Nous n'avons pas eu de masques FFP2 pendant deux mois : ils étaient réservés aux hôpitaux. Lorsque nous avons commencé à en avoir, ils sont allés en priorité aux dentistes et aux médecins qui travaillaient dans la sphère ORL. Les biologistes eux-mêmes avaient été oubliés au départ. L'absence de dialogue a créé des tensions inutiles : on aurait pu prendre le temps de s'accorder sur une liste.
Quant aux services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et aux EHPAD, c'est l'État qui s'en est occupé. Une pharmacie qui aurait livré des masques à un SSIAD de trente infirmières aurait épuisé son stock d'un coup. En revanche, nous avons donné trois masques par semaine aux personnes travaillant en contact avec les personnes âgées, sur présentation du chèque emploi service universel (CESU). C'est à de telles solutions que nous avons dû recourir pour éviter le stockage indu.
Les officines ont acheté un million de TROD à ce jour. Ils ne sont pas vendus à la population, mais réalisés à l'officine. C'est bien, comme son nom l'indique, un test d'orientation, qui ne permet donc pas de poser de diagnostic. Son intérêt est de faire entrer le patient dans un parcours de soins. C'est la même chose pour les angines : si le TROD révèle une origine bactérienne, il faut aller consulter le médecin ; si c'est viral, nous pouvons prendre le patient en charge sans risque.
Les ARS ont été confrontées, comme beaucoup, à un flux d'informations extrêmement rapide qu'elles ont dû traduire dans leur action de terrain. Dans les secteurs que je connais, elles ont été réactives, ont fait au mieux pour accompagner les professionnels, les hôpitaux, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), malgré les difficultés de la mise en place de la coordination. Les présidents des unions régionales des professionnels de santé (URPS) auraient pu vous faire part, à cet égard, de leur expérience du terrain. Des ARS et des présidents des conseils régionaux ont pris le relais, avec les présidents des URPS, et mené des actions intéressantes. Lorsqu'il y a eu une pénurie d'alcool, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France, la mobilisation a permis de rassembler de l'alcool pour que les pharmaciens soient en mesure de fabriquer du soluté hydroalcoolique. Les préfets ont accordé à cet effet des facilités au niveau des douanes.
Pour ce qui est des médicaments, c'est nous qui avons demandé aux pouvoirs publics que le nombre de boîtes de paracétamol pouvant être vendues soit limité, afin d'éviter que les patients les stockent et ainsi créent la pénurie. La dispensation a été limitée à une boîte, voire deux, en cas de symptômes. La population, comme les pharmaciens, l'ont bien compris.
Nous avons alerté les pouvoirs publics car nous voyions arriver des prescriptions d'hydroxychloroquine. Nous avons estimé que, si nous laissions faire, nous nous retrouverions immanquablement en pénurie en quelques jours. Cela aurait privé les patients chroniques de leur traitement, tandis que d'autres personnes auraient utilisé ce médicament pour des indications non reconnues par l'autorisation de mise sur le marché. Nous nous sommes donc mis d'accord avec des médecins.
S'agissant des masques, je ne pense pas que d'autres acteurs aient été sollicités, à une réserve près. Alors que nous discutions depuis un mois et demi avec les pouvoirs publics, nous avons appris que La Poste allait distribuer les masques alternatifs aux patients bénéficiaires d'une complémentaire santé solidaire (C2S). On aurait pu nous dire qu'on ne souhaitait pas faire affaire avec nous – bien que nos demandes fussent très raisonnables – et qu'on préférait s'adresser à La Poste ; mais nous l'avons appris en regardant le journal de vingt heures ! C'est d'autant plus choquant que l'État avait demandé aux pharmaciens d'acheter des masques alternatifs, car il souhaitait privilégier leur usage par rapport à celui des masques jetables. Les pharmaciens se retrouvent donc avec des stocks, mais l'État a décidé d'utiliser les siens… On doit déplorer, là aussi, un manque de considération des pouvoirs publics.
Nous avons également fait preuve de responsabilité concernant les gels hydroalcooliques. Nous avons demandé aux pouvoirs publics d'encadrer les prix, pour éviter tout dérapage, et nous avons fabriqué du soluté hydroalcoolique. La grille des prix était surprenante : le prix du flacon de 100 ml était 1 euro plus élevé que celui du flacon de 125 ml. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) y regardait de près lors de ses contrôles. Cela étant, nous ne manquons plus de gel. Et nous avons retrouvé une quantité suffisante de flacons – ce qui n'était pas évident au départ…
Une grande solidarité s'est manifestée entre les pharmaciens et les organisations. Les officines, les syndicats, l'Ordre des pharmaciens et les groupements de pharmaciens ont travaillé ensemble. Ceux qui pouvaient obtenir des masques devaient les mettre à la disposition de toutes les officines, quelle que soit l'organisation à laquelle elles appartenaient.
Nous recevons beaucoup de demandes de TROD de la part de patients qui veulent connaître leur situation. Ils sont réalisés dans un esprit de complémentarité et s'inscrivent dans le cadre du parcours de soins. Au vu des polémiques, les pouvoirs publics n'ont pas organisé de remontée d'information sur les TROD ; s'ils l'avaient fait, la pression serait montée d'un cran du côté de nos confrères… C'est pourquoi nous avons passé un contrat avec COVIDIA, organisation d'intérêt public constituée, entre autres, d'une dizaine de médecins, membres de l'Académie de médecine, parmi lesquels des spécialistes en virologie. À l'aide de leur propre outil de collecte des données, ils avaient réalisé une étude pour déterminer combien de personnes avaient rencontré le virus à Rungis. Nous souhaitions en effet que les TROD effectués en officine ne servent pas uniquement à assouvir la curiosité – légitime – des patients mais offrent aussi une photographie de la contamination, région par région, département par département, afin de contribuer à orienter la stratégie de santé publique.
Je le confirme : nous n'avons eu aucune relation avec Santé publique France et nous n'avons pas participé au conseil scientifique covid-19. C'est encore la direction générale de l'offre de soins du ministère des solidarités et de la santé qui nous a contactés pour déterminer si nous allions continuer à distribuer des masques gratuitement aux professionnels à partir de septembre. De fait, notre interlocuteur est le ministère. Nous avons beaucoup travaillé avec des conseillers, qui connaissaient eux-mêmes une situation extrêmement difficile, car ils étaient très sollicités. Nous avions des relations quotidiennes avec le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour organiser le remboursement du renouvellement des traitements. Nous avons veillé à ce que la chaîne de traitement de l'assurance maladie suive, dans un contexte de télétravail généralisé. Dans la mesure où nous pratiquons le tiers payant – ce qui nous conduit à avancer les frais pour les patients –, il fallait impérativement éviter tout incident dans le mécanisme de liquidation des remboursements. Il convenait de prémunir les pharmacies, qui étaient en difficulté, contre tout problème de trésorerie lié à un retard de paiement de l'assurance maladie. Nous n'avons pas déploré d'incident.