Je veux bien apporter de premiers éléments de réponse. Merci, monsieur le député, pour cette question excessivement développée posant les questions fondamentales.
Vous dites qu'il nous faut respecter les idées différentes, distinctes des nôtres et nous en sommes bien sûr convaincus, mais il y a tout de même un principe fondamental, celui de la dignité de la personne humaine, de l'être humain. Ce principe fondamental a un corollaire, celui de la gratuité des éléments du corps humain. Le projet de loi, notamment au regard de l'extension de la PMA, va avoir pour conséquence de mettre en tension ce principe de gratuité. En France, il n'y a que 363 donneurs de spermatozoïdes. Cela peut paraître très peu, mais c'est la réalité, ce qui signifie que pour répondre aux nouveaux besoins qui seront créés par la possible extension de la PMA, il n'y a pas 36 solutions : soit on remet en cause le principe de gratuité qui est pourtant consubstantiel à la notion de dignité de la personne humaine, soit on achète du sperme à l'étranger. Oui, nous nous respectons dans le débat, mais il y a des principes et des lignes rouges que nous ne pouvons pas franchir.
J'ai une deuxième observation liminaire à faire. Vous dites qu'en gros, l'absence du père n'est pas si catastrophique. Je me réfère à l'institution qui dit l'éthique dans notre pays, avec les réserves que nous pourrions le cas échéant émettre, à savoir le Comité consultatif national d'éthique. Le Comité consultatif national d'éthique, tant dans son avis no 126, que dans son avis no 129 a bien rappelé qu'à l'heure actuelle, en France, il n'existait pas d'étude non biaisée, scientifique, sérieuse concernant l'avenir des enfants élevés dans des familles homoparentales. Ce n'est pas moi qui le dis, ce n'est pas polémique. C'est le CCNE qui le dit, après des années de travail, et le répète à deux reprises. Peut-être que le père n'est pas tout et qu'il y a des pères défaillants, sûrement, mais cette question de la création par la loi de familles sans père est fondamentale. Même le CCNE n'a pas pu passer cela sous silence. C'était ma deuxième observation.
Ensuite, vous évoquez la question de l'eugénisme. Vous dites en substance qu'il faudrait que nous nous mettions d'accord sur une définition. La définition de l'eugénisme a été donnée par Francis Galton en 1883. C'était un cousin de Charles Darwin. Il faut savoir que l'eugénisme n'a pas concerné que les régimes totalitaires. Il peut y avoir eu des dérives géniques dans des systèmes démocratiques. C'est arrivé aux États-Unis et au Japon, avec des stérilisations massives. M. Jacques Testart, qui ne me semble pas être un catholique réactionnaire, tire la sonnette d'alarme depuis des années sur les possibles dérives eugéniques en France. Nous sommes effectivement dans une démocratie, en France. Dans un livre que je vous invite à lire, monsieur le professeur, Histoire de l'eugénisme en France – Les médecins et la procréation (XIXe-XXe siècle), tout à fait intéressant, l'historienne Anne Carol rappelle que pour M. Testart, père scientifique du premier bébé-éprouvette français et de beaucoup d'autres, le danger de l'eugénisme se situe principalement à trois niveaux. Le premier concerne le choix du donneur en cas d'insémination artificielle consécutive à la stérilité du conjoint masculin. Cette question est évidemment tout à fait importante compte tenu des débats qui nous occupent aujourd'hui. Le second concerne la décision d'avortement après un diagnostic prénatal (DPN) défavorable. Enfin, le troisième, le plus médiatisé actuellement, concerne le sort des embryons créés à chaque FIV et la question du diagnostic préimplantatoire.
Nous aurions tort de considérer que l'eugénisme n'a concerné que les périodes les plus sombres de notre histoire. Il est sage d'être prudent sur ce terrain très glissant et dangereux et il ne faut pas considérer de façon un peu rapide que l'eugénisme ne concernerait que les régimes totalitaires. D'ailleurs, dans son rapport précédant la dernière révision de la loi bioéthique, le Conseil d' État parlait bien des décisions individuelles convergentes, afin d'expliciter que dans une démocratie, il pouvait y avoir un « eugénisme libéral » ou même familial, un eugénisme lié à des décisions individuelles convergentes. D'une certaine façon, il est toléré, voire promu par l'État.
La dernière question que vous évoquez est celle des embryons surnuméraires. Je me dis que l'on ne peut pas rester indifférent au fait que de révision de loi de bioéthique en révision de loi bioéthique, on laisse déraper le nombre d'embryons surnuméraires. Il y en avait 30 000 en 1994, 100 000 en 2000 et 221 538 en 2015. Nous laissons déraper, comme si nous considérions que c'était totalement indifférent. Chacun de ces embryons surnuméraires est un être en devenir, un être dont la vie est suspendue, chacun est unique. Ces questions ont animé les premiers débats du Comité consultatif national d'éthique et aujourd'hui, force est de constater que dans les états généraux de bioéthique, cette question n'a pas du tout été évoquée, n'est plus évoquée et nous laisse totalement indifférents. C'est inquiétant.