J'y serai sensible. Tout ce qui contribuera à asseoir la légitimité du débat public sur la santé lors des crises sanitaires est bienvenu.
J'ai parcouru avec intérêt la tribune publiée récemment par un ancien ministre de la santé. Il est libre de juger la façon dont la crise a été gérée. Je ne peux m'empêcher de constater que ce même ancien ministre de la santé s'était illustré au début de la crise par des prises de position sans nuances sur le recours à certains éléments thérapeutiques dont la pertinence n'a pas été démontrée, bien au contraire. Je veux bien faire preuve d'humilité, mais cette vertu gagnerait à être plus largement distribuée en matière de gestion de crises.
Monsieur Dharréville, vous estimez que nous avons mis du temps à réagir une fois que le problème des masques était connu. Je suis tenté de vous répondre en Normand : « oui et non ». Oui, nous ne disposions pas de suffisamment de masques compte tenu du changement de doctrine, dont il faudrait parler, mais il fallait les commander, puis les produire et enfin les acheminer, dans une période de désorganisation liée à l'interruption du transport aérien. En Chine, des enchères se sont tenues sur les tarmacs avant que les autorités chinoises ne règlent la situation. D'innombrables contacts sont venus nous dire qu'ils connaissaient une bonne filière pour faire venir des masques de Chine. Nous avons tous entendu des personnes prétendre connaître le bon contact, capable de trouver 350 000 masques. Après vérification, ce n'était si vrai. Comme nous ne voulions fermer aucune porte, nous avons vérifié, mais cela a rendu les choses plus compliquées.
Oui, les masques ont mis du temps à arriver. Le Gouvernement, lorsqu'il a senti que la doctrine était en train d'évoluer, a décidé de faciliter la production de masques pour le grand public, normés notamment par la DGA, pour fournir des solutions de substitution tant que nous ne pourrions pas nous équiper durablement en masques chirurgicaux.
La question sur l'aspect anxiogène de la communication est très pertinente. Ma communication a-t-elle fait monter l'anxiété trop vite, trop tôt, ou au contraire pas assez vite et pas assez fort ? Un message est reçu par des gens extrêmement variés. En tête à tête, ou devant une salle de dix ou trente personnes, il est possible d'adapter le message à l'auditoire. Lorsque vous vous adressez à la nation, le message est le même pour tous, et certains penseront d'emblée que vous en faites trop, d'autres que vous n'en faites pas assez.
Je ne prétends pas avoir bien communiqué, j'ai commis des erreurs, comme beaucoup d'autres. Au moment où je m'exprimais, j'avais le sentiment d'être exactement où il fallait être, et deux mois après, je me suis rendu compte que ce n'était pas vrai. J'ai déclaré, au journal télévisé de TF1, que le port du masque en population générale n'avait aucun sens. J'ai fait cette déclaration parce que des médecins me l'avaient dit, parce que c'était la doctrine, qui n'a changé que longtemps après. Je l'ai dit avec assurance, parce que je pensais qu'il fallait diffuser cette information, qui résultait de la doctrine.
La doctrine a changé depuis. Chaque fois que l'on me rappelle cet épisode, je me demande si j'aurais dû m'exprimer de façon plus prudente, pour me préserver, ou parler de la façon la plus convaincante, car c'était la doctrine. J'estime qu'en gestion de crise, mieux vaut penser à la décision prise et au message transmis qu'à ce qu'à ce qui nous arrivera trois mois après. J'assume avoir tenu ces propos à l'époque, mais je comprends bien la situation de porte-à-faux dans laquelle je me trouve.
Face à une épidémie, il faut arriver à expliquer à une masse critique de gens que s'ils ne font pas ce qu'il faut, les choses vont très mal se passer. Il y a nécessairement une forme d'anxiété, mais calibrer le juste niveau est très difficile. En faisons-nous trop ou pas assez, le moment est-il opportun ? Il est très difficile de juger.
Dans un second temps, nous avons opté pour une communication beaucoup plus factuelle, avec des chiffres, des graphiques, expliquant ce que nous savions et ce que nous ignorions, nous appuyant sur une parole scientifique aussi souvent que possible. Cette communication a été perçue comme solide.
Ce ne sont pas les experts qui gouvernent. La date des élections municipales était une décision politique – heureusement – mais elle doit être éclairée par les avis des experts, ce qui est plus difficile quand ils sont en radical désaccord. Il ne faut pas non plus critiquer les experts en tant qu'experts, à moins de participer à l'exercice de délégitimation que je dénonçais précédemment. Le Conseil scientifique, tel qu'il a été créé par le Président, répondait au besoin d'un organe moins institutionnel et composé de personnalités dont les champs d'expertise étaient plus larges et répondaient à la crise sanitaire. Associer des spécialistes des sciences cognitives et de la sociologie à la gestion de la crise sanitaire, en plus des épidémiologistes, me semble une intuition intéressante. Certes, cela aboutit à la création d'un instrument supplémentaire, mais il était utile d'avoir un instrument dédié et spécifique à cette crise sanitaire et à son caractère particulier.