Intervention de Edouard Philippe

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 14h15
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Edouard Philippe, ancien Premier ministre :

Je ne suis pas médecin, et je n'ai jamais pensé que l'on pouvait s'improviser médecin. J'ai eu la chance, en tant que Premier ministre, d'avoir pour ministres de la santé deux grands médecins, issus de spécialités très différentes. J'ai été heureux de travailler avec eux, car ils avaient une connaissance intime du milieu hospitalier et des connaissances de base en médecine, mêmes s'ils reconnaissent ne pas être à la pointe dans toutes les spécialités. Leur apport était précieux pour éclairer les débats.

Le directeur général de la santé est aussi un médecin, et beaucoup d'autres médecins étaient consultés au sein de la Haute Autorité de santé et de tous les autres organismes existants. De plus, lorsque j'étais à Matignon, j'ai régulièrement rencontré des spécialistes. Il n'était pas question de m'expliquer les ressorts de la maladie – je n'allais pas faire un « crash course » pour devenir épidémiologiste en trois heures – mais de m'aider à en avoir une idée plus précise. J'ai donc interrogé différents médecins sur leur évaluation de l'épidémie, sur ce qui les surprenait, sur ce que nous ne voyions pas, sur leurs anticipations. Ce type de questions, dans une discussion de personne à personne, permet de mieux saisir la réalité médicale. J'ai toujours fonctionné ainsi, et j'en ai besoin.

Certains de mes interlocuteurs assénaient avec beaucoup de certitudes des éléments qui se sont révélés fragiles par la suite, mais leur certitude leur a ouvert les plateaux de télévision. D'autres faisaient preuve d'une grande humilité et reconnaissaient qu'ils ne savaient pas. Prenons un exemple, fascinant pour un non-spécialiste : des médecins m'ont alerté du fait qu'ils n'avaient pas la certitude qu'une personne guérie soit immunisée. Selon certaines hypothèses, il est possible de développer la maladie une deuxième fois, sous une forme plus grave. Comment prendre une décision publique sans savoir si les personnes guéries sont immunisées ou risquent pire en cas de nouvelle contagion ? Sur un plateau de télévision, il est facile de faire le malin, mais comment définir une politique de santé publique et une stratégie de réponse à la crise avec des incertitudes de ce type ?

Le Président de la République, les ministres de la santé, nous avons tous cherché à nous appuyer sur la science. Dans d'autres pays, les politiques ne se sont pas du tout appuyés sur la science, je ne suis pas sûr qu'ils aient eu de meilleurs résultats. J'admets les limites de mes connaissances médicales, mais en démocratie, les gouvernants ne peuvent pas être les experts. Ils doivent essayer de comprendre, mais ils ne peuvent pas tout savoir. J'ai essayé d'écouter ceux qui savaient beaucoup plus que moi en la matière, et de progressivement me faire un avis.

S'agissant des élections municipales, je n'ai pas changé d'avis. Il peut m'arriver, quelques mois après une décision, de penser que ce n'était pas la bonne, mais compte tenu des contraintes qui s'exerçaient, je crois que nous avons pris la bonne décision en maintenant le premier tour des élections municipales. Cette décision a été longuement discutée avec le Président de la République, c'était de loin la moins mauvaise que nous pouvions prendre.

Agnès Buzyn a choisi, dans des circonstances dont chacun se souvient, de présenter sa candidature aux élections municipales à Paris. La question lui avait été posée, les circonstances et sa conviction que l'action publique à long terme impose un enracinement électoral l'ont conduite à accepter cette proposition. Je respecte sa décision. Je ne reprocherai jamais à personne de se porter candidat à une élection. Je suis profondément démocrate et républicain, et se présenter à une élection dans un système démocratique est toujours une bonne chose. C'est compliqué, surtout pour ceux qui exercent des fonctions prenantes, je le conçois parfaitement. On m'a reproché dans l'hémicycle d'être candidat au Havre. Je comprends ce reproche, bien que la vie politique amène parfois à saisir toutes les occasions de faire des reproches, mais je considère que se présenter à une élection, avoir un enracinement électoral, demander aux citoyens s'ils considèrent qu'une candidature est légitime et que l'action est efficace, c'est utile. C'est une conviction ancienne, et elle ne va pas changer de sitôt.

Seuls les éléments pertinents du plan pandémie ont été mis en œuvre. Heureusement, nous n'avons pas appliqué la phase trois de ce plan qui prévoyait de ne tester personne et de laisser le virus circuler en limitant ses effets. Nous avons retenu du plan tous les aspects reproductibles à une pathologie pour laquelle il n'était pas prévu. Il est faux de dire que rien n'a été fait. Certes, la dernière version du plan pandémie grippale date de 2011, mais dans les mois qui ont précédé la pandémie, nous travaillions sur le plan variole.

Après une crise de faible intensité, on tape toujours sur ceux qui imaginaient qu'elle aurait pu être plus grave. Nous l'avons constaté après la crise H1N1, et je n'exclus pas que les difficultés rencontrées après soient un contrecoup des critiques violentes formulées à l'égard de ceux qui l'avaient gérée. On peut nous reprocher d'avoir préparé un plan variole alors que c'est un coronavirus qui nous a frappés, mais je vous garantis qu'il est bon d'avoir un plan variole si une telle épidémie survenait.

Je comprends l'idée de fermer la totalité des frontières avec la Chine. À ce moment précis, seuls les Italiens avaient pris cette mesure. Le 23 janvier, il n'y avait pas de morts et moins de onze cas en France. Était-il judicieux, alors, de faire cesser toutes les liaisons aériennes avec la Chine ? Une telle décision, pour être efficace, doit être prise à l'échelle de l'espace Schengen : couper tous les vols entre la France et la Chine n'empêche pas de passer par les pays voisins. Et alors que les Allemands et les Anglais continuaient de commercer avec la Chine, nous aurions fermé les frontières ? Des responsables privés et publics auraient reproché au Gouvernement de surréagir et de prendre une mesure à l'impact considérable, mais qui n'a pas l'effet sanitaire recherché, puisqu'elle pourra être contournée.

Quant aux courriers que vous mentionnez, je répète que je n'en avais pas connaissance, ce qui ne doit pas surprendre. Matignon ne suit pas la totalité des dossiers et des politiques publiques de chaque ministère, ce serait impossible. On voit passer à Matignon les problèmes qui impliquent plusieurs ministères. S'il n'y a pas un blocage entre deux ministres, vous n'en avez pas connaissance, sauf quand un ministre vient vous voir de lui-même en soulevant un problème. Sinon, Matignon a pour rôle d'impulser de nouvelles politiques ou d'arbitrer entre les actions de départements ministériels qui ne s'accordent pas spontanément. Si ils sont d'accord, Matignon ne sera pas informé, ou se contentera de sanctionner la décision sans l'instruire. Il est important de comprendre cette mécanique pour comprendre la façon dont nous intervenons dans le processus de décision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.