En matière de traitements thérapeutiques, nous avons accompli d'importants progrès. D'abord, nous nous sommes employés à ce que les dispositifs d'accord pour l'engagement de recherches cliniques soient les plus rapides possible. Ainsi avons-nous pu garantir aux Français la rapidité de l'accès à l'innovation.
Il y a eu de nombreux essais français et européens. Certains ont débouché sur des innovations sur la réponse à l'interféron, sur la place des antirétroviraux, sur celle du remdesivir et sur les immunomodulateurs – qui sont peut-être une piste d'avenir. Des essais menés à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur le tocilizumab ont ainsi fait l'objet de publications récentes.
Peu à peu, nous comprenons mieux les facteurs péjoratifs de l'évolution de cette maladie, qui est très nouvelle. Nous découvrons chaque jour des atteintes particulières liées au virus, qu'elles soient neurologiques, cardiaques, respiratoires, digestives ou rénales. Il s'agit vraiment d'une maladie générale au sein de certaines sous-populations, qui s'explique probablement par des facteurs génétiques : groupe sanguin, fragilités du récepteur à l'interféron ou encore chromosomes – les hommes étant beaucoup plus touchés que les femmes, les recherches s'orientent également vers les chromosomes sexuels. Tous ces points sont à l'étude, et les généticiens, les immunologistes et les infectiologues sont au travail.
C'est dans la prise en charge concrète des malades que les progrès ont été très importants, plutôt à l'hôpital mais parfois aussi en ville. C'est pourquoi j'insiste beaucoup sur la nécessaire coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. À cet égard, j'ai reçu à plusieurs reprises des médecins généralistes qui sont au cœur de la prise en charge de cette deuxième vague. La prise en charge s'organise en trois axes. L'alimentation en oxygène, notamment à haut débit, a été observée comme pouvant rendre de grands services aux malades hospitalisés. Pour les malades graves, la dexaméthasone, un équivalent corticoïde, empêche l'inflammation, et les anticoagulants se sont révélés utiles dans les complications liées à des microembolies pulmonaires, cérébrales ou coronaires.
Les médecins traitants, les généralistes disposent désormais d'un profil de risque. Ils peuvent identifier les personnes susceptibles de développer une forme grave, celles qui doivent être particulièrement surveillées, dépistées et traitées et celles qui doivent aller rapidement à l'hôpital. À l'hôpital, précisément, les sociétés savantes ont défini des protocoles de prise en charge pour savoir quand proposer de l'oxygène, des anticoagulants ou de la dexaméthasone. Ce week-end encore, des réanimateurs m'ont expliqué que les cliniciens avaient bien identifié les facteurs pronostiques précoces permettant de détecter les malades dont l'état nécessite de les transférer en réanimation afin d'éviter des développements beaucoup plus graves.
Peut-être doit-on voir dans toutes ces avancées l'explication de la perception erronée des annonces faites dans la presse au cours de l'été, selon lesquelles la pandémie s'était éteinte, il n'y avait plus de cas graves, le virus avait dû muter et perdre sa virulence. Or, cet été, l'épidémie s'est poursuivie de façon silencieuse chez les jeunes, essentiellement porteurs et sans cas graves déclarés. L'extension des tests avait beau révéler davantage de cas, dès lors que parallèlement, l'admission en réanimation et le nombre de décès ne connaissaient pas d'augmentations, d'aucuns en ont tiré des conclusions. En fait, il ne s'agissait que de la conjonction de la jeunesse des personnes touchées, qui n'avaient aucune raison de développer une forme grave, et sans doute aussi des conditions météorologiques. Cet été, il a fait très beau ; les gens étaient beaucoup dehors.
Nous ne maîtrisons pas encore ce potentiel facteur météorologique qui explique probablement ce qui se passe en Europe actuellement : le refroidissement et l'humidité favoriseraient la diffusion du virus. En revanche, nous prenons mieux en charge les patients en ville, ce qui permet une légère diminution du nombre d'hospitalisations. En cas d'hospitalisation, les patients sont mieux pris en charge, notamment ceux envoyés par les EHPAD, ce qui témoigne d'une importante amélioration des relations entre ces établissements et l'hôpital. L'hôpital gère mieux les malades, la prise en charge précoce contribuant aux moindres transferts des patients des services de médecine vers la réanimation. Enfin, on teste davantage à l'hôpital. Une femme enceinte venant accoucher a par exemple le droit de bénéficier d'un test à son entrée à la maternité.
Avons-nous manqué de capteurs pendant l'été ? Je ne le crois pas. Les statistiques ont été publiées en toute transparence, Santé publique France effectuant des points quotidiens sur l'évolution du nombre de cas. Nous n'avons pas rencontré de difficultés pour objectiver la situation. De son côté, le Conseil scientifique a partagé les inquiétudes qu'il nourrissait pour la rentrée, compte tenu des personnes contaminées pendant les vacances qui allaient reprendre le travail, de la rentrée scolaire, que nous souhaitions la plus réussie, et de la rentrée universitaire.
Cette analyse de l'arrivée d'une deuxième vague était partagée par tous. Personne ne pouvait en dater la survenue, mais il s'agissait d'un développement logique. D'une part, dans les émergences virales, plusieurs vagues se succèdent jusqu'au moment où l'immunité collective est atteinte ou jusqu'à ce qu'une prévention efficace, d'ordre vaccinal, soit disponible. Le virus circule tant qu'il trouve un hôte sensible ; il s'éteint lorsqu'il n'en trouve plus. D'autre part, l'aspect météorologique est toujours source d'inquiétude pour les virologues et les infectiologues. C'est en ce moment la pleine saison de diffusion des virus : gastroentérite, virus respiratoire syncytial, grippe – dont aucun cas n'est enregistré, pour l'instant, au niveau national.
Cette deuxième vague avait donc été anticipée, mais tous les spécialistes européens ont été frappés par sa brutalité et peut-être sa précocité. Les indicateurs météorologiques font état d'une vague de froid en septembre en Europe, particulièrement dans les pays les plus touchés aujourd'hui. A-t-elle eu pour effet de modifier le comportement du virus ? Le comportement humain, lui, s'est modifié, avec un repli vers l'intérieur. En tout cas, ces vagues de froid sont intervenues quelques jours seulement avant l'augmentation brutale du nombre de cas.
S'agissant de la vision que nous avons des modes de contamination, la règle « ABCD » que le ministre a présentée par un moyen mnémotechnique reste totalement valable. Les personnes les plus affectées sont les plus « À » risque. Nous faisons donc très attention aux EHPAD, qui totalisent plus de 500 clusters. Nous avançons sur un chemin de crête entre la fermeture totale de ces institutions, avec tout ce que cela a d'inhumain pour ces personnes totalement isolées qui n'auraient plus aucun contact, et le maintien d'une ouverture totale, ce qui reviendrait à laisser entrer le virus avec les visiteurs et les personnels mobilisés autour de nos aînés. Les lieux particulièrement porteurs de risque sont les lieux « B »ondés, les lieux « C »los et dans lesquels on reste longtemps. Nous sommes d'ailleurs dans cette configuration : une salle mal aérée, où de nombreuses personnes restent plusieurs heures, même en portant un masque, cela a été scientifiquement démontré, est un facteur de transmission. Et puis, bien sûr, les moments où les mesures barrières et les « D »istances ne sont pas respectées sont à haut risque. Ni le restaurateur ni le propriétaire du bar ne sont en cause. Simplement, passer une heure et demie avec des amis à déjeuner autour d'une même table sans masque – par définition, il n'est pas possible de manger avec un masque – est un moment de propagation virale.
Sur ce sujet, il y a des publications nationales et internationales, et des travaux sont en cours, conduits notamment par l'équipe d'Arnaud Fontanet. Les clusters font aussi l'objet d'études, mais leur poids est très faible par rapport à l'immensité de l'épidémie. De plus, par une sorte de biais de sélection, l'attention se porte plus particulièrement sur ceux qui sont critiques. On sera très attentifs à ceux qui se constituent dans une école, un hôpital, une clinique ou un EHPAD ; on le sera moins aux clusters familiaux. On a vu pourtant, cet été, d'importants clusters liés à des activités plus ou moins festives, comme des mariages, des anniversaires ou des enterrements, riches en moments où les proches se serrent les uns contre les autres et abandonnent les gestes barrières, donc potentiellement contaminants. Certains patients interrogés savent aussi parfaitement à quel moment ils ont été contaminés – un déjeuner avec un ami qui s'est ensuite déclaré positif –, et retracent eux-mêmes leur contamination.
Ce qui sort aujourd'hui du champ de l'analyse, ce sont les moments pendant lesquels on abaisse la garde – l'heure que l'on passe avec ses enfants et petits-enfants. Nous sommes conscients de la difficulté pour un grand-père ou une grand-mère de ne pas serrer ses petits-enfants dans ses bras. Il nous est difficile de leur conseiller de garder leurs distances, mais ces moments sont probablement de ceux qui favorisent la transmission. Une image est très intéressante du point de vue pédagogique, celle des tranches de gruyère successives qui montre qu'il n'y a aucune solution unique. Le masque, le lavage des mains, l'aération, pris séparément, ne suffisent pas, mais, cumulées, ces mesures permettent de réduire au maximum les contacts à risque.
Une autre prescription difficile est de réduire le nombre d'interactions. N'accepter qu'une invitation sur deux, n'inviter que deux amis au lieu de plusieurs, ne déjeuner qu'avec deux collègues plutôt qu'avec quatre, tout cela peut représenter des sacrifices dans sa vie quotidienne, mais toute réduction du nombre de contacts est bonne à prendre.
Le directeur général de la santé n'est pas en charge de l'offre de soins. Il reste que, dans les grandes lignes, nous avons été très attentifs à l'équipement des professionnels, et surtout à leur formation. Un important effort a été consenti par l'ensemble des établissements de santé, publics et privés, pour améliorer la formation des professionnels et les accompagner. Ceux-ci ont été affectés, touchés, personnellement et dans leur famille, ainsi qu'émotionnellement au quotidien. La première vague a été pour eux un traumatisme. Ils se sont activement formés et sont probablement mieux armés pour faire face à cette deuxième vague, même si nous sommes totalement conscients de la difficulté particulière qu'ils éprouvent.
Les équipements de protection individuelle, masques et surblouses, ont été renforcés, de même que les stocks de médicaments et de matériels nécessaires à la réanimation. Nous disposons de beaucoup plus de lits, grâce à notre stratégie de transformation. Il s'agit d'un modèle tout à fait français ; les Anglo-saxons n'ont pas cette distinction entre lit de réanimation, lit de soins intensifs et lit de soins continus. On surveille mieux les patients en soins continus, on peut accepter une défaillance vitale en soins intensifs et la réanimation est pour les malades les plus graves, qui peuvent présenter deux, trois ou quatre défaillances vitales. Un malade de ce type pèse lourdement sur les équipes soignantes, les infirmières, les aides-soignants et les médecins, et nécessite des moyens humains et techniques très conséquents.
Grâce à cet énorme effort sur les lits, nous pourrons prendre en charge plus de 11 000 malades en réanimation, ce qui est une performance remarquable au regard du point de départ. Beaucoup disent que nous pourrions avoir deux ou trois fois plus de lits de réanimation. Je le dis à mots choisis tant le sujet est délicat, c'est pour moi une hantise que d'imaginer que nous ayons trois fois plus de malades en réanimation. Cela signifierait que nous ne serions pas parvenus à empêcher les formes graves et que nous nous autoriserions à prendre en charge 20 000 ou 30 000 malades graves, sachant que la mortalité en réanimation est, de manière stable, supérieure à 30 %. Ce serait terrible d'envoyer les patients en réanimation avec un tel pronostic vital !
De surcroît, c'est peut-être moins connu de nos concitoyens, un séjour en réanimation est terriblement traumatisant psychologiquement et laisse des séquelles : on perd ses muscles, on souffre souvent de troubles neurocognitifs qui durent des mois et de troubles respiratoires, on a besoin de rééducation motrice. Ce n'est pas un séjour à l'hôtel. Les familles et les malades le racontent : le séjour en réanimation transforme et le retour à la vie normale est très compliqué. Du point de vue médical, la réanimation est une discipline de très haute technicité. Il faut dix à douze ans pour former un médecin réanimateur, et plusieurs années pour former une infirmière de réanimation parfaitement compétente. Il en va de même pour les aides‑soignants. Les procédures sont extrêmement lourdes.
La deuxième vague pourrait être plus puissante que la première. Ce dimanche, les statistiques font état de 52 000 personnes positives, des gens qui ont été testés il y a deux jours, mais contaminés une semaine plus tôt. En fait, nous regardons dans le rétroviseur, et c'est une première difficulté.
Or, et c'est une deuxième difficulté, nous avons besoin d'anticiper. Les personnes âgées, fragiles, obèses testées positives aujourd'hui présentent une très forte probabilité de devoir aller à l'hôpital, voire en réanimation, mais seulement dans plusieurs jours, lorsque leur état respiratoire s'aggravera. D'où la nécessité d'anticiper les besoins hospitaliers. Et c'est un point très important : le nombre de cas aujourd'hui nous permet de prédire le nombre de malades de demain et d'après-demain ainsi que son incidence en termes d'admissions, de transferts en réanimation et de décès. Nous nous livrons à cet exercice d'anticipation avec les hôpitaux, tandis que certains médias, relevant que les capacités sont loin d'être saturées, ne comprennent pas, sur cette base, pourquoi tout le monde s'affole. Précisément, nous anticipons une augmentation du nombre des admissions. Nous savons que cette courbe va repartir à la hausse mathématiquement, mécaniquement, car certains des malades déclarés verront leur état s'aggraver.
Reste que nous ne devons pas oublier les autres malades. Les cancers, les pathologies chroniques, les urgences médicochirurgicales, les urgences vitales, y compris en pédiatrie et en psychiatrie, font aussi partie de nos priorités de santé publique et de déprogrammation.