Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du lundi 14 septembre 2020 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique

Amélie de Montchalin, ministre :

Je souhaite clarifier un certain nombre de points ou, en tout cas, certaines positions. Je remercie d'ailleurs ceux et celles qui voient dans ce texte d'abord le fruit de ce qu'il représente : un travail de dentelle, car si notre droit est certes compliqué, il ne faut pas, en voulant simplifier, rendre les choses plus complexes encore. Nous avons une tâche importante à effecteur sur le plan culturel, ainsi que l'observait notamment Pierre Morel-À-L'Huissier. Mais nous devons procéder avec beaucoup de méthode.

M. Bolo souligne qu'il faut vraiment simplifier. S'agissant de la règle que nous avons fixée, selon laquelle quand nous créons une norme, nous en supprimons deux, je voudrais dresser le bilan de la production de ce que l'on appelle les décrets « secs », c'est-à-dire tous ceux qui sont publiés par le Gouvernement hors d'un cadre d'application des lois. Depuis 2017, ils sont au nombre de 39 en tout et pour tout. Par comparaison, lors des précédents quinquennats, ils étaient en moyenne de l'ordre de 300 à la même période. Cela signifie que nous avons produit dix fois moins de normes qui ne sont pas liées à une loi. Cela concourt, en soi, à la lisibilité des obligations et à une forme de simplification. En tout cas, nous nous restreignons énormément.

M. Lambert s'intéresse aux conditions effectives de la réalisation de la déconcentration des décisions. Je suis, moi aussi, très attentive à ce point, essentiel. La déconcentration est à la mode mais il nous faut d'abord nous assurer de sa mise en œuvre réelle, ainsi que des capacités réelles de travail d'instruction, de suivi des dossiers et d'arbitrage dont disposent les équipes des services déconcentrés. C'est pour cela qu'en cohérence avec ce qui est présenté aujourd'hui, le Premier ministre a indiqué, lors de son discours de politique générale, qu'en 2021, nous maintiendrons l'emploi dans la fonction publique d'État au niveau de 2020. En revanche, toutes les nouvelles créations de postes résultant de réorganisations internes, de modifications d'organigrammes ou autres se feront hors des administrations centrales. C'est un acte fort, qui n'a jamais été posé, je crois, de manière aussi claire dans l'histoire administrative, en tout cas récente. Oui, nous voulons créer des circuits courts décisionnels et nous assurer que les décisions sont prises au plus près du terrain et de l'endroit où elles auront à s'appliquer. Et nous sommes bien conscients qu'il faut, pour cela, renforcer nos administrations déconcentrées.

Vous dites, M. Morel-À-L'Huissier, que l'administration devrait davantage accompagner et moins contrôler. Je le formulerais un tout petit peu différemment : nous devons créer une administration de la responsabilité plus que de la conformité. La responsabilité impose en effet de s'engager, de décider, d'arbitrer et, bien sûr, d'accompagner. En revanche, accompagner sans être en mesure de décider et d'arbitrer, revient à faire durer le plaisir ou le cauchemar administratif. Cette culture de la responsabilité doit donc aller de pair avec notre démarche visant à réarmer les services départementaux ou régionaux de l'État, c'est-à-dire beaucoup plus proches des conséquences des décisions prises. Ce faisant, celles-ci correspondront mieux à une compréhension globale des enjeux qui les concernent.

La dématérialisation est un exercice que je poursuis, avec trois défis à relever. D'abord, que les démarches fonctionnent. Ce n'est pas tout de dire qu'elles sont en ligne : si le taux de satisfaction des usagers est faible, c'est que cela ne fonctionne pas. Ensuite, que les démarches soient accessibles à tous les publics, notamment aux personnes en situation de handicap. Enfin, il faut que cela permette de libérer du temps pour les agents, dans les espaces France Services, au téléphone ou dans des lieux de contact – sinon des « guichets » – en tout cas des lieux d'accueil du public polyvalents qui regroupent nos services publics et qui internalisent la complexité administrative pour que le citoyen ou l'entreprise s'y retrouve. Alors qu'en matière de dématérialisation, il a beaucoup été question des usagers, on a parfois un peu oublié les agents publics. Or il est extrêmement important que nous soyons symétriquement aussi attachés à ce que nous offrons de modernité aux usagers et aux entreprises qu'aux agents publics. Si tout est numérisé jusqu'au guichet mais que, derrière le guichet, les outils de travail ne sont pas modernisés, nous n'aurons résolu ni le problème des délais ni celui de la complexité. En tout cas, c'est la feuille de route que je poursuis, notamment avec les services de la Direction interministérielle du numérique.

Mme Panot, je tiens à préciser, si un doute subsistait, que nous ne cherchons pas à détruire l'État. Je suis ministre de la transformation et de la fonction publiques. Nous cherchons à rendre l'État plus simple, plus proche, plus efficace, plus juste. Nous cherchons à faciliter l'accès aux droits. Dans quelques mois et même quelques semaines, par exemple, les CAF départementales pourront accéder plus facilement aux bases de données des impôts. Cela permettra de donner accès aux ressources, donc de faciliter l'accès aux droits pour la prime d'activité, pour les aides au logement et pour un certain nombre de droits dont nous savons – cela a été l'un de mes combats lorsque j'étais députée avec vous –que le taux de recours n'est absolument pas satisfaisant. Créer des droits pour s'apercevoir ensuite qu'ils ne sont pas effectifs pour la moitié des personnes qui pourraient y prétendre n'est satisfaisant ni pour les parlementaires ni pour le Gouvernement. Les mesures de modernisation ou de réorganisation internes que nous proposons n'ont pas vocation à détruire l'État, mais bien à le rendre objectivement plus efficace dans la bataille contre l'impuissance publique qui crée de la défiance politique et qui alimente une forme de désengagement des citoyens à l'égard du collectif que le service public a vocation à animer.

Non, il n'y a pas, derrière ce texte, d'enjeu de suppressions de postes de fonctionnaires. Parce que nous tenons compte de la crise sanitaire, nous avons posé un acte lisible : même nombre de fonctionnaires d'État en 2021 qu'en 2020. S'agissant de la fonction publique territoriale, vous le savez, les collectivités locales ont un principe de libre administration. Quant à la fonction publique hospitalière, les décisions prises lors du Ségur montrent bien que l'ambition n'est pas de couper des postes comme vous l'avez dit.

Enfin, vous avez cité deux entreprises – Lafarge et Lubrizol. Je tiens à dire, s'il faut encore le rappeler, que l'État ne tolère en rien le non-respect de la loi. Des poursuites sont engagées à chaque fois qu'il y a un manquement à la loi. Tel est déjà le cas dans certains des dossiers que vous avez évoqués. Il est extrêmement important, dans l'intérêt du débat démocratique, que nous puissions, certes nous opposer sur les objectifs, mais qu' a minima, nous soyons fidèles aux faits quand ils sont documentés.

Mme Cariou, sur l'égalité entre les hommes et les femmes, combat que partage l'immense majorité de cette commission, nous avons intérêt, non pas à multiplier les instances ou à cannibaliser l'action des uns ou des autres, mais à donner plus de visibilité à des acteurs identifiés. C'est ce que nous allons chercher à faire. Ne laissons pas croire qu'au motif que deux instances travaillant sur des sujets proches le feront désormais sous le même toit, nous réduirions notre capacité à répondre aux enjeux.

S'agissant de vos interrogations quant aux commissions exerçant dans des champs proches, notamment dans le dialogue social, nous garderons le haut conseil au dialogue social ainsi que tout ce qui a trait à la négociation collective et à la formation professionnelle. Nous prévoyons également des commissions spécialisées. Mais nous constatons de nombreuses redondances dans les domaines des accords de prévoyance, de participation et d'intéressement. À l'instar de l'égalité hommes-femmes, ces sujets sont des objectifs prioritaires du Gouvernement. Autant les traiter donc dans des instances ayant une capacité à agir et qui peuvent être force de proposition réelle, plutôt que de nous disperser et de diviser nos forces.

L'expression « charge mentale administrative », employée par Mme Lemoine, est intéressante tant il est vrai que nombre d'entreprises ou de citoyens ont l'impression que l'État les place dans une situation d'incertitude. Je fais ici le lien avec la règle du silence vaut acceptation. Le Sénat a voulu apporter une précision en supprimant la possibilité de déroger à ce principe par voie réglementaire. Nous y sommes opposés car il n'est pas certain qu'agir que par la loi permette d'atteindre notre objectif de simplification Cela étant, tout mon travail consiste à faire en sorte que les administrations répondent, et non qu'elles gardent le silence ou qu'elles soient contraintes de garder le silence pour échanger avec les citoyens. Nous avons plutôt besoin d'une administration bien outillée et modernisée dans ses outils de travail. J'insiste vraiment sur ce point car les agents publics sont, d'une certaine manière, les premières victimes des lourdeurs hiérarchiques et des pesanteurs de décision. Il faut que les administrations puissent répondre, et répondre clairement.

M. Serville, je n'ai pas très bien compris en quoi les outre-mer avaient été supprimés du ministère des outre-mer. Mais peut-être faisiez-vous allusion à un épisode ou un fait ? Nous avons un ministère de plein exercice, comme cela a été le cas sans aucune discontinuité sous la Ve République. Dans le cadre de mes fonctions, s'agissant de la fonction publique, j'attache une attention toute particulière aux questions qui ont trait à l'organisation des services publics et à l'attractivité des postes des services déconcentrés de l'État dans les outre-mer. Et en termes de transformation, je suis particulièrement attachée à ce que le suivi de nos résultats et de l'efficacité publique, s'effectue avec autant de vigilance dans les départements et territoires d'outre-mer qu'en métropole – notamment parce qu'un certain nombre de situations provoquent des résultats qui ne sont pas à la hauteur de nos attentes, et que nous devons être en mesure d'identifier lucidement les blocages et de les lever, dans un esprit collectif. Dans ces territoires comme ailleurs, rien ne peut avancer si l'État est seul. Il a besoin des élus. Il a besoin des entreprises. Il a évidemment besoin des parlementaires et de la société civile. En tout cas, c'est l'esprit qui m'anime.

Enfin sur l'ONF, évoqué par Mme Panot, il est important de remettre les faits au milieu du débat : 43 % des agents de l'Office sont déjà des salariés de droit privé. Ce texte ne prévoit donc pas une privatisation rampante.

Je vous remercie pour vos questions et pour les travaux que nous aurons à conduire concernant ces sujets de manière désormais plus concrète et plus précise.

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