Alors même que la première vague n'était pas achevée, nous avons engagé un « retex », un retour d'expérience, pour faire toute la lumière sur la crise sanitaire, sur les éléments en lien avec le virus et sur la façon de répondre à l'épidémie dans notre pays. Nous l'avons lancé dès le printemps. Il a donné lieu à de nombreuses observations et démarches en vue de préparer notre système de santé dans l'éventualité d'une deuxième vague – je pourrais vous en citer plusieurs exemples ; sachez notamment qu'un guide de préparation des réanimations a été élaboré avec les professionnels de santé au cours de l'été.
En voici une illustration concrète. Initialement, d'après les témoignages dont je dispose, la quasi-totalité des patients qui présentaient un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), conséquence grave d'une maladie à coronavirus, et qui étaient transférés en réanimation étaient intubés et ventilés, c'est-à-dire qu'on les plaçait en coma avec un tube dans les poumons pour permettre une respiration automatisée.
Progressivement, les expertises en France et dans le monde ont permis d'élaborer d'autres méthodes de soin, visant notamment à différer ou à éviter l'intubation, laquelle peut provoquer des dégâts sur des poumons fragiles et prolonger la durée de réanimation, voire entraîner des séquelles importantes.
Ainsi, un certain nombre de patients ont pu bénéficier de ce que l'on appelle l'Optiflow, à savoir de l'oxygène à très fort débit – cinquante litres par minute –, livré en continu à des patients qui présentent des besoins élevés en oxygène, retardant ainsi le besoin d'intubation. Ce constat a évidemment un impact sur les prises en charge. D'abord parce qu'un certain nombre de patients sous oxygène à haut débit n'ont pas forcément besoin d'être pris en charge dans un service de réanimation proprement dit. S'ils disposent d'un monitorage cardiaque et respiratoire, ils peuvent aller, par exemple, en soins intensifs. Cela nous a permis d'adapter des services de soins intensifs pour pouvoir y adresser des patients pris en charge par Optiflow. Ces points ont fait l'objet de recommandations élaborées avec les professionnels.
Par ailleurs, concernant les retours d'expérience territoriaux, chaque agence régionale de santé (ARS) a instauré une gouvernance territoriale tenant compte d'un certain nombre de points essentiels. Je peux vous en citer quelques-uns. Quelle place pour la démocratie sanitaire ? C'est-à-dire : comment intégrer davantage les usagers des soins aux processus décisionnels ou d'information à l'échelle des territoires ? Comment mieux coordonner les relations entre le monde hospitalier et celui de la médecine de ville pour être plus réactifs, éventuellement anticiper les sorties d'hospitalisation, ou retarder les hospitalisations lorsqu'elles ne sont pas indispensables ? Quelles relations avec les élus ? Comment s'assurer de la pleine coopération et de la pleine mobilisation du secteur privé autant que du secteur public ?
Par ailleurs, nous avons bien évidemment entamé la reconstitution du stock national d'équipements de protection. Nous avons communiqué en toute transparence, avec Édouard Philippe lorsqu'il était Premier ministre, pour donner les objectifs, puis avec Jean Castex, en conférence de presse, pour annoncer quel était l'état des stocks de masques, de blouses, de surblouses, de gants, de respirateurs, ou encore de médicaments de réanimation permettant de maintenir le patient en coma lorsqu'il est intubé en réanimation – des médicaments si précieux qu'ils nous ont donné des suées, pour dire le moins, au cours de la première vague, quand nous nous demandions si nous serions en mesure d'en fournir suffisamment.
Ces stocks ont été reconstitués en même temps que les activités chirurgicales reprenaient progressivement au cours de l'été dans nos hôpitaux, ce qui a évidemment nécessité un gros travail.
S'est également posée la question de la mobilisation des ressources humaines, qui est au cœur du sujet de la prise en charge de la deuxième vague. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de services de réanimation supplémentaires ou de lits de soins intensifs supplémentaires si nous n'avons pas de personnels capables d'assurer des soins de qualité spécifiques dans ces services.
Une équipe de réanimation de Corbeil-Essonnes me disait hier que, par exemple, lorsqu'un patient est en SDRA, intubé et ventilé, il faut parfois le mettre en décubitus ventral, c'est-à-dire sur le ventre, puis le remettre sur le dos, et à nouveau sur le ventre, et ce plusieurs fois par jour. Cela nécessite une technicité qu'un soignant qui n'a pas été formé est en peine d'assurer. Par ailleurs, des patients atteints des formes les plus graves sont sous oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), ce qui implique aussi une technicité très particulière, tant au plan médical que paramédical.
Bref, il a fallu former des soignants et ce sont les hôpitaux et les universités qui se sont chargés de lancer des programmes de formation. Dans le Territoire de Belfort ou à Grenoble, j'ai assisté à des séances de formation par simulation où des mannequins figuraient des patients intubés et ventilés en décubitus ventral. C'est ainsi que l'on a pu former des centaines d'infirmiers et d'aides-soignants pour qu'ils puissent prêter main-forte le moment venu dans les services de réanimation.
Mais hélas, comme vous le savez, on ne peut pas former de réanimateurs en trois ou six mois – c'est dix à douze ans qu'il faut –, et il a fallu développer les compétences d'un certain nombre de soignants pour qu'ils puissent venir en aide leurs collègues. C'est un enjeu majeur pour nous d'être capables de mobiliser des professionnels de santé supplémentaires.
Nous avons également créé des cellules de soutien psychologique.
Votre deuxième question, relative à la prise en charge des personnes âgées, notamment en EHPAD, revient, si je la comprends bien, à demander si l'on a bien pris en charge ces dernières pendant la crise épidémique ou si, au contraire, on les a laissées de côté.
Sachez que tout a été fait pour offrir les meilleurs soins, dans le contexte difficile que nous connaissions, à toute personne quel que soit son âge, sa condition physique, sa condition sociale, ce qui est le fondement même du serment d'Hippocrate.
Il a fallu organiser des filières de prise en charge associant de très près les EHPAD et les hôpitaux. Nous avons développé des services hospitaliers, dans les secteurs public et privé, quasiment spécialisés dans l'accueil de patients covid issus des EHPAD. Nous avons également développé la gouvernance médicale dans les EHPAD pour y faire intervenir l'hospitalisation à domicile ainsi que la médecine de ville et les SAMU, partout où cela était nécessaire et pour que chaque patient puisse recevoir les soins appropriés.
Il en va du covid comme d'autres pathologies. Pour certaines personnes se trouvant dans un état de santé grave, un transfert en hospitalisation est décidé, compte tenu à la fois de la sévérité de la maladie et de leur condition physique, qui doit laisser présager qu'une sortie de réanimation sera possible. D'autres personnes sont dans un état de santé physique préexistant tellement grave que les services de réanimation ne prennent pas la décision d'intuber et de ventiler, qui entraînerait 100 % de risques de décès, dans des circonstances parfois encore plus difficiles.
C'est la raison pour laquelle nous avions notamment sollicité la Société française de gériatrie pour qu'elle formule des recommandations de prise en charge et d'accompagnement des derniers moments de vie des personnes âgées ne pouvant pas aller en réanimation.
J'enfile un instant ma blouse de neurologue. Lorsque j'ai travaillé dans un service d'unité neuro-vasculaire qui prenait en charge des patients atteints d'AVC, certains d'entre eux étaient transférables en réanimation, et transférés lorsque leur état s'aggravait. D'autres patients étaient accompagnés faute de pouvoir supporter une réanimation.
Votre troisième question porte à la fois sur Santé publique France et sur l'ÉPRUS, et plus précisément sur la disparition de ce dernier ou sa « phagocytose », si je puis me permettre ce mot, par Santé publique France. Jean-Pierre Door a émis des propositions et rédigé des rapports précieux sur le sujet.
Santé publique France a accompli sa mission au niveau national et régional en matière de contact tracing, notamment dans les clusters. Pour être très franc avec vous, il est très compliqué de réaliser pendant une crise un retour d'expérience complet et détaillé du fonctionnement d'une structure, parce que vous ne pouvez pas mobiliser des équipes qui le sont déjà constamment – je salue ici les équipes de Santé publique France qui n'ont pas eu de vacances cet été et qui continuent à travailler d'arrache-pied au quotidien.
Mais il faudra naturellement tirer toutes les leçons de ce qui s'est passé pendant la crise, notamment concernant la gestion logistique de certains stocks. J'ai d'ailleurs diligenté une mission d'inspection de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) à ce propos, en vue de nous permettre de nous améliorer et de ne pas à avoir à attendre la fin d'une crise pour changer ce qui doit l'être. Le retex suivra et vos travaux parlementaires seront extrêmement utiles. Nous verrons s'il convient de définir une structure ad hoc, comme c'était le cas avant 2007, ou s'il faut modifier certaines façons de fonctionner.
Votre dernière question porte sur les tests antigéniques. Ils ont fait leur apparition assez récemment et j'ai saisi à plusieurs reprises la Haute Autorité de santé (HAS), cette instance scientifique chargée de nous guider dans les décisions de santé publique, afin qu'elle émette des recommandations sur leur usage.
Je rappelle que ces tests reposent sur le même mécanisme qu'un test par PCR, c'est-à-dire un écouvillonnage nasopharyngé. Mais l'écouvillon, au lieu d'être envoyé dans un laboratoire pour être traité sur plateforme PCR, ce qui peut prendre un certain temps, est directement traité par l'opérateur, ce qui permet d'obtenir un résultat obtenu en quinze à vingt minutes – un petit trait rouge apparaît lorsque le patient est positif au covid.
Ce test présente l'avantage évident d'être utilisable partout et de donner des résultats rapides. Il présente en revanche une moindre sensibilité, c'est-à-dire la capacité à diagnostiquer les personnes positives, surtout les asymptomatiques. C'est pourquoi j'ai saisi la Haute Autorité sur ces deux sujets : les patients asymptomatiques et les patients symptomatiques.
La Haute Autorité a émis deux recommandations. L'une reconnaît l'usage des tests antigéniques en dépistage, c'est-à-dire en population asymptomatique. C'est ce que nous faisons dans les universités, dans les EHPAD, auprès des personnels soignants, dans les aéroports, les ports, les gares... Et nous allons démultiplier cet usage sur tout le territoire dans les jours et les semaines à venir.
L'autre recommandation concerne les patients symptomatiques en diagnostic individuel, où la sensibilité est bonne, la spécificité excellente, et où les tests permettent de guider les conduites diagnostiques. J'ai signé il y a quelques jours l'arrêté autorisant cette utilisation en médecine de ville, en pharmacie d'officine ou par des infirmiers et infirmières libérales et par d'autres professionnels de santé dont la liste sera amenée à évoluer en fonction des besoins.
Ces tests se déploient et je crois savoir que plus de la moitié des pharmacies d'officine en auraient déjà commandé deux millions en début de semaine.
Par ailleurs, nous avions déjà déployé dans l'ensemble des hôpitaux et EHPAD de notre territoire, avant même les recommandations de la Haute Autorité, cinq millions de tests antigéniques que nous avions achetés dans le cadre du stock d'État, afin de mener des expérimentations grandeur nature.
Il s'agira donc d'une aide supplémentaire qui ne remplacera pas le test PCR mais qui permettra de renforcer notre arsenal diagnostique.