Je suis la directrice centrale du service de santé des armées (SSA) depuis trois ans. Il s'agit d'un système de santé intégré complet, créé et dimensionné pour sa mission, qui est le soutien médical des armées. Cela signifie apporter en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances, à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel, un soutien santé qui lui garantisse la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie, afin de préserver ses chances de survie et de moindres séquelles, tant physiques que psychologiques.
Le service de santé des armées compte 1 600 femmes et hommes, civils et militaires, auxquels il convient d'ajouter 3 300 réservistes.
Nos savoir-faire spécifiques qui s'exercent dans tous les milieux, terrestre, maritime et aéronautique, sont essentiellement liés à la blessure de guerre physique et psychique, aux domaines nucléaire, radiologique et chimique et, bien sûr, aux pathologies infectieuses.
Ces dernières années, les compétences du SSA ont été mises à plusieurs reprises au service de la santé publique, dans le domaine du traumatisme de guerre, lors des attentats de 2015, dans le domaine de l'infectiologie, lors de l'épidémie de grippe H1N1, en 2009, puis lors de l'épidémie à virus Ebola, en 2014, aussi bien sur le territoire national que par la projection d'un centre de traitement des soignants biosécurisé en Guinée Conakry.
Pour mener à bien ses missions, le service dispose de plusieurs capacités : une médecine de premier recours, que nous appelons médecine des forces, huit hôpitaux militaires, le ravitaillement médical, la formation et la recherche biomédicale de défense. L'action combinée de ces cinq composantes permet au SSA de déployer une chaîne médicale complète et ininterrompue, de l'action plus près du soldat, sur le terrain d'opération, aux hôpitaux militaires.
L'engagement opérationnel du SSA est très dense puisqu'en 2019, près de 2 000 militaires du SSA ont été projetés en mission sur les théâtres d'opérations, aux côtés des armées. Nous soutenons également la gendarmerie nationale.
Dès les premiers jours de la crise covid, le SSA a contribué aux trois opérations de rapatriement de ressortissants depuis Wuhan, les 31 janvier, 2 et 9 février 2020, en apportant son expertise en termes de biosécurité et de décontamination et en assurant un rôle d'interface avec les autorités sanitaires régionales et nationales. Grâce à un hôpital reconnu de premier niveau par l'agence régionale de santé (ARS), Begin, à Saint-Mandé, et trois hôpitaux de deuxième niveau, Percy à Clamart, Laveran à Marseille et Saint-Anne à Toulon, les hôpitaux militaires ont très vite activé leur plan blanc, le 6 mars et élargi leur capacité d'hospitalisation en réorientant 300 lits d'hospitalisation conventionnelle vers l'accueil de patients covid et en multipliant par trois, de 57 à 166, le nombre lits de réanimation.
Toutes les ressources des hôpitaux militaires dans leurs différences et leurs complémentarités ont été utilisées. Nous les avons renforcées par des médecins et des infirmiers de la médecine des forces, mais aussi par des réservistes et des élèves de nos écoles. Entre le 15 mars et le 15 mai, en moyenne 150 réservistes et 250 élèves ont été employés chaque jour en renfort au sein des hôpitaux militaires. Au total 13 867 patients covid ont été pris en charge au sein des hôpitaux d'instruction des armées (HIA), dont 3 616 patients hospitalisés en secteur conventionnel covid et 546 en réanimation.
Dans le même temps, nos chercheurs, nos épidémiologistes et nos soignants ont travaillé en réseau interne et avec les réseaux civils pour contribuer à l'intense réflexion et à l'innovation scientifique, médicale et organisationnelle du SSA.
Par ailleurs, le SSA a déployé, en lien avec la direction générale de la santé (DGS) et les ARS, des capacités mobiles ou délocalisées de réanimation pour participer au transfert ou à la prise en charge des patients gravement atteints par le covid depuis les hôpitaux civils les plus saturés. Dès le 18 mars, le service a réalisé une première évacuation médicale aérienne à bord d'un Airbus A300 Phénix de l'armée de l'air avec, pour la première fois sur le territoire national et dans une ambiance hautement infectieuse, mise en œuvre du système Morphée (module de réanimation pour patient à haute et élongation d'évacuation). Six opérations Morphée ont été conduites entre le 18 mars et le 3 avril, impliquant au total vingt-neuf personnels du SSA et permettant le transfert de trente-six patients lourds, intubés et ventilés.
Le 23 mars, douze autres patients ont été transférés d'Ajaccio vers les hôpitaux de la région PACA, dont l'hôpital militaire Laveran à Marseille, à bord du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, médicalisé par le SSA, renforcé de personnels soignants civils. Aucun décès n'a été à déplorer lors de ces transferts de patients de réanimation.
À partir du 28 mars, pour répondre à la demande de désengorgement des lits et de réanimation dans le Grand Est, puis en Île-de-France, l'armée de terre amis à disposition des hélicoptères Caïman dont la médicalisation a été assurée par des équipes médicales civiles, renforcées par des équipes du SSA. Puis, selon le même modèle, un pont aérien a été mis en œuvre entre la région parisienne et les hôpitaux de province, dont des hôpitaux militaires, par des moyens de l'armée de l'air : Falcon, Caracal, Puma, Casa, A400M. Au total, près de 150 patients ont été aérotransportés par des équipes civilo-militaires.
À ces évacuations aériennes se sont ajoutés les transferts intra-sanitaires auxquels ont pris part des équipes médicales du SSA.
En parallèle, à la demande du Président de la République, l'action peut-être la plus emblématique du SSA a été la conception ex nihilo et le déploiement d'un élément militaire de réanimation du service de santé des armées (EMRSSA), à Mulhouse. En six jours et demi, entre l'annonce présidentielle du 16 mars et la qualification opérationnelle du 23 mars, un service de vingt-sept lits de réanimation complet, aux plus hauts standards hospitaliers, a été monté sous tente, sur une aire de parking. Cet EMRSSA de mille mètres carrés a nécessité le conditionnement, l'acheminement et le déploiement de mille mètres cubes de matériels, un véritable défi pour la composante ravitaillement médical du service et pour le régiment médical de l'armée de terre.
Recevant, dès le 24 mars, le premier d'une série de quarante-sept patients lourds, les 136 personnels de l'EMR ont travaillé dans des conditions climatiques difficiles. Après leur relève, 354 personnels militaires, dont 235 du SSA, ont pu soulager les services de réanimation saturés du Grand Est et contribuer à l'amélioration des parcours des patients par leur appoint dans les organisations post-réanimation.
Le SSA prenait ses ordres du plateau ministériel « covid » du ministère des armées et agissait sur déclenchement par le centre de planification et de conduite des opérations de l'état-major des armées. Localement, l'action du SSA a été coordonnée par les officiers généraux des zones de défense et de sécurité, positionnés en interface avec les directeurs généraux d'ARS et les préfets, et conseillée par les médecins commandant les centres médicaux des armées selon une logique de proximité permise par le maillage territorial du service.
À chaque instant, le SSA a œuvré en bonne coordination avec la santé publique, grâce aux praticiens militaires positionnés au ministère des solidarités et de la santé et grâce à sa participation aux cellules de crise de ce ministère, ainsi qu'à celles des ARS.
Lors du déconfinement, comme l'ensemble du ministère, le SSA a mis en œuvre son plan de remontée progressive d'activité orientée vers trois objectifs stratégiques : soutenir les armées dans leur reprise d'activité, régénérer le SSA et poursuivre la contribution à la résilience de la nation. En application de ce troisième point et à la demande des autorités sanitaires, l'EMRSSA s'est reconfiguré sous une autre forme vers nos outremers : Mayotte, du 1er au 30 juin, où dix-huit patients graves ont pu être pris en charge par cinquante-neuf soignants du SSA, et la Guyane, du 10 juillet au 13 août, pour neuf patients supplémentaires pris en charge par vingt-deux soignants du SSA, sans oublier les évacuations aériennes de sept patients par A400M vers les Antilles.
En opération extérieure (OPEX) comme sur le territoire national, des procédures sanitaires adaptées aux conditions opérationnelles et conformes aux recommandations de la santé publique ont été proposées aux armées par le SSA et mises en place par celles-ci, afin de répondre à la volonté forte d'éviter l'importation, l'exportation ou la dissémination du virus lors des activités militaires ou des relèves.
Des automates de laboratoire PCR ont été déployés sur les théâtres, où ils sont la pierre angulaire de notre stratégie de diagnostic précoce.
Une capacité de réanimation projetable a été constituée pour la prise en charge directement sur les théâtres d'opération de militaires covid gravement malades, en attendant leur évacuation sanitaire par voie aérienne. Je précise que cette dernière capacité n'a pas eu à être utilisée à ce jour.
Sur le territoire national, dans le cadre de la stratégie « tester, tracer, isoler », une politique ambitieuse de pratique de tests PCR et de contact tracing a été menée au profit des armées. Elle s'appuie sur trois niveaux. Le niveau 1 est assuré par notre médecine de premier recours qui prend en charge et dresse pour chaque militaire PCR positif la première liste des personnes contacts à risque, lesquelles sont également isolées et médicalement accompagnées. Le niveau 2, situé au niveau des centres médicaux des armées, collige les résultats des enquêtes et les transmet au système informatisé SIDEP (système d'information national de dépistage de la covid-19) de Santé publique France. Ceci permet une étroite coordination entre les militaires, et Santé publique France pour les civils, et une enquête civilo-militaire complète et coordonnée. Le niveau 3 concerne nos épidémiologistes qui assurent la veille sanitaire et réalisent les enquêtes les plus complexes. Au besoin, des équipes sont projetées dans un délai court, notamment en cas de foyer de contamination, comme cela a été le cas fin février, sur la base aérienne de Creil, ou en avril, pour le groupe aéronaval.
Au 1er septembre, le SSA avait réalisé plus de 44 000 tests PCR au profit des armées et de la gendarmerie nationale et 18 000 tests sérologiques. Avec 55 nouveaux tests PCR positifs, hier, et une quarantaine de clusters suivis au sein des armées et de la gendarmerie, l'activité covid du SSA augmente de nouveau, sans se démarquer épidémiologiquement de ce qui est observé au niveau de la population civile.
Le SSA ne manque pas d'atouts qui lui ont permis de se préparer et d'agir au profit des forces armées comme de la santé publique. Notre dispositif d'alerte opérationnelle permanente, conçu pour le soutien des opérations militaires, confère au SSA une grande réactivité. Celui-ci dispose aussi des compétences et de l'expérience nécessaires, tant dans la gestion de crise que dans le domaine du risque biologique et épidémiologique. Enfin, la composante du ravitaillement médical entretient un stock de matériel et d'équipements prêt à être déployé en soutien médical des opérations militaires. Ce stock a notamment permis la cession de cinq millions de masques et de vingt respirateurs au profit de la santé publique, ainsi que la constitution de l'EMRSSA de Mulhouse en un temps record. La régénération de ce stock est en cours.
Aurions-nous pu faire autrement ? La réponse est non. Le SSA s'est appuyé sur son expérience en matière de gestion de crise en mobilisant ses aptitudes militaires à concevoir, s'adapter, réagir, gérer les flux médicaux, réarticuler ses capacités dans un délai court, dans tout type d'environnement. Nous sommes à l'image de nos armées. Nous sommes intervenus non pas en ultima ratio – nous ne serions pas en capacité de le faire –, mais de manière précoce et continue, en fonction d'un effet à obtenir. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'« effet starter » apporté par le SSA à la santé publique, dont il ne représente que 1 % des capacités.
Aurions-nous pu faire davantage ? La réponse est non. Je suis fière que le SSA ait répondu aux demandes qui lui ont été adressées sans jamais faiblir dans le soutien aux armées en opération ou dans la prise en charge des militaires blessés, qui demeure sa mission première. Les moyens du service et son organisation sont déterminés pour cela, dans le cadre des contrats opérationnels fixés à nos armées. Le service de santé des armées ne peut pas être une réponse aux besoins globaux de la santé publique en cas de crise. Sa plus-value consiste à contribuer à des réponses circonstanciées hors les murs de l'hôpital, comme nous l'avons fait pendant la crise. Chacun doit garder à l'esprit les ordres de grandeur. Je le répète, le SSA ne représente que 1 % des personnels de santé en France, qui permet d'atteindre les objectifs fixés en matière de santé des forces armées.
Pour terminer, je tiens à souligner qu'aucune de ces actions n'aurait été possible sans l'engagement exceptionnel et sans faille des femmes et des hommes du SSA, auxquels je souhaite rendre un hommage appuyé, sans oublier leurs familles.