À vous écouter, j'ai compris que, au fond, la stratégie thérapeutique n'a pas changé. En mars, nous manquions de recul et nous ignorions tout du virus. Une seule équipe proposait un traitement précoce ; aujourd'hui, plus de 150 études scientifiques dans le monde préconisent un tel traitement. Vous nous avez indiqué que les patients positifs sont testés, tracés, confinés et, cher confrère, vous annoncez devant la représentation nationale que certains de ces cas vont s'aggraver, avançant un taux de 35 % de décès en réanimation. C'est absolument incroyable ! Ne pensez-vous pas qu'il y a urgence à changer de stratégie pour sauver les patients, soulager les soignants et l'hôpital ?
Vous avez été destinataire de propositions concernant le renforcement des équipes médicales, qui vous ont été adressées par le président du collectif Santé en danger. Je crois que vous n'y avez pas répondu. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Des équipes sur le terrain ont également suggéré des solutions en matière de prévention, notamment à travers l'analyse des eaux usées. Les marins-pompiers de Marseille procèdent en permanence à des prélèvements ; le réseau Obépine analyse les eaux usées des stations d'épuration sur le territoire national. On sait que ces résultats sont prédictifs d'une éventuelle augmentation du nombre des contaminations. Ces données sont-elles exploitées ? En tout état de cause, les chiffres ne sont pas communiqués, mais ont-ils été « transversalisés » ?
Certains pays procèdent très différemment de la France. En Suède, la population n'est pas confinée, personne ne porte de masque et l'économie continue de fonctionner. Êtes‑vous en contact avec le gouvernement suédois ?
Des recommandations ont été émises pour que les résultats des tests PCR soient exprimés en trois catégories : négatif, très fortement positif – ce qui sous-entend que l'individu est particulièrement contagieux – ou faiblement positif. Or les tests positifs ne sont jamais nuancés.
Enfin, on sait désormais que le virus est patent au fond du rhinopharynx mais aussi dans la salive. Qu'en est-il, chez nous, du test EasyCov, effectué à partir d'un prélèvement salivaire, qui est déjà utilisé à l'étranger ?
M. Jérôme Salomon. S'agissant de la réponse hospitalière, j'insiste sur le fait que nous devrons, au cours de cette deuxième vague, soigner aussi bien les malades du covid que les autres. Personne ne doit subir de perte de chance du fait de la fermeture de services ou de l'indisponibilité des dispositifs de prise en charge, notamment des cancers et des urgences vitales. Les déprogrammations que nous décidons, qui sont indispensables pour mobiliser tous les soignants publics et privés, ne concernent que les pathologies non urgentes. Évidemment, les patients atteints d'une rupture de la rate ou d'un anévrisme de l'aorte sont opérés. Les médecins et les équipes médicales de France veillent à éviter toute perte de chance, et les reports n'interviennent qu'avec leur accord et celui des patients.
Concernant les places en réanimation, comme je l'ai dit tout à l'heure, le lit en soi n'est pas le sujet. On pourrait en multiplier le nombre par trois ou quatre, encore faudrait-il y adjoindre l'équipement et le personnel. Surtout, cela poserait la question du pronostic. Le pire serait que nous enregistrions une vague d'admissions en réanimation. Cela signifierait que nous aurions raté le diagnostic, la prévention et la prise en charge médicale précoce et que nous accepterions d'avoir 10 000 à 20 000 malades en réanimation, avec le pronostic associé qu'on connaît.
Nous disposons, en France, d'une réserve médicale constituée de volontaires qui se signalent pour se porter aux côtés de leurs collègues. Il s'agit soit d'étudiants des filières de santé – kinésithérapeutes, infirmiers, médecins ou pharmaciens – qui font un travail formidable, soit de retraités. Outre cette réserve, gérée précédemment par l'EPRUS et désormais par Santé publique France, nous avons une réserve managériale de crise. Les hôpitaux comptent maintenant des directeurs médicaux de crise très bien formés.
Prêts à affronter la deuxième vague, nous l'étions en ce sens que nous l'avions immédiatement intégrée dans notre réflexion à partir des leçons tirées collectivement. Je vous communiquerai, si vous le souhaitez, les comptes rendus des réunions que nous avons tenues à tous les niveaux pour collecter les retours des préfets, des ARS, des grands élus, des médecins généralistes, des sociétés savantes, du Conseil national de l'urgence hospitalière et du Syndicat des médecins généralistes. Nous avons organisé énormément de réunions pour entendre le terrain et introduire des améliorations dans nos pratiques.
L'effort en matière d'équipement et de formation a été considérable, tant du côté de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) que de celui de la direction générale de la cohésion sociale, pour le personnel des EHPAD. Néanmoins, il ne faut pas mentir : on ne devient pas infirmier de réanimation ou réanimateur en quelques jours ou quelques semaines ; cela demande une longue expérience.
À l'arrivée de la deuxième vague – dont personne au monde ne pouvait prédire la date –, la première chose à faire était de s'employer à la freiner, et les Français, je tiens à le dire, font des efforts considérables. Si rien n'était fait, la France afficherait un indicateur R égal à 3, voire 3,5 – pour 100 malades un jour donné, 300 seraient constatés la semaine suivante. Ce n'est pas ce qui se passe : l'indice R est de l'ordre de 1,4 selon la dernière publication de SPF, ce qui signifie que les Français contiennent la vitesse de propagation de l'épidémie de plus de 50 % chaque jour. C'est un message qu'il faut leur faire passer : les efforts considérables qu'ils consentent, en réduisant le nombre de contacts, en se lavant les mains et en observant les gestes barrières, font chuter l'épidémie.
Malheureusement, cela ne suffit pas en raison de la cinétique extrêmement importante de celle-ci. Elle est d'ailleurs européenne et d'autres pays enregistrent des progressions beaucoup plus fortes que celle observée en France. Qui plus est, les effets des mesures prises sont nécessairement décalés dans le temps : une contamination évitée aujourd'hui, c'est la parade à un test positif dans une semaine, à une admission à l'hôpital dans dix jours et à une entrée en réanimation dans quatorze jours. L'effet de freinage est donc assez lent.
Peut-on dire que tout le monde a raté la deuxième vague ? On pourrait le penser à voir les près de 80 000 nouveaux cas quotidiens aux États-Unis, et la situation dans l'ensemble de l'Europe. Je ne crois pas qu'on puisse faire porter la faute aux Français, et encore moins aux jeunes. Ils n'ont pas changé de comportement entre octobre et septembre, et se montrent toujours aussi vigilants. J'espère que nous l'expliquerons un jour – par les phénomènes météorologiques, les comportements ? – mais, en tout état de cause, l'épidémie connaît une explosion brutale.
Nous anticipons et avons tout fait pour préparer le système de santé libéral, public, privé et hospitalier à déployer une réponse. Avons-nous sous-estimé le problème ? Je ne crois pas – je vous enverrai un décompte des réunions de crise, des échanges avec les associations et les professionnels de terrain et des déplacements auxquels ils ont donné lieu.
Si j'osais une petite remarque polémique, je soulignerais que nous n'avons pas été aidés par ceux, nombreux, qui ont annoncé la fin de l'épidémie, l'absence de deuxième vague et la mutation du virus.