Je veux répondre rapidement à la question des chimères. Vous dites qu'à l'étranger, certaines législations l'ont autorisé. Je ne suis pas sûr que ce soit l'argument le plus convaincant que de se dire que des choses se font à l'étranger et qu'il faudrait donc les faire chez nous également. Il est vrai que l'article du PJL est important. Pour que tout le monde comprenne bien, on supprimerait l'interdit de créer des chimères et l'on autoriserait la possibilité de mettre des cellules embryonnaires humaines ou des cellules reprogrammées humaines dans des embryons animaux, afin de les implanter dans des utérus animaux. L'objectif en soi peut être intéressant, celui de faire pousser des organes humains dans des animaux. L'idée peut être louable, parce que nous manquons de greffons et la greffe est un enjeu de solidarité important dans notre médecine. Les barrières que cela sollicite sont vraiment essentielles, avec pour commencer cette frontière homme animal.
Comment allons-nous demander aux cellules humaines de ne pas aller se promener dans l'ensemble de l'organisme animal ? Ce n'est pas moi qui évoque ces dangers, ce sont des spécialistes qui travaillent sur cette question. Si des cellules passent dans le cerveau animal, à partir de quel moment considère-t-on que l'on n'est plus complètement animal et pas tout à fait humain ? Il y a évidemment des problèmes dans la durée de gestation. Un animal ne grandit pas en neuf mois, comme un bébé, pour créer un organe. Évidemment, des problèmes de compatibilité viennent à l'esprit de tout le monde.
Surtout, cela pose la question : jusqu'où allons-nous ? Nous manquons de cellules, de gamètes, par exemple. Si c'est possible un jour, autoriserait-on la fabrication de gamètes par des animaux ? Encore une fois, ce n'est pas moi qui pose la question, ce sont des personnes qui ont réfléchi à tout cela. C'est évoqué dans des rapports. Les bonnes intentions sont parfois porteuses de grands dangers. Sur cette question des chimères, il est important de s'arrêter, parce que finalement, cela nous dit que tout ce que nous pouvons faire devrait être fait, mais il y a quand même des principes. La loi de bioéthique est là pour donner des principes et là, nous touchons au respect de l'espèce humaine, au même titre que le clonage.
Je voudrais également dire un mot sur l'eugénisme. Aujourd'hui, la technologie nous permet de trier les embryons in vitro. Le diagnostic préimplantatoire est de plus en plus poussé et efficace, puisque nous progressons dans le séquençage de l'ADN. Une quantité très importante de données peuvent être fournies par le diagnostic préimplantatoire. En France, c'est contraint par la loi, même si l'un des articles du projet met un peu de flou. Nous ne savons pas quelle sera l'étendue, puisque l'on parle de faire évoluer les bonnes pratiques de fécondation au fur et à mesure des recommandations de l'Agence de la biomédecine. Regardons aussi ce qui se passe à l'étranger, si c'est un critère. Aujourd'hui, des cliniques privées à but lucratif proposent à des couples qui ne sont pas infertiles d'avoir recours à des fécondations in vitro, afin de pouvoir analyser leurs embryons pour différentes raisons, par exemple pour le choix du sexe. Vous voyez que la discrimination homme-femme devient technologique. C'est utilisé pour éviter certaines maladies, mais il faut savoir qu'aux États-Unis, 3 % des diagnostics préimplantatoires sont réalisés pour sélectionner des enfants porteurs de handicap. J'ai travaillé sur ces questions, notamment dans l'un de mes livres. Ce sont des couples porteurs de surdité qui choisissent d'avoir recours à la FIV, afin de trier leurs embryons et de choisir les embryons porteurs de surdité. Ils rejettent les embryons sains, parce qu'ils veulent partager avec leur enfant les moyens de communication qu'ils utilisent. Ils veulent transmettre leur handicap en héritage, afin de pouvoir communiquer avec leur enfant de la même façon qu'eux-mêmes sont contraints de le faire en raison de ce handicap. À partir du moment où c'est le désir qui fait la loi, tout peut arriver et je voulais répondre à M. Touraine sur cette question.