C'est évidemment un sujet très important, et vous avez noté combien j'ai été attentif à ces enjeux de préparation. Pour reprendre l'historique, vous le savez mieux que moi, nous avons tiré les leçons de 2009 ; nous avons compris qu'il existait des enjeux de réponse aux urgences sanitaires.
Je ne citerai pas tous les rapports, mais ils énoncent unanimement que la solution n'est probablement pas dans la constitution d'un stock dormant, qu'il vaut mieux, au contraire, constituer un stock tournant et utilisé, avec des stocks tampons et des précommandes. On parlait même de mobiliser les fabricants français. Ce sujet est tellement antérieur à mon arrivée aux responsabilités que cette proposition apparaît dans plusieurs rapports parlementaires, en lien même avec la création de Santé publique France, agence issue, je le rappelle, de la fusion de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), de l'Institut de veille sanitaire (INVS) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). À la clé, il y avait un enjeu d'optimisation de l'utilisation de la ressource publique, car les sommes étaient tout de même importantes. Il s'agissait de savoir comment faire tourner ces stocks, comment ne pas passer de commandes qu'il faudrait jeter.
Deux points fondamentaux sont confirmés par le fonctionnement même du ministère. À son arrivée, le ministre se voit remettre le « dossier ministre », dans lequel le DGS lui présente la préparation globale du système de santé aux menaces terroristes, aux attentats et à tous les risques majeurs – avant moi, trois directeurs généraux de la santé ont successivement été mobilisés par la crise : Didier Houssin, Jean-Yves Grall et Benoît Vallet, ces deux derniers étant aujourd'hui directeurs généraux dans des ARS difficiles. Le dossier mentionne également le pilotage des agences et toutes les questions que vous vous posez, notamment sur les stocks stratégiques. Le « dossier ministre » de 2017 les envisageait déjà selon des modèles agiles avec réservations de doses et gains d'efficience pour l'ensemble du système de santé. Car le stock stratégique est certes constitué en haut, au niveau national, mais il est complété par des stocks tactiques en CHU et en établissements. Il y en a même en maisons de santé, auprès des professionnels. Les chantiers métiers, la clarification sur les systèmes d'information, le cadre d'emploi des stocks stratégiques et la manière d'en dynamiser la gestion figuraient donc déjà dans le « dossier ministre » de 2017.
Deuxième point très important, c'est à la demande du directeur général de la santé que l'état des stocks est établi. Benoît Vallet l'a demandé début 2017, avant même l'arrivée d'Agnès Buzyn, et la réponse de Santé publique France ne nous est parvenue qu'en septembre 2018. Une étape très importante a été marquée par la signature du contrat d'objectifs et de performance (COP) entre Santé publique France et Agnès Buzyn. Ce document, que vous avez en votre possession, me semble-t-il, mentionne très clairement des stocks tournants et des stocks tampons, des précommandes et des procédures pour dynamiser ce stock.
Pour être très clair, la réponse de François Bourdillon annonçant ces centaines de millions de masques périmés constituait à mes yeux, non pas une alerte, mais une très mauvaise nouvelle pour tous les acteurs concernés par la réponse aux crises. J'ai réagi très vite – vous l'avez d'ailleurs noté –, d'abord en passant des commandes pour constituer un stock minimal d'avance, mais également en passant des précommandes et en mobilisant les producteurs français. Or, en janvier, ce dispositif censé fonctionner par précommandes, en flux tendus et par roulement permanent des stocks a pâti de la tension mondiale sur les masques, que personne n'avait prévue, sans parler de l'allongement des délais de livraison du fait de difficultés d'approvisionnement, de logistique et de livraison aux territoires.
À mon sens, il ne s'agissait pas d'une alerte, mais d'une mauvaise nouvelle. Nous étions totalement dans la réflexion engagée depuis des années et écrite par la DGS consistant à préférer des stocks tournants beaucoup plus fluides et des livraisons régulières ou ponctuelles aux établissements, petits comme grands. J'ignore si le directeur général de SPF a alerté le ministre, s'il a demandé un rendez-vous, mais, pour moi, il n'y avait pas d'alerte. On revoit les choses comme cela aujourd'hui, en lui prêtant des inquiétudes pour les commandes. Moi-même, j'étais très triste à l'idée de devoir jeter ou détruire ces centaines de millions de masques périmés. Vous noterez que la commande a été livrée en 2019 et 2020, selon un processus classique, et que je n'ai pas identifié de commande urgente ou impérieuse.
Le courrier en question pourrait certes être interprété aujourd'hui comme une alerte, mais je pense, à l'inverse, que ce signalement était totalement conforme à la doctrine proposée ainsi qu'au COP signé par Agnès Buzyn et François Bourdillon, prévoyant de travailler sur des stocks tournants, précommandés et en flux tendus, fournis par des producteurs français, dont certains avaient même été approchés. Il s'agissait vraiment de tirer les leçons de 2009, de convenir que nous ne pouvions pas nous permettre de constituer des stocks qui ne serviraient à rien et devraient finalement être jetés. Il me semble plutôt de bonne doctrine que de chercher un système mettant en œuvre un flux constant en amont, par des commandes régulières dont profiteraient les producteurs français, et fluide en aval pour approvisionner régulièrement les grands établissements plus particulièrement.
Les stocks d'antiviraux sont très élevés à l'heure actuelle et ne comptent pas de lots périmés. Nous faisons évoluer nos stocks en fonction de l'actualité des menaces, multiples, qui pèsent sur notre pays. Malheureusement, notre territoire est également régulièrement victime d'attaques terroristes. Nous nous efforçons d'adapter nos efforts à nos expériences, en tenant compte de la disponibilité des molécules. Certaines molécules antibiotiques peuvent être accessibles sur d'autres sites, en pharmacie ou à l'hôpital, tandis que des réponses plus spécifiques sont adaptées à l'évaluation de la menace par les services spécialisés.