Je trouve que le projet de loi s'efforce de séparer les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes pluripotentes. Il essaye de sortir de cette ambiguïté difficile résultant de l'emploi du terme de cellules souches embryonnaires : elles sont certes issues d'un embryon, mais elles deviennent ensuite des lignées continues qui sont échangeables dans le monde entier. Le CCNE avait passé beaucoup de temps sur ce sujet et se retrouve vraiment dans la solution retenue par le projet de loi.
Sur la question sur la différenciation des cellules souches, nous avions insisté sur le fait que ce n'est pas leur origine qui est importante, mais l'utilisation qu'il est prévu d'en faire. Avoir des cellules souches qui commencent à être étudiées par nos scientifiques est une avancée considérable pour la médecine. Les scientifiques prennent d'ailleurs du retard sur le sujet, et j'espère que la loi va permettre à la France de retrouver une place enviable en matière d'innovation.
Le sujet scientifique est l'élucidation des mécanismes qui permettent à une cellule souche de se différencier. Nous ne sommes pas loin. Nous allons commencer à sortir les premiers grands papiers concernant les cellules rétiniennes. Les enjeux de santé sont majeurs. Nous pouvons imaginer qu'au lieu que le patient soit opéré – avec toute la chirurgie orthopédique associée en remplacement du genou, des épaules, etc. – nous pourrons peut-être injecter des cellules souches. Cela va transformer l'organisation des soins. La cellule souche peut aussi se différencier en gamète mâle ou gamète femelle. Nous pouvons faire un embryon, indépendamment de tout acte sexuel. Et un utérus artificiel est possible.
Comment gérer le franchissement de ligne rouge ? C'est compliqué. D'ailleurs, est-ce possible ? Les conceptions éthiques et bioéthiques sont extrêmement différentes entre notre monde européen, le monde anglo-saxon, et le monde chinois – par exemple.
Le clonage humain est soumis à une interdiction. Des décisions politiques et scientifiques ont été prises il y a huit ou neuf ans, et elles ont tenu, peut-être parce que nous ne voyons pas à quoi servirait le clonage humain.
Une deuxième ligne rouge qui reste importante à mes yeux, et qui est parfois confondue par le grand public, est la GPA. Le CCNE a pris une position très claire à ce sujet. Dans ces discussions éthiques où il y a des tensions entre deux visions – la vision individuelle et la vision de non-marchandisation du corps – il nous apparaît actuellement que la non-marchandisation du corps prime par rapport à la demande individuelle, quelle que soit la demande sociétale qu'il peut y avoir derrière – je la connais bien, je suis issu de ce milieu-là.
Quelques grandes questions se posent dans le domaine des technologies. Nous parlons beaucoup de procréation et nous avons un peu parlé de génomique ce matin. C'est très bien, mais nous n'avons pratiquement pas parlé des neurosciences. D'ailleurs, selon la loi précédente, l'Agence de la biomédecine (ABM) devait lancer une réflexion sur ce sujet. Dans son rapport d'activité, la directrice de l'ABM le reconnaît volontiers : peu de réflexions ont été produites autour des neurosciences. Nous avons un groupe neurosciences au sein du CCNE, mais nous avons du mal à anticiper. La France accueille de très grands scientifiques, et de nombreuses questions vont se poser quand nous allons être confrontés aux progrès en neurosciences, en génomique et en big data dans les cinq ans qui viennent.
Nous voyons bien comment nous avons réagi à l'utilisation de la technique CRISPR-Cas9 sur les cellules embryonnaires, suite à cette aventure chinoise. Il y a d'abord la communauté internationale qui peut répondre de la bioéthique, et il faut que nous soyons présents. Au niveau national, dans l'intervalle entre deux révisions et grâce au travail de surveillance et d'alerte que nous avons évoqué, rien n'interdit d'avoir une attitude plus souple et plus logique sur certains sujets difficiles – qui ne sont pas si nombreux, deux ou trois peut‑être.
Concernant la génomique, je relisais ce que nous avions écrit dans l'avis n° 129. Je vais vous en remettre quelques extraits et propositions, à la suite de cette audition, qui préciseraient les étapes possibles. Le point principal n'est malheureusement pas éthique, mais très pratico-pratique. Le Gouvernement sait que le nombre de conseillers en génétique est relativement limité. Il ne faut pas que ce soient uniquement des médecins. Il faut ouvrir, il faut qu'ils aient un statut ad hoc. Des scientifiques peuvent parfaitement exercer ces fonctions, ou des gens issus du milieu infirmier, des techniciens de santé publique avec une formation. Ils peuvent être valorisés pour participer à cette nouvelle aventure scientifique. Dans ce contexte, c'est une occasion très important de valorisation des professions de santé. Il y aura la même chose pour l'intelligence artificielle et la gestion des big data : de nouveaux métiers vont se créer.
Compte tenu de la limitation du nombre de conseillers en génétique, l'idée est de dire que finalement, nous n'avons peut-être pas les moyens dans l'immédiat d'accompagner les personnes faisant un test génétique. Mais continuer d'interdire va amener celles-ci à faire autrement, en dehors d'un circuit médical. Le CCNE n'avait pas souhaité que tout le monde fasse nécessairement un test génétique, mais que ceux qui le désirent puissent le faire dans un contexte d'appui et de conseil médicalisé – ou en tout cas avec des spécialistes. C'est ce que je vous remettrai, quelques lignes extraites de notre avis n° 129.