Le 16 juin dernier, lorsque vous m'avez auditionné, nous en étions à la fin de la première vague, un mois après la sortie progressive du confinement. Le déconfinement a été particulièrement accompagné, grâce à l'implication de nombreux acteurs, que je remercie.
Les leçons ont été tirées des multiples retours d'expérience issus de professionnels de santé et du terrain. Nous avons considérablement renforcé notre capacité de tests grâce à une intense mobilisation des professionnels et la levée de tous les obstacles : prescription non exigée, prise en charge complète, augmentation du nombre de personnes habilitées à prélever et, bien, sûr, priorité aux malades et aux cas contacts. Nous avons renforcé nos stocks de protections individuelles et fait travailler l'ensemble des sociétés savantes et des experts pour préparer la rentrée.
Dès le 14 juillet, le Président de la République a indiqué l'importance d'observer, individuellement comme collectivement, l'ensemble des gestes barrières et de porter un masque, en particulier dans les lieux clos et bondés. Je profite de ma présence ici pour rappeler, à vous qui avez perdu un collègue, des amis, des membres de votre famille et qui avez été nombreux à être contaminés, comme vos collaborateurs et des fonctionnaires, que la transmission manuportée est la plus fréquente, la plus dangereuse et la plus sournoise.
Alors même que nous ne connaissons plus de tensions sur la disponibilité des masques, la contagion n'a jamais été aussi élevée. Les consignes sont de mieux en mieux respectées sur le territoire, notamment celles relatives au port du masque dans les lieux fréquentés, les centres-villes, les lieux fermés, les établissements recevant du public, les lieux de travail, les collèges et les lycées. Plus de 50 millions de masques ont été distribués gratuitement aux personnes précaires et une deuxième campagne de distribution est programmée pour la mi-novembre.
Quatre mois après le début de la pandémie, la situation a changé : nous disposons de davantage de protections individuelles, de tests et surtout de plus de connaissances thérapeutiques. Une deuxième vague européenne, dont l'évolution n'est plus maîtrisée et dont la cinétique s'accélère de jour en jour, touche l'ensemble du territoire national et se traduit par de très nombreuses contaminations. Le bilan actuel de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état de 44 millions de cas confirmés dans le monde, 2,8 millions de nouveaux cas se déclarant chaque semaine. La France est au cinquième rang mondial des pays les plus touchés, avec 1,2 million de cas. L'ensemble des pays européens est concerné ; l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) met tous les jours en ligne des données actualisées.
Lors de la première vague, nous avons dénombré 150 000 cas confirmés, 100 000 hospitalisations et déploré 29 000 décès. Après le déconfinement, entre le 1er juin et le 1er septembre, ces chiffres ont augmenté respectivement de 136 000 pour le nombre cas, le portant à 286 000, de 12 000 pour les hospitalisations et de 1 600 pour les décès.
L'été a été marqué par une très forte diffusion du virus chez de jeunes adultes. Cette épidémie a, fort heureusement, été quasiment silencieuse, avec peu d'hospitalisations et de formes graves. Nous avons eu aussi à nous battre en Mayenne, après l'apparition de clusters importants, notamment dans des abattoirs et des centres d'hébergement de populations précaires. La population s'est fortement mobilisée avec succès : la Mayenne est parvenue à juguler l'épidémie au mois de juin. Nous avons ensuite soutenu la Guyane qui a lutté contre une épidémie très sévère, avec un couvre-feu de plus en plus dur. Là encore, les mesures de freinage ont porté leurs fruits. Plus récemment, nous avons aidé la Guadeloupe à affronter une vague de diffusion importante, avec le soutien des professionnels de santé de la métropole et de l'armée.
Pendant plus de neuf mois, nous avons eu à gérer une crise sanitaire majeure et inédite, liée à la pandémie massive et meurtrière de la covid-19. Depuis le début de l'épidémie, en France, 20 millions de tests RT-PCR ont été réalisés ; plus de 1,6 milliard de masques chirurgicaux, plus de 215 millions de masques FFP2 et plus de 12 millions de masques chirurgicaux pédiatriques ont été distribués. Le stock stratégique national de Santé publique France (SPF) est à son objectif d'un milliard de masques. Mes équipes sont pleinement mobilisées et travaillent en collégialité avec les professionnels de santé de terrain, les sociétés savantes, les experts, les autres directions du ministère, le centre de crise interministériel qui pilote les opérations depuis plusieurs mois, avec le soutien des armées, de l'assurance maladie, des agences sanitaires nationales – en particulier l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et Santé publique France – et, bien sûr, avec le soutien des Agences Régionales de Santé (ARS).
Cette maladie émergente, inconnue il y a dix mois, poursuit sa progression dans le monde. L'ensemble de l'Europe est le nouvel épicentre de la pandémie, frappé par une deuxième vague, particulièrement intense et très rapide, marquée par une croissance exponentielle du nombre de cas. Ainsi, à midi, ce jour, le taux d'incidence s'établissait à 1 448 cas pour 100 000 personnes en quatorze jours en République tchèque, à 1 424 cas en Belgique, et à 650 cas en France. Les chiffres évoluent très vite partout, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie et même en Allemagne, qui enregistre une explosion du nombre de malades. La Suisse est très fortement frappée par l'épidémie, avec un tracing désormais hors de contrôle.
Nous devons rester humbles et modestes. Nous n'avons pas tous pris les mêmes décisions ni opéré les mêmes choix. Certains pays comme la Suède n'ont pas déployé les mêmes mesures que nous et sont aussi confrontés à une épidémie tout à fait significative.
Avec 1,2 million de cas confirmés, la France est le pays le plus touché en Europe ; elle occupe la cinquième place du classement mondial. L'épidémie s'étend à tout le territoire, le nombre de cas augmentant de façon exponentielle, avec une progression de 60 % en une semaine. Tous ces indicateurs, que nous suivons depuis plusieurs semaines, confirment qu'une très forte extension épidémique nationale est en cours. J'insiste sur le fait que tous les départements sont touchés – en ce moment, le département de la Loire est par exemple le théâtre d'une mobilisation majeure. Toutes les métropoles sont concernées, mais il ne faut surtout pas commettre l'erreur de les opposer aux territoires ruraux : beaucoup de nos concitoyens travaillent en ville et vivent à l'extérieur de celle-ci, et, inversement, au sein des EHPAD et dans les territoires ruraux interviennent des professionnels venant de la ville. Gardons-nous donc d'opérer une distinction trop facile entre les métropoles et le reste du pays : l'ensemble du territoire national est touché.
Dimanche dernier, le nombre de contaminations quotidiennes a atteint un record, avec 52 000 nouveaux cas. Malheureusement, un record a également été établi cette semaine au regard du nombre des admissions à l'hôpital, avec 12 000 hospitalisations en sept jours et près de 2 000 admissions en réanimation.
Le profil des patients qui arrivent à l'hôpital, en particulier en réanimation, est désormais bien connu. Ce sont certes des personnes âgées – l'âge a un effet majeur : plus il est élevé, plus le risque d'admission à l'hôpital et de décès l'est aussi –, mais les personnes atteintes de pathologies chroniques, telles qu'une obésité importante, un diabète ou une insuffisance rénale, ainsi que ceux de nos citoyens qui vivent dans les conditions les plus précaires sont aussi les victimes de la covid.
La part de malades graves en réanimation représente désormais 60 % des capacités initiales de réanimation en France. Ce poids sur l'activité hospitalière est encore plus important dans certains départements : 76 % en Auvergne-Rhône-Alpes, 65 % en Île-de-France, 61 % dans les Hauts-de-France. Hier soir, nous comptions près de 19 000 malades hospitalisés et 2 918 malades en réanimation – les pics enregistrés le 10 avril étaient de 32 000 hospitalisations et de 7 148 malades en réanimation. Les malades graves en réanimation présentent le même profil que ceux admis en avril. La virulence du virus n'a pas changé ; celui-ci n'a pas muté. La mortalité en réanimation est d'environ 35 %. L'admission dans de tels services est donc très préoccupante, spécialement pour les patients qui présentent des facteurs de comorbidité.
Parmi les faits importants à retenir de la situation actuelle, 18 % des malades graves sont âgés de 40 à 60 ans, 30 % des personnes en réanimation sont des sexagénaires et 72 % des malades sont des hommes – ce taux est extrêmement stable. Le nombre de décès augmente nécessairement de manière décalée, pour atteindre actuellement plusieurs centaines par jour.
L'ensemble des professionnels de santé, auxquels je rends hommage, est mobilisé autant en ville que dans les établissements de santé. Sans doute avez-vous entendu parler de déprogrammations et de plan blanc. Les évacuations sanitaires entre établissements, tant publics que privés, ont commencé, de même que les transferts entre départements et entre régions, comme au mois d'avril. Dix-neuf évacuations sanitaires interrégionales sont déjà intervenues, notamment depuis l'Auvergne-Rhône-Alpes vers des régions opérant en soutien, comme la Nouvelle-Aquitaine ou la Bretagne. Je tiens ici à remercier particulièrement les équipes médicales et celles des ARS qui rendent ces transferts possibles, dans un bel élan de solidarité interrégionale et nationale.
Depuis le 1er septembre, la deuxième vague a provoqué 850 000 cas, 40 000 hospitalisations et plus de 4 000 décès. À ce jour, le bilan, malheureusement provisoire, de la pandémie est de près de 1,2 million de cas en France, 156 939 hospitalisations et 35 541 décès.
De la première vague, nous avons tiré des leçons que je souhaite préciser devant vous.
Tout d'abord, je dois faire état d'une remarquable prise en charge des patients et d'une formidable capacité d'adaptation de nos professionnels de santé, que les Français ont applaudis à leur juste valeur. Le système de santé a su s'adapter à toutes les situations, avec créativité. Dans le Grand Est, notamment, la mobilisation de l'ensemble des professionnels a été extraordinaire, tant dans les établissements de ville que dans les institutions. Le niveau historique de 7 027 lits de réanimation occupés par des malades de la covid a été atteint le 7 avril. En six semaines, nous avons réussi la prouesse de doubler le nombre de lits, le faisant passer de 5 000 à 10 705.
En matière d'évacuations sanitaires, nous avons développé un modèle qui constitue un autre élément de fierté pour les professionnels et nous est même envié à l'extérieur : 658 patients en réanimation ont été transférés, intubés et ventilés, par avion, hélicoptère, TGV, ambulance, par bateau même entre la Corse et le continent.
Une logistique considérable s'est mise en place, avec une chaîne d'approvisionnement permettant de livrer 1,6 milliard de masques chirurgicaux, 250 millions de masques FFP2 et 12 millions de masques pédiatriques ; le déploiement d'un énorme effort de développement de la recherche clinique, avec 321 vaccins candidats en cours de développement et plusieurs essais en phase 3, sans parler des innovations thérapeutiques et des médicaments ; la mise en place en un temps record d'outils numériques : le SIDEP, le système d'informations de dépistage qui recense quotidiennement l'ensemble des tests réalisés et les cas positifs, Contact Covid, StopCovid et désormais l'application TousAntiCovid, bien utile pour obtenir des informations en épidémiologie et des conseils ; la mobilisation quotidienne des agences, des ministères, des ARS et des professionnels ; et la réalisation de 20 millions de tests, un Français sur trois ayant bénéficié d'un RT-PCR.
Je retiens également des événements la richesse des échanges que nous avons eus, très souvent le soir, la nuit et le week-end, avec l'ensemble des professionnels de santé. J'ai reçu beaucoup de médecins généralistes, d'infirmiers, de sages-femmes et de pharmaciens, qui sont des professionnels de santé de terrain et de proximité, ainsi que des représentants des sociétés savantes.
Le contact tracing, qui a pu être critiqué, mobilise des plateformes de milliers de personnes pour appeler les cas et les cas contacts. Avec 120 000 appels par jour, l'effort est totalement inédit. Les cas positifs reçoivent un appel et font l'objet d'un suivi, au même titre que les cas contacts. La bascule du contact téléphonique vers l'utilisation des e-mails et des SMS est en cours. J'insisterai ici sur trois messages importants à partager avec nos concitoyens : se faire tester au moindre doute, s'isoler immédiatement et prévenir soi-même les personnes, proches ou collègues de bureau, avec qui on a été en contact. Je sais que beaucoup de Français le font et c'est une excellente chose.
Nous avons une coopération interministérielle d'exception. Nous avons fait le choix de la transparence, et l'ensemble des données de santé est disponible sur les sites du Gouvernement, de Santé publique France, du ministère et sur Géodes. Beaucoup de journalistes utilisent ces données. De très bons articles se fondent sur des informations françaises.
Évidemment, je le dis avec beaucoup de modestie et d'humilité, de nombreux points sont à améliorer. Nous y travaillons avec l'ensemble des acteurs.
En tant qu'enseignant, je crois beaucoup à la pédagogie. Nous devons utiliser tous les vecteurs – ambassadeurs de terrain, élus, associations, collectivités locales – pour diffuser les messages adaptés, car, par définition, les messages ne peuvent pas être les mêmes selon le public, l'âge ou le terrain.
Le partage des expériences est fondamental, qu'il passe par la communication interministérielle ou internationale, ou par le parangonnage des performances. Au niveau régional, l'ARS de Bretagne communique beaucoup, celle du Grand Est a pris de très belles initiatives. Pourquoi ne pas reprendre les procédés qui ont fonctionné avec succès ?
La chaîne logistique peut certainement être encore améliorée pour mieux répondre à une crise majeure quelle qu'elle soit – nous avons récemment vécu des drames étrangers à la covid – par la mobilisation du ministère de l'intérieur, de celui des armées, de la sécurité civile, des pompiers et des dispositifs de santé.
Enfin, nous avons tous contracté une très grande dette envers notre système de santé et ses professionnels. L'hôpital, la médecine et la santé de demain doivent être rendus plus attractifs et donc être valorisés à la hauteur de leur implication et de leur abnégation. Nous travaillons avec l'OMS pour mieux répondre aux urgences de santé publique et avec l'ECDC, car nous avons besoin d'une réponse européenne. Le dispositif fonctionne : nous avons des collaborations en matière de lits et de matériel.
Enfin, s'agissant de la surveillance des populations, l'automatisation du recueil de données, la dématérialisation du certificat de décès établi par toutes les communes doivent être déployés de sorte que nous soyons informés en temps réel, non seulement des décès, mais aussi de leurs causes. Il s'agit d'une information fondamentale. Nous devons également rechercher le moyen de mieux intégrer les patients et la démocratie sanitaire à nos décisions.
Aujourd'hui, je le dis en tant que directeur général de la santé et surtout en tant que spécialiste des maladies infectieuses et de santé publique, il y a des choses que nous savons et d'autres que nous ne savons pas. Nous avons beaucoup appris, la recherche ayant accompli d'immenses avancées, mais il faut avouer avec simplicité que beaucoup d'inconnues subsistent sur ce virus, que de nombreuses notions sont encore l'objet de débats.
« Je crois invinciblement que la science triomphera de l'ignorance », disait Pasteur. Conservons cette phrase à l'esprit pour éclairer, analyser et encourager à la prévention. Je crois fondamentalement que nos concitoyens peuvent être des acteurs majeurs de la lutte, pourvu qu'ils aient des explications. De même qu'ils sont légitimes à les demander, de même nous sommes en droit de leur dire que, parfois, nous ne savons pas répondre, que sur certaines notions complexes, les réponses arriveront plus tard.
À l'ultracrépidarianisme, cette mode consistant à donner son avis sur tout à la télévision et sur les réseaux sociaux sans justifier d'une compétence démontrée, j'oppose la rationalité, la rigueur scientifique, le temps de la recherche et l'humilité de la médecine – les sachants et experts, souvent, travaillent et se taisent. Il faut absolument éviter le corporatisme et les querelles inutiles. Entre les alarmistes et les « rassuristes », je soutiens plutôt les humanistes. C'est encore Pasteur qui disait : « Les conceptions les plus hardies, les spéculations les plus légitimes ne prennent un corps […] que le jour où elles sont consacrées par l'observation et l'expérience. »
Je sais que les temps médiatique, politique, judiciaire et scientifique ne sont pas les mêmes, mais je suis vraiment volontaire pour identifier avec vous les défaillances et les dysfonctionnements systémiques. Nous devons à nos concitoyens d'améliorer notre organisation.
Je répète à celles et ceux qui nous écoutent de limiter autant que possible leurs contacts sociaux et le nombre de personnes avec lesquelles elles baissent la garde, tous les moments où elles ne portent pas de masque, où elles ne se lavent pas les mains et où elles évoluent en proximité et en densité. Chacun connaît par cœur les désormais dix mesures barrières, dont le fameux chiffre de six à table et la nécessité d'aérer pour assurer la qualité de l'air intérieur – ce qu'il me paraît difficile de faire s'agissant de la pièce où nous nous trouvons. Je vous encourage évidemment à télécharger et à faire télécharger l'application TousAntiCovid, car il s'agit d'un outil indispensable pour maîtriser l'épidémie.
Si vous êtes positif ou cas contact, faites confiance à votre médecin traitant et à vos professionnels de santé de proximité : appliquez la septaine d'isolement. C'est bien peu à l'échelle d'une vie lorsqu'il s'agit d'en sauver d'autres.
Il y a quelques jours, j'en ai appelé au sens des responsabilités des jeunes, non pas pour les stigmatiser – il y a des personnes de moins de 30 ans en réanimation –, mais parce qu'ils ont aussi le désir de préserver leurs proches, d'agir et de devenir, eux aussi, la solution. Ma crainte est très grande de voir de très nombreuses personnes fragiles, précaires, vulnérables, malades chroniques, âgées de plus de 65 ans – ce qui n'est pas vraiment un grand âge aujourd'hui – être très fortement affectées par cette maladie ou y succomber. Nous sommes confrontés à une situation totalement inédite, mais nous avons la possibilité, je le crois, d'inverser la tendance et d'infléchir la courbe épidémique, pourvu que nous nous persuadions que nous sommes collectivement la solution.
Comme je suis profondément et sincèrement admiratif de notre personnel de santé, de toutes celles et ceux qui œuvrent au quotidien, partout en France, pour lutter contre cette pandémie meurtrière et totalement sans précédent, j'achèverai mon propos par une citation un peu optimiste d'Albert Camus, tirée de La Peste : « Ce que l'on apprend au milieu des fléaux, c'est qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »