Je voudrais dire quelques mots à propos d'une phrase de la troisième question qui nous a été posée, où vous disiez que cela n'impose rien à qui que ce soit, après avoir exprimé votre expérience personnelle et votre souci de servir l'intérêt général, au-delà de vos propres particularités ou convictions. Pour ma part, j'ai accompagné énormément d'enfants et de familles en difficulté depuis maintenant trente ans et je suis soucieux de l'intérêt de chacun, du bien commun de chacun. Vous dites que l'on n'impose rien à personne, mais au fond, si. La proposition technique fait largement injonction, déjà aujourd'hui, aux femmes de recourir aux techniques qu'on leur propose. Dans nos services d'écoute, nous avons maints exemples de femmes auxquelles des praticiens reprochent de ne pas recourir aux techniques qu'on leur propose. C'est : « A votre âge, vous êtes très belle. Vous êtes si jeune. Pourquoi n'utilisez-vous pas tout ce que l'on vous propose comme techniques ? » Une femme endeuillée qui perd son compagnon est en difficulté pour faire son deuil, quand il y a des gamètes ou des embryons congelés et nous l'observons dans nos services d'écoute. La voilà qui ne fait désormais plus le deuil de son compagnon et des enfants qu'elle n'aura pas avec, mais qui revendique devant vous de pouvoir avoir les enfants qu'elle n'a pas eus avec son compagnon.
La proposition technique n'est pas neutre. Elle fait injonction à des personnes qui peut-être auraient moins de souffrance, moins de désir compulsif, si nous assumions les limites qui régulent nos désirs. La démocratie fonctionne lorsque des limites sont apportées au désir des forts, au profit des faibles. Ce qui peut-être nous oppose dans cette conversation est que nous estimons qu'il n'y a pas de raison d'imposer à un enfant non encore conçu d'être amputé de son père, quoi que l'on en dise, quoi que vous ayez dit et quoi que j'aie entendu sur votre idée selon laquelle finalement, cela ne pose pas tant que cela de problèmes aux enfants.
Ensuite, au fond, vous allez imposer à tous les changements de paradigme et de vocabulaire, l'affaissement de la notion de paternité et de maternité. Vous allez imposer à tous de financer l'injustice, ce que je récuse. Vous allez faire des campagnes de promotion du don de gamètes, afin de pouvoir donner des enfants à des femmes seules et je récuse le fait que mon impôt soit au service d'une injustice véritablement gravissime. Plus globalement, nous voyons là des signaux faibles. Tout commence par des petits nombres, des petits chiffres, mais au bout d'un moment, c'est un modèle qui bascule. Certains médecins ne se cachent plus d'estimer que désormais, il vaudrait mieux faire des enfants « sérieusement », en éprouvette plutôt que sous la couette, de sorte que l'on améliore la qualité et la santé. Nous estimons que c'est porter atteinte au principe d'écologie humaine. Étrangement, l'un des principes les plus bafoués dans cette loi est le principe de parité. Dans notre engendrement, nous avons tous bénéficié de la parité hommes-femmes. C'est cet élément qui définit la parité intrinsèquement, c'est-à-dire le fait que l'humanité est faite d'hommes et de femmes, comme le disait en son temps M. Lionel Jospin pour protester contre d'autres lois. L'humanité est faite d'hommes et de femmes et si vous effacez cette parité, si nous avons une indifférenciation entre l'homme et la femme ou si la paternité de l'homme est réduite à un spermatozoïde irresponsable de sa descendance, nous changeons de paradigme. Très vite, le signal faible risque de devenir une norme, que l'on décrit avec brio, dans des films que vous connaissez, comme Bienvenue à Gattaca ou des romans comme Le Meilleur des mondes. Nous nous apercevons qu'il y a une psychologie de certains scientistes, que nous avons rencontrés, qui estiment qu'il s'agit maintenant de passer aux choses sérieuses et que la science doit prendre le relais de la relation sexuelle, afin de procréer « efficacement ». Cela, nous ne pouvons pas l'accepter.