Dès le début de la crise, la grande distribution a joué un rôle stratégique, assumant une tâche de service public : nourrir les Français. Globalement, cela s'est bien passé ; aucun de nos 30 000 magasins n'a fermé, même si nous avons eu de fortes inquiétudes en matière de timing global de nos opérations. Cela a été possible grâce, notamment, au contact permanent que nous avons maintenu avec les pouvoirs publics. J'ai participé à des réunions – jusqu'à quatre par jour – avec M. le ministre de l'économie et des finances. Nous suivions en permanence trois indicateurs simples : le taux d'absentéisme dans nos magasins, le taux de fonctionnement de nos entrepôts et le taux de service des produits.
Les masques sont un sujet permanent depuis le début du confinement. Avant le 15 mars, nous n'en vendions pas. On ne trouvait pas ce produit dans les magasins. Le 15 mars au matin, Bruno Le Maire a réuni les grands patrons de la distribution pour mettre en œuvre les décisions annoncées par le Premier ministre la veille au soir. Dans la journée, nous avons mis en place un comité qui, sous la direction d'Émilie Tafournel, a rédigé dans la journée un protocole sanitaire adressé dès le lendemain à tous nos magasins, car nous avions pour impératif absolu de rester ouverts. Le premier sujet de ce protocole sanitaire était les masques, puisqu'il nous avait été clairement indiqué que nous n'aurions pas le droit d'en acheter, dans la mesure où ils étaient réservés aux personnels soignants. Nous avons donc recommandé le port de masques en plexiglas et la pose de barrières en plexiglas dans les magasins.
Dès le 15 mars, nous considérions qu'il était indispensable d'acheter des masques pour nos salariés, afin de les rassurer. Le 21 mars, nous avons obtenu l'autorisation d'importer des masques, uniquement pour eux. À la fin du mois de mars, les taux d'absentéisme étaient tels que nous avons envisagé, à la demande de Bruno Le Maire, un scénario dégradé. Celui-ci prévoyait, à partir du début du mois d'avril, la réquisition de personnels d'autres secteurs, notamment le commerce non-alimentaire, et la réduction du nombre de produits proposés à nos clients. Heureusement, grâce aux masques et à l'extension du chômage partiel, une partie de nos salariés est revenue travailler, leurs enfants étant gardés par leurs conjoints. Grâce aux masques que nous avons obtenus, nous avons tenu bon.
La deuxième grande étape a commencé le 16 avril. Nous préparons le déconfinement. Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, Agnès Pannier-Runacher, nous a demandé d'organiser la massification de la fabrication de masques textiles réutilisables et l'achat de volumes importants, afin de les mettre à la disposition du public avant le 11 mai. Toutefois, nous sommes tous convenus que trouver des producteurs et faire fabriquer des masques prendrait du temps, et que la seule solution était d'acheter directement, sur les marchés internationaux, des masques chirurgicaux à usage unique, ce que nous avons eu l'autorisation de faire à partir du 24 avril. Le Gouvernement nous a d'ailleurs dit qu'il nous donnait cette autorisation mais que, juridiquement, il n'avait pas la possibilité de nous l'interdire, dès lors que les achats étaient effectués dans les conditions prévues par le système de déclaration préalable.
Le 29 avril, Agnès Pannier-Runnacher et moi-même avons publié un communiqué conjoint, au nom du ministère des finances et de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, mentionnant des garanties claires sur le prix des masques chirurgicaux et des masques textiles, ainsi que l'engagement de notre part de les vendre à prix coûtant.
Le 1er mai a surgi une polémique totalement infondée, à laquelle nous avons répondu, née de la confusion entre les annonces en matière de masques et leur disponibilité réelle. Notre métier est d'acheter et de vendre. À partir du moment où on nous en a donné l'autorisation, compte tenu du fait que nous sommes présents sur les marchés étrangers, nous avons eu la capacité d'acheter des masques en quantités très importantes. Il n'y avait aucun stock caché, ni rien de tout ce qu'on nous a reproché de façon excessive. Après quelques jours de mise en œuvre progressive, les Français ont eu accès aux masques sans difficulté, et le déconfinement s'est déroulé de la meilleure façon possible. Le problème s'est même inversé : nous avons à présent tant de masques que l'offre excède la demande, de sorte que les prix s'effondrent, et qu'ils sont vendus à des prix très inférieurs à leur prix d'achat.