Pour aller jusqu'au bout des choses sur le rôle du CCNE, nous étions pour que ce mécanisme de débat public et ce mode de construction de la loi persistent, même si cela est un peu lourd. Nous voyons bien qu'indépendamment des thématiques « en silo » – la génomique, le big data, certains aspects de procréation –, la réflexion est la plus riche quand nous interfaçons les disciplines, comme le séquençage à haut débit et le big data. C'est là où nous avons le plus de possibilités et où l'encadrement éthique sera le plus complexe. Au-delà, il y a des questions transversales : en 2019-2020, que veut dire un consentement pour les citoyens ?
Nous avons ensuite évoqué l'idée d'actionner ce mécanisme tous les cinq ans plutôt que tous les sept ans. Cela rejoint certaines observations portant notamment sur le fait que les connaissances scientifiques seraient renouvelées pour moitié sur une très courte durée. Nous devons veiller à ce que notre réflexion éthique ne prenne pas trop de retard, voire soit dans l'anticipation.
Il y a ensuite ce rôle d'alerte et de surveillance partagée, si une commission ad hoc est créée au sein de l'Assemblée. L'OPECST joue déjà ce rôle, donc il faudra bien définir comment tout cela s'organise. Il faut à la fois que ce soit bien construit, que ce soit solide et que la répartition des rôles soit bien définie. Ce rôle d'alerte et de surveillance, nous allons l'exercer encore plus que nous ne l'avions fait jusqu'à maintenant. C'est beaucoup de travail pour une petite structure, remplie d'intellectuels mais qui tourne avec seulement cinq personnes.
Enfin, l'évaluation est un point important. Dans cette loi, vous votez un certain nombre de décisions importantes qui vont construire la société de demain. Il faut inscrire dans la loi ce processus d'évaluation.
Nous allons parler de procréation une seconde, pour ne plus en parler après. S'il y a une ouverture de l'AMP vers les femmes seules et les couples de femmes, serons-nous capables dans cinq ans de savoir ce qui s'est passé ? Quelles informations avons-nous ? Quand je regarde celles qui existent au sein des grands organismes de recherche – l'Inserm, les sciences humaines et sociales du CNRS, etc. – sur deux grands sujets sociétaux autour de la procréation ou autour de la fin de vie – qui ne fait pas partie de la loi mais que nous avions discutée dans les états généraux – les données françaises sur le sujet sont très faibles, au nom de la liberté de la science. Je suis un scientifique. Je défends la liberté de la science et les scientifiques. Or la science et la société doivent quand même se rencontrer à certains moments. Si des décisions fondamentales pour la société sont prises dans le cadre de cette loi, inscrivez-vous dans un processus d'évaluation. Ainsi, nous serons capables dans cinq ans de raconter une histoire sur ce qui s'est passé, nous aurons les premiers résultats et nous ne serons pas obligés d'aller chercher des études américaines – somme toute intéressantes mais réalisées dans un contexte culturel différent. Il m'apparaît important que nous soyons dans de l' evidence-based medicine ou society, pour que vous puissiez raconter l'histoire de vos décisions politiques.
Je partage l'analyse faite des enjeux de la génomique. Vous avez bien vu que dans mon propos sur la génomique, je montre les deux dimensions de ce qui est proposé dans le projet de loi. La première, très intéressante, insiste sur l'information autour de la personne, sur la construction de l'annonce, sur le conseil en génétique. C'est absolument essentiel. Nous partagions donc la même position et nous nous demandions pourquoi nous ne commencerions pas à ouvrir l'utilisation de ces tests en population générale. Cela suppose de mettre en œuvre un processus d'accompagnement par des professionnels, des conseillers en génétique, et non un accompagnement militaire. Même si l'on continue d'interdire les tests, les prix vont baisser et, les gens vont accéder à leurs données via Internet. Je ne sais pas si vous avez regardé les papiers qui sont rendus aux acheteurs. Ils sont assez bien rédigés, mais cela reste compliqué. Les acheteurs n'auront aucun accompagnement et les bases de données seront constituées hors de France. Il y a quelque chose qui n'est pas totalement cohérent dans le projet de loi, quant au fait d'une part, d'accepter une vision individuelle d'accompagnement très technique par du conseil génétique, et d'autre part, de continuer à refuser les tests en population générale et sur un certain nombre d'utilisations. Je ne peux que maintenir ma position, et certains d'entre vous la partagent. C'est une décision à prendre. C'est le président du CCNE et le comité d'éthique qui vous le disent : je ne pense pas que le risque d'eugénisme politique et d'État soit mis en cause par la possibilité d'utiliser ces tests. Je ne suis pas en train d'indiquer que chacun doit faire le test : les gens le feront ou ne le feront pas, mais c'est une possibilité.
Enfin, nous avions intégré les deux sujets « Intelligence artificielle et santé », et « Environnement et santé » dans le débat des États généraux. C'est nous qui avons établi l'agenda des questions posées au sein des États généraux, et nous n'avons pas reçu d'ordre dans un sens ou dans un autre, à aucun niveau. Sur l'intelligence artificielle, c'est parti : nous allons construire le comité du numérique – au sens très large du terme – et ses relations avec le CCNE. C'est une belle aventure qui démarre.
Nous avons un groupe de travail permanent sur le sujet de l'environnement et nous allons bien sûr le conserver. C'est essentiel, et pas seulement pour ce qui concerne le réchauffement climatique et les virus qui peuvent en résulter, en particulier dans le sud de la France.
Il faut aussi voir comment aborder les nouvelles techniques de génomique qui peuvent être utilisées dans le monde animal ou végétal et qui posent des questions importantes et nombreuses. Quel est le retentissement de certaines décisions de l'homme et de la science sur l'environnement ? C'est l'un des sujets que nous allons continuer à analyser dans le cadre du CCNE.