Les derniers chiffres donnés par Santé publique France reposent sur les données cumulées depuis le 1er mars. Nous savons que la comptabilisation, dans le Grand Est, a été déficiente au début de l'épidémie puisque la définition des algorithmes a pris du temps et que plusieurs jours, plusieurs semaines ont été nécessaires pour adapter l'ensemble du système.
Je suis incapable de vous dire précisément combien de décès peuvent exactement être imputés au covid-19. Les statistiques de surmortalité de l'INSEE nous aideront à y voir plus clair dans quelques mois. Quoi qu'il en soit, l'outil dont nous disposons aujourd'hui est bien conçu.
J'ajoute que des décès survenus à domicile n'ont pas été imputés au covid-19 et que, dans certaines structures, l'origine de certains décès était considérée comme « douteuse » dès lors qu'il y avait eu un ou deux cas. Certains décès ont donc été imputés au covid-19 sans que l'on soit pour autant certain qu'il en soit la cause.
Les médecins coordonnateurs, en lien avec les équipes hospitalières, ont établi des protocoles sur la marche à suivre en cas de détresse respiratoire. Je l'ai dit, l'accès aux structures hospitalières a été très compliqué. Nous étions en relation directe avec les fournisseurs d'oxygène et, à ma connaissance, nous n'avons pas eu de carence à déplorer de leur part même si la situation a été un peu tendue. La DGOS a fait le point régulièrement avec les entreprises avec lesquelles nous travaillions.
L'accès au 15 était systématiquement demandé, avec les difficultés dont je vous ai fait part, en particulier durant les premières semaines. Depuis l'installation des coordinations gériatriques, cet accès a été facilité mais peut-être conviendra-t-il de différencier les lignes téléphoniques entre particuliers et professionnels de santé : c'est terrible, pour ces derniers, d'attendre longuement au téléphone une décision d'accompagnement ou de transfert. Je ne sais pas si les EHPAD ont été plus mal lotis que les autres professionnels de santé mais il est certain que les SAMU étaient surchargés par l'ensemble des appels.
J'espère que la seconde vague n'aura pas lieu mais je pense que nous sommes aujourd'hui mieux préparés. Personne ne pouvait avoir réalisé de simulations d'une crise aussi inédite et violente. Les établissements ont l'habitude de gérer des épidémies – grippe, gastro-entérite… –, les gestes barrières, les protocoles de désinfection sont bien connus mais cette crise a engendré des difficultés très particulières et a conduit les établissements à s'organiser d'une manière très spécifique. Aujourd'hui, nous disposons de matériels de protection, c'est une différence considérable, et nos liens avec les équipes hospitalières ont été renforcés.
Les centres de prévention des infections associées aux soins (CPIAS) ont aussi donné d'immenses coups de main aux structures, localement, afin de les aider à adapter leurs protocoles.
À la demande du ministère de la santé, nous avons aussi installé localement des unités covid-19 en réorganisant certains locaux. Reste qu'un EHPAD médicalisé n'est pas un hôpital ; il ne dispose ni des mêmes matériels, ni des mêmes compétences et le renfort de l'hospitalisation à domicile sera précieux, en espérant que les gestes barrières nous préserveront d'une deuxième vague.
Les EHPAD n'ont peut-être pas été les premiers à être dans le viseur des autorités. Nous avons toutefois eu une réunion dès la fin du mois de février avec le ministère et nous avons, par la suite, été en lien direct avec les pouvoirs publics plusieurs fois par semaine, voire plusieurs fois par jour. Je sais qu'il en a été même dans les territoires avec les ARS. Il a fallu quelques jours, quelques semaines parfois, pour que la machine se mette en marche dans tout le pays. Nous voyions bien ce qui se passait en Italie mais nous ne pensions pas que l'épidémie se répandrait aussi vite dans notre pays. Les établissements du Grand Est, tôt touchés, ont été des lanceurs d'alerte.
Selon le dernier point épidémiologique de Santé publique France, il y aurait eu, depuis le 1er mars, 20 500 cas confirmés parmi les personnels du secteur médico-social, dont 16 590 pour les établissements pour personnes âgées. Ce chiffre est élevé, et je ne sais s'il est sous-estimé – du fait des difficultés d'accès aux tests, nous sommes peut-être passés à côté de certains cas. Les professionnels ont tout fait pour faire barrage au virus. À partir du moment où les établissements ont fermé leurs portes aux visites et où les personnes âgées se sont confinées à domicile, le principal risque de contamination provenait d'eux et tous craignaient d'être des vecteurs. Nous ne rappellerons jamais assez l'importance des équipements de protection.
Plutôt que de parler de carences de soins, je dirais que nous avons surtout manqué de personnels. Nous n'avions plus de bénévoles pour nous aider, même si nous avons bénéficié dans un second temps de ceux de la Croix-Rouge, et les familles ne pouvaient plus venir. Les équipes ont déployé une énergie incroyable pour accompagner aux mieux les résidents, notamment grâce aux moyens numériques, mais la nouvelle organisation a imposé des contraintes supplémentaires : c'est dans chaque chambre qu'il fallait apporter les repas et faire les animations. Même en temps normal, nous disposons de peu de professionnels : il y en a 6,5 pour 10 résidents en France contre 8 pour 10 dans les pays voisins. Compte tenu des difficultés d'accès aux tests au début de la crise, les professionnels présentant des signes ont été mis en quatorzaine et chaque directeur se demandait comment il allait pouvoir faire face aux arrêts maladie. La réserve sanitaire a été très utile, mais toutes les structures n'ont pu y avoir accès facilement. Les responsables de résidences autonomie ou de résidences seniors, qui ne relèvent pas des ARS, ont dû taper du poing sur la table pour obtenir une aide. En cas de crise sanitaire, il faut que les ARS apportent leur soutien à l'ensemble des structures.
L'interdiction des visites a dû être organisée en quelques heures. Outre que cela n'a pas été sans poser de difficulté, elle a été diversement perçue par les familles. Certaines ont pu être rassurées qu'un cocon se forme autour de leurs proches mais d'autres redoutaient le huis clos : ce qui se passe derrière des portes fermées suscite tout un imaginaire. Des familles ont même pris leur parent auprès d'elles, même si ce choix n'était pas exempt de difficultés : les personnes que nous accompagnons sont souvent très âgées et souffrent d'une forte perte d'autonomie, et les interventions des services à domicile étaient limitées aux soins prioritaires.
Sur le nombre de décès en l'absence de vaccins contre la grippe, je ne suis pas en mesure de vous répondre. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) ou des épidémiologistes seraient plus à même de faire des simulations.