Intervention de Gilles Bonnefond

Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 11h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine :

À propos des masques, il y a deux questions : d'une part, la doctrine générale concernant leur mise à disposition pour les professionnels et la population et, d'autre part, l'enjeu de l'organisation interne.

Je commence par l'organisation interne. Le 18 février, nous avons proposé nos services à Olivier Véran au cas où il rencontrerait des difficultés pour la distribution des masques aux professionnels de santé. Bien sûr, il n'a pas hésité un seul instant à solliciter le réseau ; il a bien fait. Mais on n'avait pas mesuré l'ampleur de la pénurie, ce qui nous a mis en difficulté.

Le 2 mars, nous avons commencé la distribution auprès des professionnels de santé. C'est seulement le 15 mars que les pharmaciens ont été inclus parmi les professionnels qui devaient en avoir pour se protéger des patients susceptibles d'être porteurs du covid-19, ce qui témoigne d'un manque de considération à notre égard. Les préparateurs en pharmacie, quant à eux, ne l'ont été que le 20 avril – nous avions bien sûr dérogé à la règle et fait de la désobéissance civile, faute de quoi ils n'auraient pas pu travailler… Quoi qu'il en soit, cela montre surtout l'absence totale de communication avec la cellule qui s'occupait de la distribution des masques. Nous découvrions en temps réel, sans en avoir été avertis au préalable, les messages dits « DGS-urgent » envoyés aux pharmaciens, alors que nos trois organisations devaient être des relais d'information auprès de l'ensemble de la profession. Certes, toutes ces informations n'étaient pas très importantes, mais on aurait pu nous les communiquer ne serait-ce qu'un jour avant. Par exemple, quand les chiropracteurs et les opérateurs funéraires ont été ajoutés aux professionnels ayant droit à des masques, cela nous aurait permis d'expliquer aux pharmaciens comment reconnaître un opérateur funéraire. Il a fallu que nous envoyions à Olivier Véran une lettre ouverte commune pour avoir enfin, au milieu de la crise, une ou deux réunions téléphoniques avec la cellule de crise ; ensuite, la communication a cessé à nouveau. Il faut dire qu'elle était d'autant plus difficile que les interlocuteurs changeaient : au bout de vingt jours ils étaient épuisés, passaient à d'autres dossiers et étaient remplacés, ce qui fait que nous n'arrivions jamais à avoir un véritable suivi et des contacts réguliers.

Je rappelle, pour information, qu'entre le 2 mars et le 5 mai, nous avons distribué des masques aux professionnels de santé. À partir du 5 mai, nous en avons distribué aux malades du covid-19 et aux personnes contacts, puis aux patients fragiles ; c'était une très bonne chose – nous l'avions d'ailleurs demandé. Nous n'avons été rémunérés qu'à partir du 11 mai pour les patients et du 2 juin pour la distribution auprès des professionnels. Autrement dit, nous leur avons distribué gratuitement des masques du 3 mars au 2 juin… Le rattrapage n'a pas encore eu lieu. Ajoutons que la rémunération des pharmaciens était de 1 euro pour la dispensation à un professionnel de santé et 1 centime sur le masque en lui-même. Nous devions compter les masques que nous distribuions : 18 pour les médecins, 24 pour les dentistes, etc. C'était un travail de gestion de la pénurie qui exigeait de tenir des comptes précis. Je considère qu'il y a eu, à un certain moment, un manque de considération au regard de l'investissement des pharmaciens, car toutes ces opérations ont été très chronophages. C'est d'autant plus dommage que c'était seulement une question de communication, d'organisation et de fluidité dans le système. Nous n'étions pas du tout réfractaires ; au contraire, nous étions volontaires pour aider. Cela a été un vrai raté.

En ce qui concerne la distribution masques au grand public, je reprendrai la chronologie : le 3 mars, réquisition globale des masques sur le territoire ; le 13 mars, précision concernant la réquisition – tous les types de masque sont visés ; le 20 mars, levée partielle de la réquisition pour permettre aux entreprises d'équiper leur personnel pour assurer la continuité de leur activité. Dans des laboratoires comme Sanofi ou UPSA, les salariés travaillant sur les chaînes de fabrication portent des masques, des charlottes et des blouses. Des entreprises comme EDF doivent elles aussi équiper leur personnel, qui intervient sur des sites où il y a plusieurs personnes.

Le 31 mars, puis le 5 avril paraissent deux instructions interministérielles, signées par le directeur général du travail, le directeur général de la santé, la directrice générale des douanes et des droits indirects et la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, c'est-à-dire les quatre grandes directions en charge du dossier. Dans celle du 5 avril, on lit la phrase suivante : « Il est précisé que les équipements de protection individuelle et les dispositifs médicaux » – cela concerne donc l'ensemble des masques – « mis à disposition sur le marché dans les conditions définies aux points I et II de l'instruction ministérielle […] du 31 mars relative à la mise en œuvre de la recommandation (UE) 2020/403 de la Commission européenne du 13 mars relative aux procédures d'évaluation de la conformité et de surveillance du marché dans le contexte de la menace que représente le covid-19 sont destinés à être mis à disposition des professionnels et ne doivent pas être commercialisés à destination des consommateurs ». C'est donc très clair : on réserve les masques aux professionnels de santé et au personnel au contact avec le public – les caissières de supermarché, par exemple –, mais leur vente au consommateur est interdite. C'était un choix politique, qui suivait une recommandation de la Commission européenne.

Le 8 avril, nous recevons un nouveau message DGS-urgent précisant que les masques ne doivent pas être délivrés sur prescription médicale : les masques du stock de l'État n'étaient pas destinés aux patients, fussent-ils fragiles, car il n'y en avait pas assez. C'est un choix ; nous devions le respecter. Nous répondions donc aux patients qui nous demandaient des masques, même s'ils avaient une prescription médicale, que nous n'avions pas le droit de leur en donner.

Le 28 avril, les grandes et moyennes surfaces (GMS) annoncent qu'elles ont acheté des quantités importantes de masques, 130, 150 voire 200 millions – on a assisté à une véritable surenchère – qui pourront être mis à la disposition du consommateur. Elles vont alors déployer toutes les pratiques commerciales classiques : le masque est devenu un produit d'appel, réservé par exemple aux détenteurs d'une carte de fidélité du magasin ou aux clients dont le caddie dépasse 30 euros, qui obtiennent parfois le droit d'acheter dix masques à prix coûtant. On en a même vu conditionnés dans des barquettes de viande, sur lesquelles on n'avait même pas pris la peine de retirer mention « à conserver entre zéro et trois degrés ».

Pendant des mois, nous avions dû expliquer aux patients que nous n'avions pas le droit de délivrer ni de vendre des masques au grand public, en application des consignes du ministère de la santé, qui s'appuyait sur une instruction interministérielle. Et voilà que le ministère de l'économie se met d'accord avec les GMS et publie avec elles un communiqué annonçant qu'une bonne solution a été trouvée, et que grâce à la grande distribution, tout le grand public – pas uniquement les patients – aura désormais accès à des masques ! Ce dysfonctionnement est très choquant. Dans une crise sanitaire, il faut un chef. Bien entendu, le Président de la République et le Premier ministre prennent les décisions, mais c'est le ministère de la santé qui doit se charger de les faire appliquer ; il est inconcevable que plusieurs ministères prennent des dispositions contradictoires, contribuant à brouiller le message et à mettre en difficulté une stratégie bien définie.

Avec Philippe Besset et Carine Wolf-Thal, nous avons essuyé des critiques que vous ne pouvez imaginer, mais nous avons tenu bon dans un contexte difficile, face à des injonctions parfois contradictoires, pour protéger la population. Mais on ne peut pas considérer une profession comme un simple exécutant : c'est un partenaire que l'on associe à la stratégie de santé publique. Nous ne pouvons pas nous contenter d'exécuter des ordres contradictoires, sans être avertis de leur évolution autrement que par le Journal officiel ou le dernier DGS-urgent.

Les médecins ont critiqué la manière dont nous avons effectué le suivi des patients. C'est un phénomène classique : l'intervention d'un pharmacien ou d'un infirmier suscite toujours des réactions négatives chez le corps médical. Mais nous avons simplement dit qu'un patient stabilisé, n'ayant pas besoin d'une consultation médicale pour réévaluer sa situation, ne devait pas se retrouver en interruption de traitement. Certains médecins ont aménagé leur cabinet pour se rendre disponibles, par exemple en recevant le matin les patients covid-19, l'après-midi les patients classiques ; nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas aller chez le docteur, et nous avons même encouragé ceux qui le pouvaient à s'y rendre. Cependant, les quinze premiers jours, les médecins ont eu du mal à s'organiser – ce n'était facile ni pour eux, ni d'ailleurs pour les spécialistes ou les dentistes : ils ont été confrontés à des situations très difficiles, notamment pour gérer leur salle d'attente et leurs équipements de protection, interdits aux patients. Nous avons seulement dit que nous ne laisserions pas tomber un patient en difficulté, et qu'il aurait plusieurs portes d'entrée : le médecin et, à défaut, la pharmacie.

Nous sommes allés très loin dans cette démarche, par exemple s'agissant des traitements substitutifs aux opiacés, qui sont des médicaments sensibles, normalement prescrits pour une durée ne pouvant excéder vingt-huit jours ; pourquoi un patient stabilisé sous un tel traitement depuis deux ans aurait-il dû revenir tous les vingt-huit jours chercher une ordonnance ? Il n'avait à le faire que si une réévaluation s'imposait. Il en a été de même pour les traitements contre la douleur par stupéfiants : dès lors que le patient était stabilisé, nous avons automatiquement procédé au renouvellement. Évidemment, nous avons toujours pris soin de toujours solliciter l'avis du médecin : celui-ci donnait systématiquement son accord et, quoi qu'en disent certains leaders syndicaux, nous n'avons pas connu d'incident. Notre crainte était de voir certaines personnes profiter de l'occasion pour stocker des médicaments, mais l'étude EPI-PHARE montre que ce n'a pas été le cas : la consommation de médicaments pour traitements chroniques est demeurée stable – une augmentation aurait révélé des pratiques de stockage ; une diminution aurait signifié que certains patients avaient évité la pharmacie, et donc que notre système ne fonctionnait pas. Il faudra tirer les leçons de cette réussite.

Enfin, il est heureux que des pharmaciens aient pu délivrer des médicaments dans les EHPAD. Le personnel s'y trouvait en grande difficulté, et il n'était pas simple d'y faire venir des médecins. Ce dispositif, voulu par les pouvoirs publics et assumé par la profession, a bien fonctionné et a permis d'assurer la continuité des soins. Il s'agissait d'une prise de risque de la part de l'État, mais on ne pouvait pas laisser une personne âgée ou un patient chronique sans médicaments.

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