Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 10h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Castaner, ancien ministre de l'intérieur :

Monsieur Gaultier, si le directeur de l'ARS vous a indiqué qu'il avait demandé au ministère de l'intérieur de confiner le Haut-Rhin et que nous ne l'avions pas fait, il aurait pu avoir en tête que nous n'étions pas compétents pour prendre cette décision. À aucun moment il n'incombait au ministère de l'intérieur de décider de confiner un département. La loi que vous avez votée a donné des pouvoirs extrêmement clairs non au ministère de l'intérieur, mais au ministère de la santé et au Premier ministre. S'il a tenu ces propos-là, je lui rappelle donc que le ministère de l'intérieur s'efforce toujours de respecter le droit. Je ne sais pas s'il y a eu des échanges entre le directeur de l'ARS et sa tutelle sur d'autres mesures que celles qui ont été décidées pour le Grand Est. En revanche, je sais que le ministère de l'intérieur n'était pas compétent pour décider un confinement territorialisé.

Vous avez repris par ailleurs le mot « hermétique » que j'ai utilisé plus haut. Je l'ai évoqué pour les stades 1 et 2, comme une méthode. La gestion des clusters ne présentait pas un caractère totalement hermétique, ce qui est d'ailleurs une limite à notre système. D'autres pays ont choisi par exemple de contrôler les quarantaines de façon beaucoup plus hermétique que ce qui se faisait chez nous.

Vous m'avez interrogé sur les CRA. J'ai tenu à maintenir ouverts les centres de rétention administrative pendant toute la période du confinement. Le nombre d'entrées était réduit, la justice ne fonctionnant pas. De plus, nous savions pertinemment qu'il n'y aurait aucun départ possible à destination de certains pays, car les vols étaient interdits. Toutefois, même durant cette période, il nous est arrivé de reconduire des personnes dans leurs pays d'origine en utilisant les moyens de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), en affrétant des avions et en organisant des retours, par exemple, vers l'Albanie et la Géorgie.

Nous avons donc maintenu des CRA ouverts. Nous avons rassemblé des personnes dans certains CRA pour en fermer d'autres, qui regroupaient moins de retenus. En revanche, j'ai fait en sorte que tous les étrangers qui étaient des sortants de prison soient maintenus dans les CRA jusqu'au bout de la limite légale d'autorisation de ce maintien. Cela a fait l'objet de polémiques. Le Défenseur des droits a eu l'occasion de nous le reprocher. La déléguée aux prisons a effectué des visites de CRA et nous a reproché également de ne pas les fermer. Certains ont demandé la fermeture de l'intégralité des CRA. J'ai assumé la décision de ne pas le faire, en particulier pour qu'aucun sortant de prison en situation irrégulière placé en CRA n'en sorte en raison d'une décision de fermeture administrative. Cependant, en vertu du principe de réalité, je savais pertinemment que nous n'étions pas en mesure d'organiser l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) vers certains pays.

Monsieur Mignola, vous m'interrogez sur la question de fond du risque pénal attaché à nos décisions. Je vais vous livrer deux perceptions personnelles – non celles de l'ancien ministre de l'intérieur dans ses fonctions, mais celles de l'homme politique que je suis.

Le risque pénal peut générer de l'inhibition. Au niveau du Président de la République comme du Premier ministre je n'ai jamais vu ce risque d'inhibition empêcher une décision – même avec le risque que cette décision ne soit pas la bonne. C'est le propre de la nature des décisions politiques que nous devons prendre. Je ne l'ai jamais vu. Je n'ai jamais considéré pour ma part que ce risque devait peser dans ma capacité à décider. Sinon, l'on ne décide plus.

En revanche, je pense qu'il peut y avoir une forme d'hésitation, de blocage ou d'inhibition notamment dans nos administrations, qui sont très souvent poursuivies aussi, ce qu'il ne faut pas négliger. Je suis d'ailleurs descendu, et je l'assume, à un niveau d'instruction écrite que nous n'aurions pas forcément eu en d'autres temps, pour protéger l'administration et peut-être aussi parce que je sentais qu'elle en avait besoin pour bien exécuter les orientations du ministre.

C'est un questionnement que nous devons avoir. L'idée n'est pas de nous exonérer de responsabilités. Les Français nous en feraient le reproche, et ils auraient raison de le faire. Toutefois, la responsabilité doit se faire sur des fondements de droit qui accompagnent l'aide à la décision. Or nous voyons bien que nous sommes entrés dans une époque de judiciarisation. La question peut aussi se poser concernant la multiplication des commissions d'enquête, diverses et variées, sous la présente mandature. J'ai le souvenir d'avoir eu, en moyenne devant une ou deux missions ou commissions d'enquête par mois comme ministre de l'intérieur, sur de très nombreux sujets – tous importants. C'est une chose que nous ne connaissions pas dans les quinquennats précédents. J'ai en tête une commission d'enquête qui a connu un vrai grand succès médiatique – ce qui, peut-être, donne des envies ! L'exercice est difficile, et extrêmement mobilisateur. Comme ministre de l'intérieur j'ai eu parfois le sentiment de passer beaucoup de temps à le préparer – sans jamais le regretter. Cela doit également nous interroger.

Les réflexions que vous avez conduites le 21 octobre lors de l'audition du Premier ministre Édouard Philippe, le questionnement que vous soulevez ainsi que les propos tenus plus haut par le rapporteur montrent bien qu'il faut trouver un point d'équilibre sur ce sujet. L'enjeu est de ne jamais exempter les politiques de leur responsabilité, qui n'est pas seulement politique, mais aussi juridique, tout en gardant en tête qu'une dérive de judiciarisation tuerait, au fond, toute capacité à décider. Cela est d'autant plus vrai dans une gestion de crise comme celle-ci, dans laquelle les données servant à la prise de décision sont forcément instables.

Il m'est arrivé dans ma vie politique de rencontrer des femmes et des hommes qui suivaient des cohérences successives – mais toujours bien affirmées. Or dans cette expérience, il m'est arrivé de voir que nous prenions des décisions sur la base de données scientifiques qui étaient parfois contredites quelques jours plus tard. C'est le propre de la science. D'ailleurs, les scientifiques ont toujours la modestie de le rappeler, et de ne pas penser qu'ils se déjugent si des éléments nouveaux éclairent la décision. C'est peut-être une force que les politiques n'ont pas toujours. Ils pensent, une fois qu'ils ont pris une ligne, qu'ils doivent la tenir jusqu'au bout. Les scientifiques donnent au moins cet éclairage : l'humilité fait que, la connaissance évoluant, il faut adapter nos processus de décision.

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