Même si je ne partage pas certains de vos propos, j'ai beaucoup de respect pour vous et la réflexion que vous conduisez. En effet, je ne doute pas que vous pensez œuvrer pour le bénéfice des enfants et des idées auxquelles vous êtes attachés. En retour, je vous demande le même respect pour des idées distinctes de celles que vous avez énoncées. Je suis un défenseur tout à fait évident des progrès attendus par la majorité de la population française et de la lutte contre les différentes variétés d'infertilité. Cela mérite de pouvoir confronter les points de vue qui nous animent les uns et les autres.
Dans vos propos, je retiens qu'à plusieurs reprises revient cette question de l'absence du père. Juste avant vous, nous avons eu des témoignages d'enfants nés de PMA, dans des couples homosexuels, de femmes seules, etc. Aucune de ces personnes interrogées n'a exprimé une souffrance particulière, ce qui corrobore toutes les études conduites sur quelques centaines d'enfants suivis pendant 25 ans issus de PMA pour des femmes seules ou en couple : elles montrent que leur développement était parfaitement harmonieux, voire meilleur que celui des enfants nés dans les conditions naturelles, car ils étaient très attendus, espérés, désirés et très fortement aimés.
Je peux comprendre qu'a priori, la question de l'absence du père se pose, mais il faut la confronter à la réalité. Est-elle si significative que cela ? Je ne dis pas que le père est inutile, mais que voulons-nous dire quand nous parlons de l'absence du père ? Est-ce le père en tant que tel ? Est-ce l'homme ? Ces enfants nous ont dit que dans ces familles, il y avait des oncles, des cousins, des grands-pères, des hommes, autant que de femmes. Les femmes ne sont pas des ermites, il y a des hommes. Voulons-nous dire que c'est la figure tutélaire du père, telle que nous l'imaginions au XIXe siècle, représentant de l'autorité, de la discipline, etc. ? Il est vrai qu'il y a encore quelques rares familles dans lesquelles la mère dit : « Attend le retour de ton père ce soir, pour avoir la punition des bêtises que tu as faites ce matin. » Dans la plupart des cas, non. Aujourd'hui, les femmes savent avoir l'autorité et les pères savent embrasser leurs enfants et leur témoigner de l'amour. Il n'existe plus cette image ancienne du père qui était aussi fortement distincte de celle de la mère.
Par ailleurs, le genre et la fonction sont deux choses différentes. On peut parler du genre, mais la fonction paternelle peut être remplie autant par l'un que par l'autre. Vous dites aussi – et je vous rejoins – que vous voulez lutter contre l'eugénisme. Moi aussi, mais je veux lutter contre l'eugénisme tel qu'il est réellement défini, c'est-à-dire cet eugénisme qui a fait tant de ravages au XXe siècle et non celui que vous imaginez, qui ne correspond pas à la définition de l'eugénisme. Vous voulez bien entendu dire qu'il n'y a pas de droit à l'enfant et j'en suis d'accord, il n'y a aucun droit à l'enfant. En revanche, le désir d'enfant est respectable. Si ce désir n'existait pas, relisez l' Éloge de la Folie d'Érasme, nous n'en serions pas là. Ce désir d'enfant a été plus fort que toutes les raisons qui se seraient opposées au prolongement de l'espèce humaine. Il y a plusieurs siècles que cela a déjà été très bien décrit.
Vous évoquez le fait que la surproduction d'embryons surnuméraires est choquante – il y en a quelques centaines de milliers dans les congélateurs actuellement en France. Nous aussi, nous voulons lutter contre cela, mais connaissez-vous une autre méthode que d'améliorer l'efficience de la PMA et de la fécondation in vitro qui pour l'instant est à peine de 30 % ? Pour cela, il faut accepter la recherche sur l'embryon et les cellules souches. D'ailleurs, pourquoi la recherche sur l'embryon serait-elle interdite, alors que la recherche sur le fœtus est permise ? Quelle est la sacralisation de l'embryon supérieure à celle du fœtus humain, sur lequel il est autorisé de faire des recherches ?
Je voudrais terminer en disant que j'appelle de mes vœux une réflexion ultérieure, pour que vous puissiez soutenir les familles modernes souhaitant avoir des enfants fortement désirés, fortement aimés et très épanouis. Vous soutenez les familles, nous aussi. Nous pouvons nous retrouver sur le fait que dans les conditions modernes, c'est l'évolution d'une société qui fait que – peut-être que vous le regrettez, mais c'est ainsi – plus de la moitié des enfants en France naît hors mariage. Cela veut dire qu'il y a une diversité de familles : des familles hétérosexuelles, homosexuelles, monoparentales. Ce n'est pas la configuration de la famille qui conduit à définir le niveau d'épanouissement, de bonheur et de qualité de chances dans la vie des enfants qui vont en naître.
Enfin – c'est facile de l'utiliser – vous avez brandi la peur des chimères homme animal qui évidemment effrayent tout le monde. Entrons dans le détail du sujet. Moi non plus, je n'ai pas du tout envie que nous mélangions des embryons humains et des embryons animaux. Sachons tout de même qu'aujourd'hui, tous les pays utilisent ce que l'on appelle des souris humanisées, c'est-à-dire des souris avec déficit immunitaire sur lesquelles ont été greffés des tissus fœtaux thymiques et hépatiques humains, afin de développer un système immunitaire humain chez la souris. Grâce à cela, tous les pays étudient les traitements du sida, la thérapie génique et d'autres moyens, puisque ces cellules humaines se développent dans un modèle in vivo chez la souris.
Certes, des choses sont très inquiétantes, mais des progrès sont également déjà intervenus, sans que cela n'ait choqué personne et ils n'ont rien entravé de la dignité que vous comme nous conférons à l'espèce humaine. Si vous pouviez me rassurer sur la nature de vos désirs, qu'ensemble nous puissions protéger ces enfants et ces familles, je vous en serais reconnaissant.