Je me tiens naturellement informé de l'état des stocks stratégiques d'équipements de protection et de médicaments. Nous assurons, en centre de crise, un suivi hebdomadaire de la situation s'agissant des équipements de protection individuelle (EPI) et nous disposons de documents donnant tous les chiffres. J'ai déjà évoqué les tensions rencontrées concernant les gants. Je pourrais revenir longuement sur leurs raisons.
Concernant les patients non covid, nous travaillons avec Santé publique France à la sécurisation de l'ensemble des stocks, notamment pour faire face aux risques chimiques ou infectieux.
La déprogrammation des soins est proportionnée, territorialisée et progressive. Ainsi, la région Auvergne Rhône-Alpes a commencé mi-octobre à déprogrammer des soins, lesquels n'incluaient pas les soins de chirurgie ambulatoire, ni de chirurgie cancérologique, ni de chirurgie urgente ; dans un second temps, elle a également déprogrammé des soins de chirurgie ambulatoire afin de libérer des ressources humaines et de transformer des blocs opératoires pour épargner des lits de réanimation. Dans d'autres régions, la déprogrammation a été à peine amorcée, compte tenu de leur situation épidémique.
L'objectif consiste bien évidemment à limiter au maximum les déprogrammations. C'est pourquoi, à ce jour, nous n'avons pas atteint, pour les patients atteints du covid, le chiffre de 10 000 lits de réanimation, un seuil supérieur aux besoins actuels. Mais à mesure que la vague épidémique progressera – et n'en doutez pas, elle va progresser –, nous serons amenés à déprogrammer des soins pour libérer des lits supplémentaires et mobiliser des moyens humains.
Comme pour la première vague, nous avons relevé une réduction du nombre d'entrées aux urgences hors covid. Je voudrais d'ailleurs profiter de cette audition pour dire aux Français qui souffrent d'une maladie chronique, quelle qu'elle soit – diabète, hypertension, cancer ou toute autre maladie nécessitant un suivi –, de ne pas interrompre leurs soins. Tous les professionnels de santé sans exception, en médecine de ville comme à l'hôpital, sont sur le terrain, peuvent recevoir les patients ou les accompagner à distance par télémédecine.
Sur la question des malades de plus de 75 ans et sur l'accès en réanimation, comparer les chiffres d'entrée à l'hôpital pour 2020 avec ceux portant sur les années antérieures reviendrait à se livrer à une utilisation détournée des données fournies par la DGOS.
Lors du pic épidémique, le profil des patients hospitalisés en réanimation s'est révélé totalement différent de ce qu'il était l'année précédente. Leur nombre s'est élevé à 2 700 personnes, contre moins de 1 200 l'an dernier, à la même date. Au-delà de la seule question des volumes, la déprogrammation des opérations non urgentes dans les unités chirurgicales a eu un impact majeur et elle explique ces variations.
Les données font l'objet d'analyses de la part des équipes hospitalières, notamment au sein de l'AP-HP, qui travaillent à rendre les comparaisons pertinentes en prenant en compte d'autres critères, tels que les durées de séjour ou le parcours des patients en post-réanimation.
Par ailleurs, le chiffre auquel vous faites référence et qui est particulièrement bas en Île-de-France doit faire l'objet d'une analyse complémentaire afin de s'assurer de l'exhaustivité des données. Il ne correspond pas à celles que nous avons recueillies à l'échelle régionale. Il convient en la matière de s'entourer de toutes les précautions.
J'ajoute que la décision d'hospitaliser un patient en réanimation est toujours de nature médicale. Les facteurs qui la déterminent sont fixés par des règles élaborées par les sociétés savantes et nourries par la connaissance des pathologies, lesquelles peuvent évoluer au cours d'une épidémie. Tout choix d'admission en réanimation procède d'une analyse par les médecins, qui doivent évaluer les bénéfices et les risques qu'une telle admission présente pour les malades concernés.
J'ai travaillé en EHPAD. J'y ai même consacré les premières années de ma vie professionnelle. Je rencontrais à l'époque des personnes âgées atteintes parfois d'une démence, mais se trouvant dans un état de santé physique tout à fait satisfaisant et dont la perte d'autonomie était limitée. Lorsque ces patients contractaient une maladie grave ou faisaient face à des complications, nous appelions l'hôpital. Les médecins réanimateurs procédaient à une évaluation lorsque la situation relevait d'une hospitalisation en réanimation ou d'une chirurgie invasive et dans la plupart des cas, les malades étaient admis en réanimation.
Mais lorsque vous vous trouvez confronté par exemple – c'est un cas extrême –, à un patient âgé de 97 ans, dément, privé de toute autonomie, perfusé la nuit pour être hydraté et dépourvu de toute capacité de communication, alors il est clair que la probabilité qu'il soit admis en réanimation pour une pathologie aiguë, quelle qu'elle soit, sera très faible, l'équilibre entre bénéfices et risques ne justifiant pas le transfert.
Je le sais par mon expérience de neurologue : un hématome cérébral chez un patient de 60 ans ne sera pas nécessairement pris en charge de la même façon, quand l'éventualité d'un traitement invasif et d'une intubation en réanimation sera envisagée, que le même hématome chez un centenaire esseulé.
Quant à la question du Rivotril, le décret du 28 mars 2020 en a autorisé l'utilisation sous sa forme injectable pour une prise en charge des patients covid à domicile ou en EHPAD présentant une difficulté ou une détresse respiratoire. Il a été établi que cette utilisation devait être conforme au protocole exceptionnel et transitoire établi par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, laquelle regroupe des professionnels qui vouent leur existence à des patients en fin de vie se trouvant dans des situations de souffrance non soulagée.
Ce sont ces acteurs qui ont émis la recommandation dans le cadre de laquelle la prescription est prise en charge par l'assurance-maladie. Elle était liée au fait que les médicaments à base de midazolam, habituellement utilisés pour améliorer le confort de la fin de vie, n'étaient pas disponibles en quantité suffisante, car ils étaient utilisés pour les patients intubés et ventilés en réanimation – ces médicaments étant également destinés aux patients placés en coma. Dès lors, pour des patients sur le point de mourir et dont l'agonie est assortie d'une détresse respiratoire, deux options se présentaient à nous : soit les laisser agoniser en EHPAD dans les conditions les plus pénibles, soit les accompagner et les soulager en leur administrant un autre médicament, à savoir le Rivotril, une benzodiazépine puissante et répondant aux recommandations des sociétés françaises œuvrant dans le domaine des soins palliatifs.
Ce décret a entraîné un mauvais procès. Des personnes très mal intentionnées ou très mal informées ont affirmé qu'il conduisait à faire de l'euthanasie précipitée pour éviter des transferts en réanimation. Voilà qui est proprement honteux ! Il est difficile de conserver son calme face à ce genre d'allégations visant des professionnels qui vouent leur vie à des personnes âgées fragiles et qui les accompagnent jusqu'à leur dernier souffle. À travers eux, ce sont les familles de ces personnes, et ces personnes elles-mêmes, qui sont atteintes par ces attaques. De tels procédés d'euthanasie précipitée n'ont pas cours en France et je n'ai cessé de dénoncer ceux qui cherchent à exploiter la souffrance humaine à des fins politiques et dans le seul but de nuire.
Une dernière précision sur les stocks stratégiques. Il convient de distinguer le temps de crise des autres périodes. Je me tiens informé parce que la crise est en cours ; mais, avant la crise, je n'avais pas d'avis sur le bon niveau d'information du ministre, de la DGS et de Santé publique France. Pardon d'enfoncer une porte ouverte, mais j'entends être précis de bout en bout !