Intervention de Agnès Ricard-Hibon

Réunion du mardi 28 juillet 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence :

Il y a effectivement un frémissement en termes d'augmentation des appels dans les SAMU-centres 15 et l'on observe très attentivement deux indicateurs particuliers, à savoir le nombre d'appels de cas suspects covid et le nombre de transports des patients suspects covid. Quand ces chiffres augmentent, l'hôpital est impacté dans les dix jours qui suivent : être vigilants sur ce point nous permet donc d'anticiper. Le nombre d'appels augmente de façon variable en fonction des régions.

Pour ce qui est de l'âge des patients, sa moyenne semble diminuer, ce qui est inquiétant et doit nous conduire à faire preuve d'une vigilance accrue. Sans doute n'a-t-on pas utilisé les bons canaux pour que la jeunesse soit touchée par les messages pédagogiques qu'on lui a adressés, et cela doit donc être revu. Si les jeunes se sentent moins concernés parce qu'ils sont moins susceptibles que les autres de développer des formes graves de la maladie, ils peuvent contaminer leurs proches. Par ailleurs, ils vont être les premières victimes de la crise économique qui va suivre la crise sanitaire.

Pour ce qui est de la collaboration public-privé, nous identifions des marges de progression et d'amélioration dans la répartition des patients en fonction des plateaux techniques et des coopérations – aussi bien au quotidien qu'en période de crise. Nous avons très bien travaillé avec le privé, qui s'est beaucoup mobilisé, et nous avons modifié nos circuits d'orientation pour accueillir les patients : cela s'est fait initialement pour certains patients non‑covid, par exemple en traumatologie, puis également pour les suspects covid, en fonction des plateaux techniques dont disposaient les établissements privés. Nous avons été très agréablement surpris de la capacité qu'avait le privé à nous aider, et les choses ont plutôt bien fonctionné.

Pour ce qui est de la coopération avec la médecine de ville, à partir du moment où les médecins traitants ont été équipés, c'est-à-dire protégés, ils ont pu s'organiser pour prendre en charge des patients – certains dans les cabinets, d'autres dans les centres covid, parfois à l'initiative d'élus. Les centres covid ont été précieux en ce qu'ils ont constitué une réponse de ville pour les patients ambulatoires – en revanche, il existe en France une vraie problématique relative à la visite à domicile, notamment pour les personnes à mobilité réduite. Cette réponse de ville est probablement ce qui préfigure les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP).

J'ai fait référence à l'organisation de l'aval des urgences, caractérisée par une dualité entre le programmé et le non‑programmé. Durant la crise, tout était devenu possible pour les urgentistes, ce qui signifie que l'aval des urgences était devenu fluide et que l'on pouvait admettre des patients sans frein. Depuis le retour des soins programmés, on constate une nouvelle aggravation des difficultés en aval, notamment parce qu'il est difficile d'admettre un patient en chambre double quand il n'a pas été testé PCR négatif. Nous avions déjà alerté le ministère de la santé sur ce point : la solution consistant à transporter tous les patients aux urgences est l'une des causes de l' overcrowding et de la stagnation des patients aux urgences ce qui entraîne une surmortalité scientifiquement établie. Si on parle de la surmortalité dans les EHPAD, il faut aussi parler de la surmortalité quotidienne liée à une surcharge des urgences à laquelle il faut absolument remédier. Nous y avions travaillé avec le ministère dans le cadre du pacte de refondation des urgences.

C'est dans ce domaine que la régulation médicale française trouve tout son sens, et c'est la doctrine qui a été appliquée dans les EHPAD en recourant aux notions de juste soin et de pertinence des décisions. Certaines personnes âgées qui étaient covid‑positives sont restées dans leur établissement et s'en sont très bien sorties grâce aux conseils et la médicalisation reçus sur place, tandis que d'autres ont été hospitalisées – il a été fait le choix de procéder à des évacuations lorsqu'on sentait que la situation n'était pas gérable sur place, indépendamment de l'âge. Enfin, pour certaines personnes âgées en situation de détresse vitale, il a souvent été décidé, au moment de savoir s'il fallait les transporter aux urgences, qu'il valait mieux les faire bénéficier d'un accompagnement sur place, en écartant l'affirmation aussi hypocrite qu'erronée selon laquelle le transport aux urgences serait un remède universel. La sortie de réanimation est compliquée pour tout le monde, y compris pour les patients en bonne condition physique, car l'intensité des soins que l'on y reçoit équivaut pour le corps au stress résultant d'un marathon : or, imposerait-on à une personne âgée de quatre-vingt-dix ans de courir un marathon ?

À chaque fois que nous avons été confrontés à cette question, nous y avons répondu en raisonnant sur la base de critères déterminés en fonction d'échelles de fragilité et de dépendance, comme nous le faisons tous les jours pour les cas n'ayant rien à voir avec le covid. Il s'agit de se demander s'il y a un réel bénéfice à attendre d'un transfert aux urgences ou s'il vaut mieux organiser une prise en charge sur place. Pour prendre cette décision, nous nous sommes appuyés sur les gériatres, sur la médecine de ville, et même sur des médecins SOS impliqués dans les EHPAD, en nous fixant pour objectif que la prise en charge du patient en EHPAD soit comparable à celle dont il aurait bénéficié s'il avait été hospitalisé. Nous n'avons probablement pas fait preuve de suffisamment de pédagogie pour expliquer notre démarche. La vraie question à se poser n'est pas celle du nombre de morts : ce qu'il faut comparer, c'est le nombre de morts évitables et le nombre de morts non évitables, comme nous le faisons couramment en temps ordinaire, notamment en traumatologie. Les décisions ont toujours été prises en collégialité, et on a parfois envoyé une équipe de SMUR sur place afin d'évaluer la situation, en concertation avec le médecin régulateur et, le cas échéant, avec des gériatres.

Les transferts de patients ont eux aussi été décidés en fonction de certains critères, et ne se sont faits que pour les personnes capables de supporter un transport, en accord avec les familles. Les réanimateurs définissaient les types de patients pouvant bénéficier de ces transferts, avant que les équipes du SAMU n'interviennent pour les organiser. À un moment donné, il a fallu avoir une vision nationale, voire internationale, de la situation, et mettre en place une stratégie afin d'éviter d'évacuer des patients – notamment ceux du Grand Est – vers une région pouvant se trouver à son tour saturée en cas de deuxième vague.

Les équipes d'accompagnateurs provenaient soit de la région de départ, soit de celle d'accueil : des équipes de Bretagne ou de Nouvelle‑Aquitaine sont ainsi venues chercher des patients dans les régions les plus touchées. Une étude a été lancée sur ce point avec l'École des hautes études en santé publique (EHESP), la Direction générale de la santé (DGS), les sociétés savantes impliquées et le SSA – qui nous a bien aidés –, afin de déterminer ce qui a le mieux fonctionné. Objectivement, les transferts en TGV constituent une méthode offrant une très grande sécurité pour les patients par rapport aux transports terrestres. Ces derniers, qui ont été mis en œuvre dans les premiers temps, notamment en Normandie, présentaient l'inconvénient de soumettre les patients à des accélérations et des décélérations pouvant avoir des conséquences sur les constantes hémodynamiques et respiratoires de patients sévères, ce qui n'était pas le cas en TGV ; ils nécessitaient par ailleurs la présence d'un senior par véhicule en prévision des arrêts potentiels sur l'autoroute, alors que dans les TGV, il n'y avait qu'un senior et un junior dans une rame transportant quatre patients.

En nous donnant la possibilité de procéder à des évacuations en grand nombre à un moment critique – nous étions sur le point de voir les services de réanimation saturés –, les transports en TGV nous ont procuré un soulagement majeur, car ils nous ont permis de prendre des décisions d'admission en fonction de critères médicaux et éthiques, et non uniquement capacitaires. Certes, il y a eu des controverses sur le nombre de patients transférés et sur leur répartition dans les différentes régions, mais il faut reconnaître que ce dispositif, qui a très bien fonctionné et nous a été précieux, mérite d'être consolidé.

Il faudrait des heures pour détailler les arguments scientifiques pertinents qui justifient la création du numéro unique de santé. Prévoir une interconnexion avec le numéro secours sécurité, comme l'ont fait certains départements, évite de devoir ressaisir les données. Pour évaluer la gravité d'une situation, les premiers mots, prononcés spontanément, sont importants. S'ils ne sont pas recueillis par un professionnel de santé, nous risquons de perdre une information précieuse. Dans le rapport MARCUS 3, il apparaît que la grande majorité des appels au 15, au 17, au 18 ou au 112 portent sur des questions de santé. Ce ne sont pas tant les arrêts cardiaques qui posent problème, mais les urgences vitales potentielles masquées. Lors du pic épidémique, beaucoup de personnes appelaient pour des gênes respiratoires. Il pouvait s'agir d'angoissés, mais à moins d'envoyer tous les angoissés dans les services d'urgence en vertu du principe de précaution, une évaluation médicale était nécessaire pour déterminer quels patients avaient besoin du plateau technique, et lesquels pouvaient être confiés à la médecine de ville.

La coopération entre médecins régulateurs et généralistes a été quotidienne, nous avons ainsi appris beaucoup par les échanges médicaux entre confrères, notamment s'agissant des embolies pulmonaires ou de la nécessité de traitements anticoagulants précoces.

Les carences sont en partie responsables des tensions et c'est une question de budget. Tant que les pompiers et les élus penseront que les services des pompiers peuvent être financés par le SAMU, la tension persistera. Nous sommes complémentaires, et la coopération sur le terrain entre ces deux services publics fonctionne très bien. Il est donc dommage de donner cette image de conflit. Des difficultés ont existé au départ, car les pompiers ne transportaient pas les patients atteints de covid-19, et nous avons dû trouver des solutions alternatives. Dans les zones très urbanisées où les pompiers sont sursollicités, il faut diversifier les acteurs en partenariat avec le SAMU en incluant les ambulanciers privés. Il reste que certaines actions médico-sociales, dont les évaluations laissant les patients sur place, notamment les personnes âgées, ne peuvent être réalisées par les ambulanciers – payés au transport – et ne motivent pas les pompiers. Les associations, en revanche, ont envie de travailler avec nous et de réaliser ces missions ; elles ont été précieuses et réactives. Cette diversité des acteurs a permis de gérer le nombre important de demandes et de répondre aux besoins. Ce n'est probablement pas applicable dans toutes les régions, mais il existe aussi des blocages réglementaires sur ce sujet.

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