L'économie officinale a souffert pendant cette période, mais il faut relativiser. L'ensemble des entreprises françaises ont subi la crise, et beaucoup ont fermé. De nombreux confrères, dentistes ou kinésithérapeutes, ont complètement arrêté leur activité. Plutôt que la vague épidémique, face à laquelle la pharmacie a économiquement tenu bon, ce sont bien les quinze projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) votés ces dernières années qui ont fragilisé le réseau. Comme les soignants de ville, nous avons bénéficié d'un accompagnement par l'assurance maladie, grâce à un dispositif d'aide destiné à pallier les baisses d'activité. Dans notre secteur, la crise économique a donc été correctement gérée ; c'est plutôt la tendance lourde, à moyen terme, qu'il faut critiquer.
S'agissant des masques, il y a eu une différence de perception et de réalité entre les doctrines et le réglementaire, ce qui a fini par poser des problèmes juridiques. Deux décrets ont été publiés, mais il y a un délai entre le moment où le décret est pris et celui où il est possible de l'appliquer, du fait du délai incompressible entre les commandes et les livraisons. Ce constat doit nous conduire à réévaluer l'importance du stock stratégique et du stock tactique.
Le 3 mars, l'État réquisitionne les masques de l'ensemble des particuliers et des professionnels en France. Avant cette date, le stock dont disposaient les officines était faible, car l'usage de cet équipement était très limité en France avant l'épidémie de covid-19. Nous vendions généralement des masques, non remboursables, à des parents malades qui voulaient éviter de contaminer leur bébé ou leur famille ; sinon, peu de ventes étaient réalisées, ce qui explique l'état des stocks.
Le 4 mars, il n'y avait donc déjà plus de masques dans les officines : ils avaient tous été réquisitionnés. Le 23 mars, on s'aperçoit qu'empêcher les opérateurs privés d'en acquérir est absurde ; le décret est modifié et l'État les autorise à le faire : une sorte de flotte corsaire commence ainsi à se constituer. Il y a alors d'un côté l'État, avec ses propres acheteurs publics, qui acquiert des masques pour le compte de la population ; de l'autre, les entreprises elles-mêmes, qui avaient le droit d'en acheter dans la limite de 5 millions chacune. J'invite alors les acheteurs du réseau officinal – grossistes-répartiteurs et groupements de pharmaciens – à s'en procurer également ; ce qu'ils font, mais il faut attendre un mois avant que les livraisons arrivent : pendant ce temps, nous n'avons toujours rien en stock. Il fallait donc se référer à la doctrine : celle-ci donnait la priorité aux soignants puis aux patients fragiles, et enfin seulement à la population générale parce que nous étions en situation de pénurie. J'ai ensuite attendu que les opérateurs, groupements et grossistes, aient eu le temps de s'approvisionner avant d'écrire aux officines, le 17 avril, pour leur dire d'acheter des masques elles-mêmes afin de se constituer des stocks à vendre, dans la perspective du déconfinement.
Le débat public autour de la distribution de masques montre à quel point l'incompréhension a été complète sur ce sujet, mais il est vrai que l'affaire était complexe. Qui devait la prendre en charge, et comment devait-elle s'organiser ? Était-ce l'État – c'est ce qui a été décidé –, ou le grand public et les professionnels eux-mêmes – éventuellement grâce à une aide publique ? Dans ma propre officine, je dispose de deux stocks correspondant à ces deux circuits distincts : 2 000 masques qui m'appartiennent, que j'ai acheté et que je peux vendre ; et 2 000 autres correspondant au stock d'État, que je distribue aux soignants de ville et à la population fragile sur ordonnance médicale. Cela a été très compliqué à faire comprendre : nous n'avions pas de masques à vendre ; nous avions des masques à distribuer, en fonction de ce que l'État nous demandait de faire – c'était lui qui donnait les ordres.
Geodis n'a fait qu'une seule opération. Le 3 mars, une fois qu'Olivier Véran accepte notre proposition de distribuer les masques aux soignants de ville, un premier stock d'amorce de 10 millions de masques nous est envoyé par les grossistes-répartiteurs. Geodis effectue ensuite la deuxième livraison, qui arrive le 18 mars. Elle est calamiteuse, et ce sera la seule. L'État choisit alors – par l'intermédiaire de Santé publique France, j'imagine –, de faire à nouveau confiance aux grossistes-répartiteurs ; ce sont eux qui se chargeront des seize ou dix-sept distributions suivantes, avec des livraisons hebdomadaires aux officines.
La réalisation des TROD en officine s'appuie sur la recommandation de la Haute autorité de santé (HAS) et sur un arrêté paru le samedi 14 juillet, autorisant les officines à s'en charger, mais de façon « sèche », sans doctrine, sans accompagnement, sans positionnement de ces tests dans le parcours de soins. Il nous manque aussi de l'information sur l'intérêt de la sérologie elle-même dans la lutte contre l'épidémie. Il est clair, le ministre l'a dit à plusieurs reprises, que le dépistage de la maladie se fait par réaction de polymérisation en chaîne (PCR), donc par analyse de la virémie. Il faut réfléchir à l'intérêt de la sérologie, qu'elle soit réalisée en laboratoire ou en officine : quelle est l'utilité pour le médecin de savoir si son patient a développé des anticorps ? Cela lui confère-t-il une immunité ? Cela signifie-t-il qu'il n'est pas contaminant ? On ne le sait pas.
Pour l'heure, le TROD ne présente qu'un intérêt documentaire pour les patients qui veulent connaître leur histoire, comme cette femme qui est venue récemment me voir car elle avait eu un syndrome grippal au mois de mars. Cela m'est également arrivé, et j'ai aussi fait le test ; le résultat a été négatif. C'est surtout utile pour les soignants, qui ont besoin de savoir s'ils ont été au contact de la maladie. Il permet aussi de soulager les laboratoires lorsqu'ils sont surchargés, et a aussi un intérêt réel en matière d'épidémiologie, mais il faut pour cela qu'un opérateur – public ou privé – fasse remonter les informations, et donc que nous sachions à qui transmettre nos résultats. Pour le moment, la sérologie n'a pas de place dans la stratégie diagnostique et dans le parcours de soins ; selon la HAS, son intérêt est épidémiologique et documentaire, mais j'attends qu'elle nous fournisse des compléments d'information.
La FSPF est favorable à ce que les pharmaciens puissent réaliser des TROD, mais cet arrêté qui nous autorise à le faire n'est pas suffisant. Nous voulons savoir quelle est leur place dans le parcours de soins et j'ai déjà interpellé le cabinet du ministre à quatre reprises à ce sujet.
Par ailleurs, l'arrêté autorise également les médecins généralistes à pratiquer les TROD, ce qui pose la question du coût. Le prix doit-il être libre ? Les tests sont-ils pris en charge ? Nous avons posé ces questions dès la parution de l'arrêté. Monsieur le président, vous pourriez peut-être relayer nos interrogations, car il serait bon que nous sachions quoi faire des résultats des TROD réalisés en officine…