cas particulièrement éclairant sur ce point, celui d'une patiente présentant une embolie pulmonaire et dont l'état s'est progressivement aggravé durant dix jours avant qu'on ne la prenne en charge en réanimation : comme nous l'a expliqué son mari, le couple ne voulait pas se rendre à l'hôpital, par crainte d'attraper le coronavirus…

Les médias sont en partie responsables, et peut-être les professionnels de santé se sont-ils eux aussi mal exprimés, toujours est-il que les Français ne semblent pas avoir bien reçu notre message : nous voulions leur dire qu'il ne fallait pas hésiter à prendre contact avec son médecin traitant ou d'autres services médicaux, et surtout ne pas attendre de le faire par peur du virus. Communiquer sur ce point n'est jamais facile, a fortiori en période de crise, quand les gens sont angoissés. On a assisté, à Paris et en Île-de-France, à une baisse de 23 % de la fréquentation des urgences, et il est étonnant de constater que celle-ci ne remonte pas, ce qui semble signifier que les patients ont trouvé d'autres circuits pour se faire soigner. La question de l'accès aux soins est essentielle, et il ne faudrait pas penser qu'il y a eu durant la crise une espèce de Fashion Week, avec d'un côté les bons malades, atteints du coronavirus et qu'il fallait prendre en charge, et de l'autre, tous les patients présentant d'autres pathologies.

Si nous voulons moderniser notre système de santé, il faut revoir les choses afin de ne plus avoir d'un côté la médecine de ville, les cliniques privées, et de l'autre, les établissements participant au service public et le service public. Il faut orchestrer tout cela. L'entreprise est compliquée et entre probablement dans les prérogatives des agences régionales de santé (ARS). Fin février, j'ai été en conflit avec SOS Médecins, car leur difficulté à se procurer des tenues de protection avait fini par constituer un problème en termes d'accès aux soins. Pour améliorer l'accès aux soins, il faut réussir à faire travailler tout le monde dans le même sens. Les sociétés savantes auront à se prononcer sur cette question, notamment en matière de chirurgie, où il y a eu des retards dans la prise en charge – je pense notamment à la chirurgie des cancers. Je salue d'ailleurs le travail effectué cet été par les chirurgiens et les anesthésistes pour rattraper ce retard.

J'ai l'impression qu'on a fait subir un choc au système de santé en laissant de côté toute l'activité programmée pour ne plus se consacrer qu'au coronavirus, mais je ne sais pas si la suspension de l'activité habituelle a concerné toutes les disciplines, notamment la cancérologie et la cancérologie pédiatrique.

Pour en revenir aux effecteurs, si les pompiers ont pris en charge des patients covid, il est certain qu'à Paris, on n'a pas su travailler avec ces professionnels, et que la coopération avec eux est à revoir. Comme vous tous, je suis contribuable, et cela me contrarie de voir deux systèmes qui ne trouvent pas le moyen de travailler ensemble. Je ne suis pas opposé au développement des ambulances privées, qui se sont effectivement beaucoup impliquées, mais cela exigera une compétence et des mesures de qualité, de manière à être sûr que tout le monde fait la même chose.

Je voudrais remercier et féliciter le service de santé des armées (SSA) – que l'on entend peu –, notamment pour avoir mis en place l'hôpital de campagne de Mulhouse. Depuis qu'on a fermé l'hôpital du Val‑de‑Grâce, maladroitement, à mon sens, le service de santé des armées est en souffrance. Le Ségur de la santé a constitué une formidable mobilisation nationale, et je me félicite que le Parlement ait voté des crédits exceptionnels – là encore, c'est l'argent du contribuable –, mais il ne faut pas oublier le service de santé des armées, dont nous avons vraiment besoin. Pendant la crise, la question s'est posée de savoir s'il était possible de rouvrir le Val-de-Grâce, qui avait d'ailleurs été refait à neuf peu de temps avant sa fermeture : plus largement, je me demande si l'on ne pourrait pas envisager de rouvrir un hôpital militaire par région si une nouvelle crise de grande ampleur survenait. En tout état de cause, il faut travailler avec le service de santé des armées et sans doute lui redonner ses prérogatives.

Pour ce qui est des EHPAD, nous avions été auditionnés dans le cadre d'un avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui a fait l'objet d'un rapport adopté en séance plénière en avril 2018. On parle beaucoup des ségrégations, mais l'une des plus sournoises est celle s'exerçant en raison de l'âge. Il faut la combattre, et nous avons en tant que médecins un rôle à jouer, car il faut bien reconnaître que nous classifions beaucoup trop nos malades en fonction de leur âge, c'est même le premier critère d'identification auquel on se réfère quand on parle d'un malade.

Ce qui se passe dans les EHPAD constitue un bon indicateur du niveau d'humanité de notre société : c'est là, en quelque sorte, qu'il faudrait placer le curseur – comme on le placerait dans les services de soins de suite et de rééducation pour l'accès à ces soins, ainsi que l'avait souligné le président de la République en évoquant la question des handicaps durant la campagne électorale de 2017.

La situation dans les EHPAD a souvent été très compliquée, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de tenues de protection pour les personnels. Les choses ne sont pas simples en raison de la diversité des statuts que peuvent avoir ces établissements – certains sont totalement privés, d'autres appartiennent aux communes ou à d'autres collectivités territoriales. Je pense qu'il vous appartient d'orienter les évolutions à venir vers la qualité et l'humanisation.

En matière de gouvernance de l'hôpital, les choses n'ont pas été simples non plus. Comme je l'ai dit à Nicole Notat pendant le Ségur de la santé, parmi les réformes les plus importantes à accomplir figure celle relative à la démocratie à l'hôpital. La gestion de crise s'est, en effet, souvent traduite par la gestion d'une somme de corporatismes.

Globalement, nous ne nous en sommes pas si mal sortis, et je suis assez fier de la France, a fortiori quand on voit ce qui se passe dans d'autres pays qui donnent souvent le tempo des sociétés savantes, notamment les États-Unis ou le Royaume-Uni. Si nous pouvons être fiers, il existe cependant des marges de progression pour rendre service à la population et pour que le curseur de l'humanité reste placé là où le voulaient ceux qui ont construit la sécurité sociale.

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