Intervention de Huguette Mauss

Réunion du mardi 27 août 2019 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l'accès aux origines personnelles (CNAOP) :

Aujourd'hui, je vous présente très rapidement le dispositif que nous avons exposé dans la note qui vous a été transmise. Le CNAOP, créé depuis 2002, a 17 ans d'existence. Cette expérience peut éclairer éventuellement vos travaux.

En 2002, la loi a été votée à l'unanimité. Elle disposait que la mère de naissance est informée de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle n'institue donc pas un droit d'accès à la connaissance de ses origines. Elle pose l'objectif de faciliter l'accès à ses origines et à son histoire, avec le souci de protéger la santé de la mère et de l'enfant en dehors de la grossesse et de l'accouchement, et d'éviter des abandons sauvages.

Le législateur à l'époque a donc essayé d'instaurer un équilibre entre les intérêts de la mère et ceux de l'enfant par le biais de ce dispositif juridique. Cette loi française s'inscrit dans la continuité de la Convention internationale des droits de l'enfant qui reconnaît le droit de l'enfant, dans la mesure du possible, à connaître ses origines. L'équilibre institué entre les droits de l'enfant de connaître ses origines et celui de la mère au respect de sa vie privée a été validé par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à plusieurs reprises.

De même, dans une décision de mai 2012, le Conseil constitutionnel français a jugé que ces dispositions relatives à l'accouchement dans le secret et ses conséquences sur l'accès aux origines de l'enfant ne sont contraires à aucun droit, ou liberté, garantis par la Constitution. À ce jour, aucune jurisprudence n'a remis en cause une seule disposition de cette loi du 22 janvier 2002, toutes ont affirmé le caractère équilibré de cette loi.

Le CNAOP existe donc depuis 2002, il est constitué d'un conseil que je préside, composé de 17 membres, dans lequel siègent des associations d'enfants nés dans le secret, des administrations, des associations représentant les droits des femmes, des représentants de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Il est assisté d'un secrétariat général, qui siège à Paris, et de sept personnes qui, au quotidien, instruisent les dossiers.

Nous avons également un réseau de 250 correspondants départementaux, en général deux à trois correspondants dans chaque département. Ils ne sont pas à plein temps pour le CNAOP, mais ils sont, dans le cadre de leurs attributions, soit au moment de l'accouchement, soit au moment de la demande d'accès aux origines, les interlocuteurs des personnes, soit du CNAOP, soit des demandeurs qui veulent accéder à leurs origines.

La loi de 2002 prévoit la possibilité pour une femme d'accoucher dans le secret de son identité, et de bénéficier de la sécurité des soins et de l'accompagnement approprié, si elle le souhaite. La loi renforce les possibilités d'information qui sont laissées à l'enfant :

- possibilité de lever le secret de l'identité à tout moment, comme cela existait déjà auparavant ;

- possibilité de laisser son identité sous pli fermé à l'intention de l'enfant ;

(Ce pli ne sera ouvert que si celui-ci en fait la demande et la personne, c'est-à-dire la mère de naissance, pourra être contactée pour exprimer sa volonté. Nous sommes bien sur la volonté de tenir compte des deux volontés.)

- possibilité de laisser des renseignements non identifiants qui permettront de comprendre les circonstances de la grossesse et de l'accouchement ;

- possibilité de laisser son identité dans le dossier lorsque l'enfant demandera à y accéder.

Cet éventail de possibilités est désormais proposé à toutes les femmes qui, lors de l'accouchement, se posent la question de rester dans l'anonymat. J'ai laissé à la présidente un certain nombre de brochures qui viennent d'être mises à jour concernant les droits des mères lors de l'accouchement. C'est un document qu'il nous semble très utile de mettre à jour très régulièrement. Il est également sur le site depuis un mois, de façon à ce que chaque femme puisse être informée ainsi que ceux qui les accompagnent. Cela sert à la fois à l'enfant pour accéder à ses origines, mais aussi aux mères, de façon à préserver le secret dans lequel elles veulent accoucher.

L'exemplaire de ce document est remis à la femme avec un modèle de lettre de rétractation. En fait, ce sont les établissements de santé qui sont les premiers interlocuteurs et les mieux placés pour accéder aux demandes de la mère. C'est le directeur de l'établissement de santé qui a la responsabilité des conditions d'application des formalités prévues par le dispositif.

Les correspondants départementaux sont informés dès qu'une femme souhaite accoucher dans le secret ou qu'une femme désire avoir un contact. Souvent, elles ne le demandent pas, mais c'est le personnel hospitalier qui appelle le correspondant départemental. En général, une organisation est mise en place pour permettre, 24 heures sur 24 et aussi les week-ends, de venir voir la mère qui accouche de façon à lui expliquer ses droits. Cela permet de passer la phase, qui est souvent une phase de détresse, notamment lorsqu'il y a eu un déni de grossesse. On lui explique ses droits, et surtout les droits que l'enfant qui est né va pouvoir exercer ultérieurement, lorsqu'il sera majeur.

La possibilité de demander le secret de l'identité de la mère n'a pas été aménagée depuis 2002, sauf pour répondre à des impératifs de sécurité sanitaire, tant pour la personne qui accouche que pour le nouveau-né.

La préservation du secret de l'identité ne concerne que l'identité de la mère et non du père. Elle a un délai de cinq jours qui suivent la naissance et, passé ce délai, la mère pourra toujours décider de confier l'enfant en vue d'adoption, mais ne pourra plus demander le secret. Il y a environ 500 à 700 naissances chaque année dans le secret. Seule la mère peut demander la préservation du secret à son admission. Ce n'est possible qu'au moment de l'accouchement et dans les cinq jours qui suivent la naissance. C'est la mère qui a la maîtrise des informations.

C'est le correspondant départemental du CNAOP dans chaque département qui atteste de la décision de la mère. La préoccupation essentielle du CNAOP est de permettre l'exercice des droits des personnes, dans le respect mutuel de leur volonté : celle de la mère de naissance lors de l'accouchement et, ensuite, lors de la demande d'accès aux origines par l'enfant né dans le secret.

L'autre volonté, c'est la volonté de l'enfant, lorsque devenu majeur ou en âge de discernement, il demandera à connaître l'identité de sa mère de naissance. Dans le cadre des travaux préparatoires à la révision de la loi bioéthique, nous nous sommes effectivement préoccupés de certaines questions, notamment lorsque des enfants sont porteurs d'une maladie génétique. Ils savent qu'ils ont été abandonnés, ils sont donc pupilles ou adoptés, et ils veulent porter à la connaissance de la parentèle la maladie génétique dont ils se savent porteurs.

Une deuxième question se pose : quand des mères ou d'autres enfants de la mère biologique se savent porteurs d'une maladie génétique et ont connaissance d'un enfant né dans le secret, comment informer cette personne qu'elle est susceptible de développer une maladie génétique ? Nous nous sommes effectivement préoccupés de cette question lors de groupes de travail, avec l'ensemble des membres du conseil.

En parallèle de ce qui a été mis en place, ou de ce qui peut être mis en place pour les enfants nés avec un don par tiers donneur, nous nous sommes préoccupés de voir les procédures à mettre en place. Cela, à la fois pour assurer cette sécurité sanitaire en ce qui concerne l'information, mais également pour savoir si c'était compatible avec la volonté du législateur en 2002 de garantir des naissances dans le secret. Au terme de nos travaux, nous avons donc été saisis dans le cadre des travaux préparatoires et nous avons rendu un avis le 26 juin sur cette question.

Nous estimons effectivement qu'il est important qu'à la fois la mère de naissance ou la parentèle puisse informer l'enfant né dans le secret qu'il est susceptible de développer une maladie génétique. Mais en parallèle, l'enfant né dans le secret a la possibilité d'informer la parentèle de cette situation.

Nous estimons que le CNAOP n'a pas un rôle médical, mais, compte tenu de son expérience, il peut être un intermédiaire entre les médecins généticiens qui ont découvert la maladie génétique, soit chez l'enfant soit dans la famille biologique, pour prendre contact avec le médecin, soit de l'enfant, soit de la famille biologique, de façon à organiser entre eux des informations, sans pour autant lever le secret. Il y a toujours la possibilité de respecter la volonté des parties. L'objectif n'est pas d'imposer, mais de créer les conditions pour que les échanges d'informations soient les plus complets possible et permettent de préserver la santé de l'un et de l'autre, dans un souci de santé publique.

Quelques chiffres ont été donnés dans le document. Pour mémoire, il faut savoir qu'au CNAOP, sur les 500 demandes que nous avons chaque année, un certain nombre de mères biologiques ne sont pas localisées ; nous n'arrivons pas à les identifier. Le nombre d'enfants susceptibles de demander accès à leurs origines représente presque 100 000 personnes, puisqu'on peut aller rechercher ses origines jusqu'au début des années 1900. Encore maintenant, nous avons des personnes qui à 40 ou 50 ans découvrent qu'elles ont été adoptées et veulent retrouver leurs origines. On se retrouve avec des personnes pour lesquelles il faut rechercher des dossiers datant de très longtemps.

Et même lorsque l'on retrouve ces personnes, certaines ne veulent pas lever le secret de l'identité de la naissance. Ce choix est indépendant du milieu socio-économique de la mère ; tous les milieux sont concernés. Lorsqu'on l'appelle pour leur expliquer qu'un enfant est né à telle date et qu'elle est susceptible d'être sa mère, quand elle le reconnaît après un certain nombre d'échanges téléphoniques, une femme sur deux, souvent, ne veut pas. Ces femmes disent : « C'est mon histoire. C'est un moment très difficile. Je ne vais pas revenir sur cette histoire. » Il faut tenir compte de cette volonté de la mère qui ne veut pas.

Au sujet du dispositif mis en place depuis 2002, on espère simplement qu'on aura plus de possibilités, en ayant incité les femmes à laisser leur identité sous pli fermé, d'accéder à leur identité, pour pouvoir les contacter et leur expliquer l'intérêt du point de vue de la santé publique d'avoir un contact et des informations, même si elles ne veulent pas rencontrer l'enfant qu'elles ont abandonné. Et inversement, on peut aussi avoir des enfants qui, abandonnés, ne veulent pas avoir de contact avec cette mère de naissance.

Le problème de la transmission des informations est très important. Nous nous portons garants de la collecte des informations. Nous les stockons. Et au moment où soit la mère de naissance accepte d'avoir un contact avec l'enfant, soit l'enfant veut avoir un contact avec la mère de naissance, nous avons tous les éléments permettant cette rencontre, même anonyme. Nous le faisons donc.

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