Intervention de Blanche Streb

Réunion du mardi 27 août 2019 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Blanche Streb, directrice de la formation et de la recherche :

Je vais répondre à la question qui m'a été posée directement. En effet, aujourd'hui, la loi n'autorise pas la création d'embryons pour la recherche et je vous rejoins sur ce point. Les embryons surnuméraires donnés à la recherche n'ont pas été créés dans cet objectif. En revanche, il a été décidé de les confier à la recherche, au départ pour améliorer également les résultats des fécondations in vitro. Nous voyons que finalement, cet objectif n'a pas abouti.

J'ai évoqué cette question, parce qu'il y a une exception à cela, lorsque la recherche sur l'embryon se fait dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, sous un régime contrôlé par l'Agence du médicament et non plus par l'Agence de la biomédecine, pour des recherches faites sur les gamètes ou les embryons, possiblement à des fins de gestation. Là, une exception existe tout de même. J'avais surtout évoqué cette question par rapport aux gamètes artificiels. Aujourd'hui, le projet de loi ouvre ces recherches, soit en les obtenant par des cellules embryonnaires, soit par des cellules reprogrammées, notamment pour étudier la gamétogenèse artificielle. À un moment, nous serons obligés de vérifier la fécondance de ces gamètes artificiels et serons donc amenés à nous reposer la question de l'autorisation de créer des embryons pour la recherche. C'est un peu la réaction en chaîne : ce que nous allons ouvrir aujourd'hui demain nous forcera à revoir et à repousser les limites toujours un peu plus loin.

Vous m'avez questionnée sur le diagnostic préimplantatoire. Aujourd'hui, il n'est pas modifié en tant que tel dans le projet de loi et je vous rejoins donc. Il y a quand même de petites subtilités sur lesquelles nous pouvons discuter dans les articles 9 et 19. C'est cette notion que finalement, ce n'est plus le législateur qui va le définir dans la loi, mais ce seront les bonnes pratiques de l'Agence de la biomédecine qui seront régulièrement réévaluées, notamment par arrêté. Ce qui va être ouvert, ce sont des diagnostics préimplantatoires qui pourront évoluer au fil des nouveaux gènes détectés, des nouvelles prédispositions évaluées, etc. C'est l'étendue qui est en question, plus que le principe en lui-même, qui n'est a priori pas remis en cause et va échapper au législateur.

Il y a aussi le fait que les techniques se perfectionnent énormément. Aujourd'hui, on ne fait plus juste un caryotype, on fait des séquençages. Or, nous sommes amenés à découvrir des choses que nous n'étions pas venus chercher : des prédispositions, des gènes qui nous donnent des informations médicales. Le projet de loi conduira à que la femme enceinte ou la femme qui désire avoir un enfant aura des informations sur le futur enfant, qu'elle n'aurait pas demandées. Elle va peut-être avoir des informations extrêmement anxiogènes. Nous ne savons pas non plus la portée de toutes ces informations médicales. Nous nous demandons comment on va faire pour protéger les couples. Nous ne savons pas tout de la génétique. La génétique est un gros iceberg, dont nous ne voyons qu'un petit morceau et nous ne lirons jamais complètement notre génome. Nous ne nous réduisons pas non plus à notre code génétique, nous sommes tout de même plus que cela et nous n'aurons jamais un bébé zéro défaut. C'est une utopie dans laquelle il ne faudrait surtout pas s'engager.

Vous m'avez également questionnée sur la durée de quatorze jours. Ma question est : jusqu'où allons-nous ? Aujourd'hui, on dit que quatorze jours ont un intérêt, que l'on sait le faire. Si ensuite ce sont un mois ou huit semaines, comme l'évoquait M. Touraine dans le rapport de la mission d'information, où nous arrêtons-nous ? Si l'on améliore les utérus, les endomètres tissulaires en culture, jusqu'où allons-nous aller ? Là, nous touchons à des questions humaines essentielles.

Plus globalement, sur la recherche sur l'embryon, nous constatons régulièrement un effondrement des digues. En 1994, l'interdiction était un principe. Petit à petit, nous avons complètement effiloché ce qui encadre l'embryon humain. Par exemple, à un moment, on posait comme condition qu'il y ait la preuve d'un progrès thérapeutique majeur, mais comme il n'y a pas eu de progrès thérapeutique majeur, on a remplacé cette condition par une simple finalité médicale. Tout cela, ce sont des mots et ce n'est pas tout à fait juste. C'est pour cela que je m'inquiète et je soulève ces enjeux. Nous sommes dans la tentation de faire tout ce qui peut être fait sur l'embryon humain, parce qu'il y a un marché. Si nous revenons à l'esprit de la bioéthique d'origine, quelque chose n'est pas juste et il est vraiment important que tous ceux qui voteront peut-être d'une main tremblante cette loi soient vraiment bien conscients et éclairés.

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