Je voulais revenir sur la question de l'eugénisme, en expliquant comment j'ai été sensibilisée à ce sujet, longtemps avant que je ne travaille sur les questions bioéthiques. Avant, je travaillais dans l'industrie pharmaceutique. L'une de mes collègues a eu un cancer du sein, un cancer grave. Elle a été magnifiquement prise en charge par la médecine. Elle s'est battue et avait un sacré moral. Heureusement, elle s'en est sortie. Elle avait cinquante ans. Quelque temps après, j'ai su qu'il y avait sans doute une cause génétique à ce cancer, puisque sa propre mère était décédée de ce même cancer. Peu de temps après encore, j'ai appris qu'aujourd'hui, on pouvait décider d'éliminer les embryons porteurs de ce gène. Ensuite, je ne voyais plus ma collègue de la même façon et je me disais : « Aujourd'hui, elle n'existerait plus. » Tout simplement, cette femme n'existerait plus aujourd'hui. Cette question se pose à chacun d'entre nous. Nous ne connaissons pas l'ensemble de notre code génétique et ne sommes certainement pas génétiquement parfaits, parce que cela n'existe pas. Aujourd'hui, qui parmi nous pourrait vivre ?
Dans certains pays, en Angleterre par exemple, une liste de maladies ouvre droit au diagnostic préimplantatoire. Évidemment, des maladies très graves y sont incluses, mais il y en a aussi de beaucoup moins graves, par exemple, il y a le strabisme. Nous sommes d'accord sur le fait que loucher n'est certainement pas facile à vivre, mais nous sommes également d'accord que ce n'est pas non plus un obstacle à la vie. Vous voyez où se posent les questions aujourd'hui. C'est un projet de société qui est derrière cela, parce que la vulnérabilité est une condition de la vie humaine. Nous ne l'éradiquerons jamais. Nous pouvons supposer l'éradiquer in vitro, mais nous n'y arriverons jamais. L'enjeu est la capacité de notre société à accueillir le fragile, le handicapé, etc. Le regard posé sur les personnes compte. Quand des personnes porteuses de telle ou telle maladie savent qu'aujourd'hui, on empêche de vivre des personnes affectées par la même maladie, elles se sentent remises en question dans leur vie personnelle. Elles se disent : « Qui suis-je ? » Ce sont des témoignages concrets que nous avons et je les partage avec vous. J'ai expliqué tout à l'heure l'étendue des critères du diagnostic pré-implantatoire (DPI). Aujourd'hui, nous sommes raisonnables, mais on ne fait que nous parler de ce qui se passe à l'étranger. Le DPI va voir sa portée étendue par ordonnance régulière, en fonction des avancées techniques. Qu'est-ce qui nous assure que demain, nous n'aurons pas une liste de maladies plus ou moins graves ? Aujourd'hui, en France, un cancer ovarien ou du sein est un cancer très grave. Je ne remets absolument pas cela en question. Aujourd'hui, c'est déjà une raison pour ne pas autoriser ces personnes à venir au monde. J'ai envie de dire qu'il est difficile de juger de la qualité de la vie d'une personne et de son importance. En tout cas, je me garderai toujours de le faire.