Je vais commencer par votre question – Monsieur Touraine – sur la disparité des solutions retenues pour l'AMP, concernant les tiers donneurs, pour les couples homosexuels et hétérosexuels. Je suppose que vous faisiez allusion à la déclaration anticipée de volonté. C'est vrai qu'il semble difficilement justifiable de maintenir cette distinction, à partir du moment où nous posons le principe de l'égalité entre couples. La question du consentement anticipé – qui est appelée dans ce texte déclaration anticipée de volonté – est très intéressante. Elle est transversale : elle concerne cette question de procréation, mais aussi – nous l'avons vu lors des Etats généraux – l'ensemble des thématiques. Par conséquent, du point de vue du respect des droits et des libertés fondamentales, dans l'évolution actuelle des mentalités et des nouvelles formes de couples, il me paraît difficilement justifiable de maintenir ce texte en l'état.
Ensuite – je prends ma casquette de juriste – certaines choses m'ont sauté aux yeux à la lecture du texte, notamment la place « fantôme » de la femme seule. D'ailleurs, l'appellation « femme seule » n'apparaît pas dans le texte. Si nous reprenons l'article premier, on parle de « tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes », et « toute femme non mariée » ; or du point de vue du droit, quand il y a un couple, on est mariés, pacsés, ou concubins ; si une personne n'est pas dans l'une de ces situations, elle est seule. C'est comme si le mot « seul » était tabou. Cela m'a vraiment sauté aux yeux. Pourquoi mettre en avant le mariage par rapport au PACS ou au concubinage ? Je pense qu'il faut revenir à cette notion de femme seule.
Une autre chose m'a interpellée dans cet article premier : le paragraphe relatif aux obstacles à l'insémination et au transfert s'il s'agit d'un couple. Nous sommes bien ici dans une limitation de l'accès à l'AMP. On retrouve ici la distinction et la différence de traitement, entre le couple d'un côté, et la femme seule de l'autre, qui n'est plus citée. Je me suis dit que le projet de loi avait souhaité mettre en avant un projet parental de couple. Si au départ ce projet a été conçu par deux personnes et que l'une vient à manquer – demande de divorce, décès, etc. – l'objet même du contrat initial disparaît. Il me semblerait opportun de préciser dans le texte que c'est en raison du projet parental de couple que cette solution a été retenue. Sinon, on ne comprend pas pourquoi il n'y a absolument aucune référence à la femme seule.
Le mécanisme de la déclaration anticipée de volonté est tout à fait intéressant du point de vue du consentement. Il rejoint en effet le principe d'anticipation de l'expression de la volonté – je travaille beaucoup là-dessus – que l'on retrouve dans les directives anticipées, la personne de confiance, le mandat de protection future, et ici dans un domaine tout à fait spécifique de la filiation. En fait, on appelle cela une déclaration anticipée de volonté, mais c'est un consentement anticipé. Je ne vois pas pourquoi il y aurait une différence entre les couples homosexuels et hétérosexuels en ce domaine.
Je reviens à votre question sur l'accès aux origines. Nous avons bien vu lors des États généraux – c'est ressorti de façon assez consensuelle, et le Pr Delfraissy a cité tout à l'heure l'assertion de Paul Ricœur sur la souffrance individuelle – qu'il y a d'un côté la souffrance individuelle, et de l'autre, la santé publique. La souffrance de l'enfant prend le pas à partir du moment où il est question d'identité et de stabilité durant toute son existence. Nous voyons bien qu'il y a un consensus sur l'accès aux origines. Je n'ai pas de remarque spécifique, hormis sur la question du consentement du tiers donneur. À l'article L. 2143-2 proposé, il est prévu que : « le consentement exprès du tiers donneur à la communication de ses données et de son identité est recueilli avant même de procéder au don. » Au départ, le donneur consent à ce que son identité soit divulguée. Or, ce dont on est sûr, c'est qu'on n'est pas sûr de ne pas changer d'avis. Il me semblerait important de pouvoir ouvrir la possibilité de recueillir à nouveau le consentement, lorsque l'enfant devenu majeur et adulte souhaite connaître ses origines. Rien ne dit que le donneur qui refuse au départ n'a pas changé d'avis, plusieurs années après. Rien ne dit non plus que s'il a consenti au départ, il en aura encore envie plus tard.
C'est un aspect de la question du consentement qui m'interpelle alors que celle-ci est réitérée sur l'ensemble des thématiques. Ce dont je parlais tout à l'heure – cette transversalité consentement/information, en lien étroit – c'est quelque chose qui a vraiment prédominé dans les débats des États généraux.