Je rebondis sur ce que vient de dire Mme Blanche Streb. Vous avez dit à plusieurs reprises que ce n'était pas de l'eugénisme. M. Didier Sicard lui-même, quand il était président du CCNE a fait une déclaration en 2004 : « La France est l'un des pays au monde qui flirte le plus avec l'eugénisme. » Aujourd'hui, la France détient le record du monde de la sélection anténatale, de la sélection par DPN ou DPI, grâce à notre magnifique système de santé. C'est un secret de famille douloureux, parce que personne, aucun d'entre vous ni d'entre nous ne l'a voulu, mais c'est la réalité de ce que vivent les femmes que nous accompagnons dans nos services d'aide, parce que la pression est devenue extrêmement forte. Je ne crois pas aux choix individuels dans ce domaine, parce que nos regards convergent vers l'exclusion. C'est un énorme souci pour notre pays et c'est l'une des questions pour laquelle nous nous mobilisons, afin de demander que soient abordés autrement les enjeux bioéthiques, que simplement avec un surcroît de sélection, même involontaire. Comme l'a dit tout à l'heure Mme Blanche Streb, la technique elle-même pousse à alimenter la peur des femmes, des couples et leur exigence d'un enfant de plus en plus « normé ».
M. Chiche s'est exprimé avec un ton extrêmement paisible, et j'ai trouvé cela agréable, mais tout de même en faisant un amalgame à mes yeux. Nous récusons toute forme de discrimination, de violence, de haine, nous n'en éprouvons aucune vis-à-vis des personnes concernées par l'homosexualité. Vous avez listé des faits inqualifiables qui ne correspondent ni à nos conceptions, ni à tout ce que nous sommes et ce que nous montrons. Au demeurant, une pulsion victimaire s'exprime très fortement ; elle s'est exprimée ici par les remontées que vous avez eues. Je crois que la bioéthique ne satisfait pas ou très partiellement ceux qui pourtant en sont les théoriques bénéficiaires. Nous avons dit nous-mêmes que nous ne demandons rien pour nous-mêmes. Nous avons effectivement une conception de la société fondée sur ce que nous pensons être la protection du plus fragile. Nous ouvrons une boîte de Pandore de revendications et vous le savez bien. D'ailleurs, je crois que vous-mêmes n'êtes pas totalement satisfaits de qui est en train de se dessiner à travers cette loi, puisque je vous ai entendus faire des revendications supplémentaires sur d'autres sujets. C'est très, très glissant et cette victimisation mérite à un moment donné de recevoir une réponse ferme et paisible qui est : non. Dans une société, nous fonctionnons avec des « non » qui nous ouvrent d'autres possibles. Si nous ne finançons pas des choses injustes, nous pouvons peut-être financer des choses justes.
Pourquoi les personnes concernées par ces sujets ne témoignent-elles pas, ont-elles du mal à témoigner ? Nous en écoutons, dans nos services d'aide et c'est très difficile pour elles. Ce sont des personnes qui sont aimées, désirées et choyées. Les douleurs ou les difficultés qu'elles éprouvent du fait d'une privation des repères, de l'amputation du père, de ce que j'appelle – pardon, l'expression va peut-être vous choquer – une forme de maltraitance originelle, c'est-à-dire qui préside même à la conception, il est très difficile de les exprimer. Ce faisant, ces personnes risquent en effet de récuser l'amour sincère qu'on leur porte et donc de faire une peine immense à celles ou à ceux qui les élèvent dans des configurations difficiles à vivre. En tout cas, dans notre service d'écoute j'ai eu de nombreux témoignages de situations extrêmement complexes liées à ce que j'appelle les bricolages procréatifs.
Enfin, pour répondre à M. Breton, le mouvement social qui s'est déployé autour de la loi Taubira nous accusait de fantasmes. On nous a promis qu'il n'y aurait jamais cette PMA sans père et nous y sommes. Nous avons donc des raisons plus importantes encore de nous mobiliser contre la GPA, d'autant que nous avons maintenant perdu une part de notre naïveté. Les raisons de se mobiliser sont beaucoup plus objectives que subjectives. Évidemment, nous nous mobilisons fortement. Nous espérons du débat parlementaire qu'il abordera tous ces sujets et que des témoignages, des expertises seront pris en compte de manière un peu moins unilatérale que ce que nous avons déjà observé. Il ne s'agit pas de contester la sincérité des propos ou des engagements des parlementaires ici présents, même si nous avons pu exprimer des formes de colère de ne pas avoir été entendus. Le Président de la République a souhaité que ce débat soit abordé dans une autre tonalité, ce qu'il a eu, d'une certaine manière, mais cela a encore aggravé notre frustration. Une consultation par des États généraux s'est déroulée sur plusieurs mois, à laquelle nous avons participé avec d'autres. La conclusion officielle a été antinomique de ce que nous avons observé. Nous avons été entendus, mais pas écoutés. Nous allons donc évidemment nous faire entendre dans la rue. C'est la démocratie qui le permet et nous espérons que du côté des parlementaires, il y aura une vraie liberté, une liberté de conscience et de vote, qu'il n'y aura pas ce qui parfois semble se profiler, à savoir une forme de pensée unique qui étouffe la capacité de résistance, d'un autre discours ou de vote des parlementaires.
Vous savez, c'est un peu comme tout à l'heure, dans votre table ronde. Vous l'avez explicité, l'unanimité génère un certain malaise. S'il y a le même type d'unanimité dans un hémicycle sur des sujets aussi complexes et sur lesquels les Français ne sont absolument pas d'accord les uns avec les autres – il suffit de regarder les sondages d'opinion quels qu'ils soient, où nous voyons que des camps se confrontent –, malheureusement, ce ne sera pas un débat apaisé.
Un dernier mot : est-ce vraiment cela, la priorité pour la France ? Est-ce vraiment cela, lorsque nous sommes, vous et nous, soucieux de notre identité nationale qui est complexe à gérer, soucieux de sujets liés à l'emploi, au logement, à la sécurité et à ce qui nous permet de vivre ensemble. Voilà que nous allons casser une loi bioéthique déjà bien fragile et aussi peut-être renoncer à cette bioéthique à la française. Jusqu'alors, la France a au moins résisté à la marchandisation des corps et comme nous l'avons exprimé, si aujourd'hui nous ouvrons la boîte de Pandore de la PMA sans infertilité médicale, ce ne seront plus 3,9 % des enfants qui naîtront de dons, comme c'est le cas dans la PMA actuelle, mais 100 %. Nous entrons donc dans le marché et pour nous, c'est abandonner ce qui fait d'une certaine manière l'âme de la France, pays des droits de la personne qui a jusqu'alors renoncé à l'utilitarisme anglo-saxon que nous récusons tous, quand nous voyons la façon dont se développe le marché des embryons et des gamètes dans des pays voisins.
Nous allons évidemment nous mobiliser, tout en vous remerciant, madame la présidente, de nous avoir écoutés si longuement aujourd'hui.